À l’approche de l’élection présidentielle anticipée du 7 février en Azerbaïdjan, Amnesty International souhaite attirer de toute urgence l’attention sur les mesures répressives les plus récentes prises par les autorités contre le droit à la liberté d’expression, et notamment sur le fait qu’Ilham Aliev, le président en exercice, s’en prend aux voix critiques.
« L’intensification de la répression par les autorités azerbaïdjanaises à l’approche des élections n’est pas seulement une attaque contre les libertés individuelles, il s’agit d’une attaque généralisée et coordonnée contre la société civile et l’état de droit. Les autorités mettent actuellement en place un large dispositif et n’hésitent pas à exercer des représailles, notamment en harcelant, intimidant et menaçant les familles de personnes déjà injustement incarcérées à l’issue de procès motivés par des considérations politiques. En prenant pour cible les proches de détracteurs de l’État et en gelant leurs avoirs, les autorités transforment leur persécution en châtiment collectif. Cette parodie de justice doit cesser », a déclaré Natalia Nozadze, chercheuse sur le Caucase du Sud à Amnesty International.
En prenant pour cible les proches de détracteurs de l’État et en gelant leurs avoirs, les autorités transforment leur persécution en châtiment collectif
Natalia Nozadze, chercheuse sur le Caucase du Sud à Amnesty International
Intensification de la répression de l’opposition pacifique
Depuis novembre 2023, les autorités azerbaïdjanaises ont intensifié leur répression de l’opposition pacifique, ce qui a donné lieu à l’arrestation de plus de 13 personnes, dont des journalistes, des opposant·e·s politiques et un défenseur des droits humains. Au moins 11 d’entre elles sont maintenues en détention arbitraire sur la base d’accusations fallacieuses. Craignant des poursuites, de nombreuses autres voix critiques, dont des journalistes, ont fui le pays.
Des familles d’opposant·e·s prises pour cible
Après avoir arrêté des personnes ayant critiqué l’État, le gouvernement s’en est pris à leur famille et à leurs proches. Dans le cas alarmant du média indépendant Absaz, qui enquêtait sur des allégations de corruption au sein du gouvernement, non seulement plusieurs membres du personnel ont été arrêtés, mais leurs familles ont également été systématiquement visées. Les autorités ont utilisé le système de justice pénale à mauvais escient afin de geler les comptes bancaires de membres de la famille d’opposant·e·s et de militant·e·s, les empêchant ainsi de percevoir leurs salaires et leurs allocations, et d’accéder à leurs autres actifs financiers. Cette tactique a laissé de nombreuses personnes, notamment des personnes âgées et des personnes souffrant de graves problèmes de santé, dans des situations financières désastreuses.
Ofelya Maharramova, mère de Sevinj Vagifgizi, rédactrice en chef d’Absaz Media, actuellement emprisonnée, a déclaré qu’elle n’était pas en mesure d’acheter des médicaments essentiels, en raison du gel de sa pension de retraite et de ses prestations de santé et d’invalidité.
Les familles d’Ulvi Hasanli, directeur d’Absaz media, et d’Aziz Orujov, directeur de la chaîne d’information en ligne Kanal13, sont confrontées à de graves difficultés financières car leurs principales sources de revenus ont été bloquées, semble-t-il en représailles face au travail journalistique de leurs proches.
Fondements juridiques et châtiments collectifs
Des avocats de la défense affirment que ces attaques, actes d’intimidation et manœuvres de harcèlement à l’égard de membres de la famille, ne se fondent sur aucune base juridique. Selon les avocats, il n’y a aucune raison légale de geler les avoirs de membres de la famille puisqu’ils ne sont pas soupçonnés dans le cadre d’une procédure judiciaire et que la légitimité de leurs fonds n’est pas suspecte. La tactique du gel des avoirs représente une forme de punition collective, visant à envoyer un message lourd de menaces et à réduire au silence non seulement les personnes critiquant le gouvernement, mais aussi leurs familles et leurs collaborateurs.
Les inquiétudes de la communauté internationale
Ces actes de répression et de persécution constituent des pratiques bien établies et représentent une violation directe des obligations internationales de l’Azerbaïdjan en matière de droits humains. Dans un rapport préliminaire, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe a fait état de son inquiétude face aux mesures utilisées pour restreindre la liberté des médias et compromettre le travail de journalistes, notamment le nombre croissant d’arrestations de journalistes indépendants.
Selon des organisations non gouvernementales locales et des défenseur·e·s des droits humains, plus de 200 personnes se trouvent toujours en détention ou en prison, à la suite de poursuites motivées par des considérations politiques. En juillet 2023, Gubad Ibadoghlu, économiste et militant politique de renom a été arrêté sur la base de fausses accusations de contrefaçon de monnaie.
Les poursuites judiciaire à caractère politique et la détérioration du bilan en matière de droits humains ont été les principales raisons expliquant pourquoi l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a refusé de ratifier les pouvoirs de la délégation azerbaïdjanaise en janvier 2023. L’Azerbaïdjan a réagi en suspendant sa coopération avec l’APCE, illustrant son dédain à l’égard de ses obligations internationales en matière de droits humains. Malgré ces tensions, l’Azerbaïdjan a été choisi pour accueillir cette année la 29e Conférence des parties (COP29) de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Amnesty International exhorte les autorités azerbaïdjanaises à cesser immédiatement de persécuter les journalistes indépendants, les militant·e·s, les opposant·e·s politiques, les défenseur·e·s des droits humains et leurs familles. L’organisation demande la libération immédiate des personnes détenues ou emprisonnées uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits fondamentaux, ainsi que le rétablissement de leurs droits fondamentaux et la fin des tactiques de représailles utilisées comme moyen d’oppression. Toutes celles dont les droits fondamentaux ont été bafoués doivent avoir accès à la justice et à des recours efficaces, notamment des réparations complètes et adéquates. Les responsables présumés de ces violations doivent être traduits en justice dans le cadre de procès équitables. Les autorités doivent respecter, protéger, promouvoir et mettre en œuvre les droits de tous les habitant·e·s du pays.