La visite du Rapporteur spécial des Nations unies doit servir à renverser la « lenteur exaspérante » du Canada en matière de droits autochtones

Le gouvernement canadien doit répondre à de nouvelles demandes pour mettre fin aux violations des droits des Premières Nations, des Inuit et des Métis, alors même que le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des Peuples Autochtones, Calí Tzay, entame sa tournée de 10 jours au Canada.

Le Rapporteur spécial, Calí Tzay, et sa délégation vont effectuer une visite du Canada, du 1er au 10 mars prochains. Le mandat du Rapporteur spécial consiste à faire le point sur la situation des droits humains des Peuples Autochtones partout dans le monde, et de s’attaquer aux cas allégués de violations de leurs droits. 

Cette visite arrive à un moment où les relations entre le Canada et les Peuples Autochtones sont critiques. En effet, en vertu de la loi, le gouvernement fédéral doit rendre public un plan d’action pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples Autochtones. Mais alors qu’il ne reste que quelques mois avant la date butoir pour soumettre ce plan au Parlement, de graves violations des droits humains des peuples et communautés autochtones se poursuivent.

“Il est temps de mettre au fait nos réalités au niveau international”

« Cette visite fort importante va permettre de remettre les pendules à l’heure sur les questions et les enjeux des Peuples Autochtones au Canada, notamment le racisme systémique, l’adoption du Principe de Joyce, la crise humanitaire en matière de logement dans les communautés autochtones et surtout les questionnements sur la réconciliation. Ça va également permettre de mettre au fait nos réalités au niveau international » déclare Sipi Flamand, Chef du Conseil des Atikamekw de Manawan.

« La visite du Rapporteur spécial revêt une dimension importante à plusieurs égards, car il est essentiel qu’il documente comment, en tant que Premières Nations, nos droits sont niés depuis trop longtemps par le gouvernement provincial et fédéral. Nous sommes depuis toujours ignorés, nos territoires nous sont enlevés et nos forêts détruites, il est grand temps de rendre visible notre réalité sur la scène internationale. » déclare Marielle Vachon, cheffe du Conseil des Innus de Pessamit. 

En partenariat avec la Première Nation Atikamekw de Manawan, avec la Nation Grassy Narrows, la Nation Innu de Pessamit, et les Nations Wet’suwet’en et Tsleil-Waututh, les sections anglophone et francophone d’Amnistie internationale Canada ont préparé une déclaration écrite pour le bureau du Rapporteur spécial des Nations Unies, en préparation de la visite de Calí Tzay. Cette lettre conjointe documente les violations à l’encontre des Peuples Autochtones et de leur droit à un environnement sain, elle rappelle la destruction de leurs modes de vie traditionnels et le non-respect de l’exigence de consentement préalable, libre et éclairé des Autochtones aux projets d’infrastructure qui affectent leurs territoires.

« Les histoires saisissantes que nos partenaires nous racontent vont du préoccupant au vraiment alarmant », constate France-Isabelle Langlois, directrice générale de la section francophone d’Amnistie internationale Canada. « L’expérience du racisme systémique est différente pour chaque communauté, mais il y a des éléments communs, notamment le manque de respect flagrant envers leur environnement naturel, envers leur droit à maintenir leurs modes de vie, et leur droit à jouir pleinement des plus hauts standards de santé physique et mentale ».

« Presque deux ans après que le Parlement a affirmé que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples Autochtones s’appliquait à la loi canadienne, les progrès du Canada quant à sa promesse de respecter les droits des peuples et des communautés autochtones sont d’une lenteur exaspérante », constate Ketty Nivyabandi, secrétaire générale de la section anglophone d’Amnistie internationale Canada. « Le gouvernement ne peut pas faire avancer la réconciliation de manière significative et redresser les torts du passé alors qu’il continue de violer les droits des Peuples Autochtones encore aujourd’hui. Le meilleur moment de renverser cette tendance c’est maintenant ».

Criminalisation des défenseur·e·s de l’environnement autochtones

La déclaration d’Amnistie internationale condamne la criminalisation des défenseurs et défenseuses de la terre et de l’eau partout au Canada. Depuis 2019, les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique ont harcelé, intimidé, déplacé de force et poursuivi en justice des membres de la Nation Wet’suwet’en qui protestaient contre la construction du pipeline de Coastal GasLink sur leur territoire. En juillet 2022, la Colombie-Britannique a accusé, sur des charges criminelles, 19 défenseurs de la terre pour avoir présumément défié une injonction qui interdisait de s’approcher des sites de construction du pipeline, même si ceux-ci se trouvent sur le territoire ancestral non cédé de la communauté.

« Le Canada a été contacté trois fois par les Nations Unies relativement aux violations des droits de la Nation Wet’suwet’en et de ses membres », affirme le Chef Na’moks, un des chefs héréditaires Wet’suwet’en. « Aujourd’hui, le monde doit entendre de la bouche même des Peuples Autochtones les violations des droits humains qui ont cours dans ce qu’on appelle le Canada. Nous rencontrons le Rapporteur spécial pour dire la vérité, et non pour répéter la version biaisée qu’on entend habituellement sur ce qui se passe au Canada. »

Dans le même ordre d’idée, la Nation Tsleil-Waututh s’est vivement opposée au projet de prolongement du pipeline Trans Mountain que le gouvernement canadien a approuvé sans obtenir le consentement préalable, libre et éclairé de la communauté.

« Le prolongement du pipeline Trans Mountain et du couloir de circulation de pétroliers vient aboutir en plein cœur du territoire Tsleil-Waututh » affirme la conseillère Charlene Aleck de la Nation Tsleil-Waututh. « Notre nation a mené une étude indépendante de ce projet, sur la base de nos lois ancestrales et de données scientifiques de pointe, qui conclue que ce projet menace notre identité propre de “people of the inlet” (d’habitants de la crique). Sur cette base, notre droit au consentement préalable, libre et éclairé nous est refusé ».

« Pourtant, le Canada continue de forcer ce projet sur nos territoires, malgré leurs engagements envers la réconciliation et la Déclaration sur les droits des Peuples Autochtones. Les membres de la Nation Tsleil-Waututh ont été harcelés et criminalisés pour s’être opposés au projet, ce qui constitue une menace majeure à notre travail de sauvegarde de Burrard Inlet – lieu de naissance de nos ancêtres ».

Les points de vue recueillis au cours du voyage du Rapporteur spécial seront concrétisés en une série de recommandations sur la façon dont le Canada doit défendre et faire progresser les droits des Premières Nations, des Métis et des Inuit. Selon Mme Nivyabandi, les constats auront des implications pour tout le monde, et pas seulement pour les peuples et les communautés autochtones dont les droits ont été violés. 

« Les Peuples Autochtones sont au premier plan de la lutte contre les changements climatiques produits par les humains », dit-elle. « Il faut écouter leurs voix, il en va de l’avenir de notre planète ».