Le gouvernement internationalement reconnu du Yémen doit cesser de harceler et de poursuivre en justice des journalistes travaillant dans les zones se trouvant sous son contrôle, notamment dans les gouvernorats de Taizz et de Hadramout, a déclaré Amnesty International jeudi 18 août.
Ces sept derniers mois, les autorités judiciaires ont lancé des poursuites contre au moins trois journalistes ayant publié des contenus critiquant des représentants de l’État et des institutions publiques. Un quatrième journaliste a été convoqué pour un interrogatoire par la Direction des enquêtes criminelles, au sujet d’une publication sur Facebook dans laquelle il déplorait le prix de vente du pétrole. Il a été arbitrairement détenu sur place pendant neuf heures.
Les journalistes ne doivent pas être traités comme des criminels au seul motif qu’ils ont critiqué des institutions gouvernementales et des fonctionnaires
Diana Semaan, Amnesty International
« Les journalistes ne doivent pas être traités comme des criminels au seul motif qu’ils ont critiqué des institutions gouvernementales et des fonctionnaires. Ces journalistes ne faisaient qu’exercer leur profession, et leur liberté d’expression est protégée par le droit international relatif aux droits humains. Le gouvernement internationalement reconnu du Yémen est tenu de respecter la liberté d’expression, et doit abandonner toutes les charges retenues contre eux », a déclaré Diana Semaan, directrice adjointe par intérim pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« S’en prendre à des journalistes et à des militant·e·s parce qu’ils ont exercé leur droit à la liberté d’expression a un effet paralysant sur la société. Le véritable objectif est de réduire l’opposition au silence et de dissuader les voix critiques. »
Au cours de la première moitié de 2022, le Syndicat des journalistes yéménites a recensé 11 cas d’attaques, y compris de menaces et d’incitations à la violence, contre des journalistes et des médias, neuf arrestations et six procédures et convocations en justice par des parties au conflit. Le rapport réalisé par le Syndicat a déterminé que le gouvernement internationalement reconnu du Yémen est à l’origine de 23 de ces violations, tandis que les autorités houthies de facto en ont commis 16.
Les charges retenues contre ces personnes incluent l’« outrage » à fonctionnaire, qui est passible de deux ans d’emprisonnement en vertu du Code pénal, le fait de s’être moqué de responsables militaires, l’outrage à un symbole de l’État, et des troubles à l’ordre public.
L’« outrage » n’est pas une infraction reconnue par le droit international, et ne justifie pas une restriction de la liberté d’expression. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a par ailleurs énoncé que « le simple fait que des formes d’expression soient considérées comme insultantes pour une personnalité publique n’est pas suffisant pour justifier une condamnation pénale ».
Amnesty International s’oppose aux lois interdisant l’insulte ou l’irrespect à l’égard des chefs d’État ou des figures publiques, l’armée ou d’autres institutions publiques, des drapeaux ou des symboles – à moins que cela ne constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence.
La critique considérée comme un « outrage », criminalisé par la loi
Amnesty International a recueilli les propos de deux avocats et 10 journalistes et militant·e·s, dont six ont été convoqués pour des interrogatoires par la Direction des enquêtes criminelles ou par les renseignements militaires pour avoir publié des contenus critiques à l’égard des autorités.
Les autorités judiciaires ont ouvert des poursuites pénales contre deux de ces journalistes et un tribunal les a condamnés à des peines de prison avec sursis en 2022. Dans un de ces cas, le parquet de Taizz avait inculpé un journaliste d’« outrage » à l’égard de fonctionnaires et de responsables militaires en 2019, après qu’il a critiqué sur Facebook les autorités militaires à Taizz pour leur comportement « de voyous » et leurs actes d’intimidation à l’égard des journalistes et des militant·e·s. Le 17 mai 2022, le tribunal de première instance de Sabir l’a déclaré coupable et l’a condamné à une peine d’un an de prison avec sursis et à une amende, en vertu de l’article 292 du Code pénal. Il a déclaré : « Le parquet règle des comptes politiques. Le camp qui me poursuit est celui qui contrôle l’armée, le dispositif de sécurité et l’appareil judiciaire. »
Un autre journaliste a été condamné le 21 juin 2022 par les tribunaux des fonds publics de Hadramout à trois mois de prison avec sursis pour « outrage à fonctionnaire » et « menace de publication de secrets privés », en vertu des articles 172 et 257 du Code pénal, respectivement, après qu’il a publié un article critiquant le niveau de l’université publique de Hadramout.
Il a demandé en quoi cela constituait un outrage à l’égard d’un fonctionnaire. « Qu’a donc gagné le parquet à me traîner devant les tribunaux depuis plus d’un an, seulement parce que j’ai dit la vérité, une vérité avec laquelle la plupart des gens sont d’accord ? »
Autocensure sur fond de menaces à la liberté de la presse
Un journaliste doit encore passer en jugement sur la base de charges fabriquées de toutes pièces et encourt au moins trois ans d’emprisonnement s’il est condamné. Il est jugé par le Tribunal spécial de première instance de Hadramout sur la base de charges forgées de toutes pièces en relation avec la sécurité nationale, pour avoir publié des articles demandant aux autorités de Hadramout de ne pas laisser d’agents du renseignement persécuter les journalistes, et réclamant la destitution du gouverneur. Il a déclaré à Amnesty International que des agents de sécurité étaient régulièrement postés devant son domicile et son lieu de travail, après qu’il s’est exprimé contre le gouverneur en 2019.
Ni le journaliste ni son avocat n’ont pu accéder au dossier contenant les éléments à charge, ce qui est contraire au droit à un procès équitable.
Deux autres journalistes ont déclaré à Amnesty International qu’ils avaient cessé de publier des opinions critiques sur les autorités, par craintes des persécutions. L’un d’eux a déclaré : « J’ai opté pour le silence et arrêté le journalisme pour l’instant, mais je me sens frustré, amer et humilié. »
Le recours à des lois sur la sécurité nationale ou sur la diffamation afin d’empêcher des critiques légitimes à l’égard de représentants du gouvernement ou de l’État viole le droit à la liberté d’expression. La sécurité nationale et l’ordre public doivent être définis de manière précise dans le droit, afin de prévenir les interprétations et applications trop larges et abusives.
« Le gouvernement internationalement reconnu du Yémen doit immédiatement mettre fin au harcèlement et aux poursuites visant les journalistes, et respecter leur droit à la liberté d’expression. Cela pourrait commencer par l’abandon de la pratique consistant à convoquer des militant·e·s et journalistes dans les locaux d’organes de sécurité et militaires, et la cessation du recours abusif aux lois sur la diffamation et la sécurité nationale pour réprimer l’opposition. Le gouvernement internationalement reconnu du Yémen doit par ailleurs mettre les lois restreignant le droit à la liberté d’expression en conformité avec les normes internationales », a déclaré Diana Semaan.