En réaction à l’allocution télévisée du président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokaïev, le 7 janvier au matin, dans laquelle il appelle les forces de sécurité à « tirer sans sommation » sur toute nouvelle émeute au lendemain des récentes violences et manifestations d’ampleur, Marie Struthers, directrice pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale à Amnesty International, a déclaré :
« Les autorités kazakhes ont le devoir de maintenir l’ordre. Pourtant, donner carte blanche aux policiers et aux militaires pour tirer sans sommation est illégal et conduit tout droit à la catastrophe. Cela risque d’ouvrir la voie à des réactions irréfléchies se traduisant par des homicides illégaux. Si cet ordre n’est pas immédiatement et clairement retiré, le bilan des droits humains du Kazakhstan, déjà déplorable, et la crise qu’il a engendrée, ne feront qu’empirer.
Les autorités kazakhes ont le devoir de maintenir l’ordre. Pourtant, donner carte blanche aux policiers et aux militaires pour tirer sans sommation est illégal et conduit tout droit à la catastrophe. Cela risque d’ouvrir la voie à des réactions irréfléchies se traduisant par des homicides illégaux
Marie Struthers, directrice pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale à Amnesty International
« Aux termes du droit international, les policiers ne doivent utiliser la force meurtrière qu’en dernier recours, seulement lorsque cela est strictement nécessaire, soit pour se protéger eux-mêmes, soit pour protéger d’autres personnes contre une menace imminente de mort ou de blessure grave, et seulement si tous les autres moyens de désamorcer la situation ont échoué.
« Lorsque le recours à la force et aux armes à feu est strictement nécessaire, les principes de l’ONU en la matière sont limpides. Les forces de sécurité doivent toujours avertir clairement qu’elles sont sur le point d’ouvrir le feu – sauf si ce faisant elles se mettent elles-mêmes ou d’autres en danger. Ne pas donner d’avertissement accroît le risque que des innocents se trouvant sur les lieux soient grièvement blessés ou tués. Cette déclaration leur ordonnant de tirer sans sommation est très dangereuse et pointe une politique qui revient à ” tuer d’abord, réfléchir ensuite “.
« La présence d’individus ou de groupes violents n’exonère pas les forces de sécurité kazakhes de leur obligation de protéger le droit de réunion pacifique. »
Complément d’information
Le 2 janvier, des manifestations ont éclaté dans la région de Mangystau dans le sud-est du Kazakhstan en raison de la hausse des prix du gaz, avant de se répandre dans d’autres grandes villes du pays, dont la principale, Almaty.
Les manifestations ont commencé à dégénérer lorsque des groupes importants de personnes ont pris d’assaut et incendié les bâtiments administratifs de la ville d’Almaty, et volé des armes à feu aux forces de l’ordre. En réaction, la police a tiré des grenades assourdissantes et du gaz lacrymogène en direction des manifestant·e·s, et a par la suite utilisé des armes à feu. Des vidéos et des récits de témoins attestent que les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur la foule, y compris près de la place de la République à Almaty, le 6 janvier.
Les autorités ont également restreint l’accès à Internet et à d’autres moyens de communication et mis en garde tous les médias contre toute « violation » de la Loi sur les médias, excessivement restrictive, en vigueur au Kazakhstan. La communication avec la population au Kazakhstan, et particulièrement à Almaty, est gravement perturbée et au mieux intermittente.
Le ministère de l’Intérieur a annoncé plus de 3 800 arrestations et confirmé les chiffres de centaines de blessés et de 26 morts parmi les manifestant·e·s et les policiers. Le nombre de morts parmi les manifestant·e·s est sans doute bien plus élevé, étant donné que des militant·e·s et la police avaient parlé de « dizaines » de victimes et que le président Kassym-Jomart Tokaïev en avait évoqué des « centaines ».
La police a arrêté de manière arbitraire et interrogé au moins deux journalistes d’Azzattyk, le service radio local de Radio Free Europe/Radio Liberty, le 4 janvier, et d’autres professionnel·le·s des médias depuis.
Le 5 janvier, le gouvernement du Kazakhstan a sollicité l’aide militaire de la Russie et de ses allies régionaux dans le cadre de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), qui ont promis d’envoyer collectivement près de 3 000 soldats, soi-disant pour rétablir l’ordre à la suite des violences et de faire face à une « menace » extérieure non précisée.
Cela fait des années que les autorités répriment les droits fondamentaux de la population kazakhe, en interdisant non seulement les manifestations pacifiques, mais également les partis politiques d’opposition.De nombreux leaders de manifestations pacifiques, défenseur·e·s des droits humains, blogueur·euse·s et autres ont été arrêtés et emprisonnés à l’issue de procès iniques. En 2011, au moins 14 manifestants ont été tués après la violente répression d’une manifestation par la police à Janaozen. Ces faits n’ont pas fait l’objet d’une enquête exhaustive et efficace.
Au titre du droit international et des normes internationales, les responsables de l’application des lois ne doivent utiliser les armes à feu qu’en dernier recours, lorsque cela est nécessaire pour se protéger eux-mêmes ou protéger d’autres personnes contre une menace imminente de mort ou de blessure grave.
Selon les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois : « [L]es responsables de l’application des lois doivent se faire connaître en tant que tels et donner un avertissement clair de leur intention d’utiliser des armes à feu, en laissant un délai suffisant pour que l’avertissement puisse être suivi d’effet, à moins qu’une telle façon de procéder ne compromette indûment la sécurité des responsables de l’application des lois, qu’elle ne présente un danger de mort ou d’accident grave pour d’autres personnes ou qu’elle ne soit manifestement inappropriée ou inutile vu les circonstances de l’incident ».