Voilà cinq ans aujourd’hui que la défenseure des droits humains liés à l’environnement Berta Cáceres a été assassinée chez elle, au Honduras.
Elle est l’une des centaines de défenseur·e·s des droits humains tués en 2016 en raison de leur travail pacifique, et des centaines d’autres défenseur·e·s ont été tués à leur tour chaque année depuis. Les responsables de ces agissements sont rarement traduits en justice. Bien que certaines personnes aient été déclarées coupables du meurtre de Berta Cáceres, d’autres qui auraient été impliquées dans le meurtre n’ont toujours pas été amenées à rendre des comptes.
C’est une histoire bien connue qui dure, au Honduras et dans le monde : les responsables de meurtres de défenseur·e·s des droits humains restent souvent impunis.
Cette semaine, je présente mon dernier rapport au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, à Genève, et il porte sur les homicides de défenseur·e·s des droits humains et les menaces qui, souvent, précèdent ces homicides.
Au moins 281 défenseur·e·s des droits humains ont été tués en 2019, et un nombre similaire devrait être recensé pour 2020. Si aucune mesure radicale n’est prise immédiatement, des centaines d’homicides sont à prévoir encore une fois cette année.
Depuis 2015, au moins 1 323 défenseur·e·s ont été tués. Si l’Amérique latine est chaque année la région la plus touchée, et les défenseur·e·s des droits humains liés à l’environnement comme Berta Cáceres sont souvent les plus ciblés, il s’agit toutefois d’un problème mondial.
Au moins 281 défenseur·e·s des droits humains ont été tués en 2019, et un nombre similaire devrait être recensé pour 2020. Si aucune mesure radicale n’est prise immédiatement, des centaines d’homicides sont à prévoir encore une fois cette année.
Entre 2015 et 2019, des défenseur·e·s des droits humains ont été tués dans 64 pays, ce qui représente un tiers des États membres des Nations unies. Les personnes travaillant sur le sujet s’accordent à dire que le nombre de cas signalés est souvent en dessous de la réalité. Le nombre de défenseur·e·s tués est largement plus élevé que ce que montrent les chiffres dont nous disposons.
Nous savons que sur chaque continent, en ville ou à la campagne, dans les démocraties ou les dictatures, des gouvernements et d’autres forces menacent et tuent des défenseur·e·s des droits humains. Nombre de ces personnes, comme Berta Cáceres, sont tuées dans le contexte de grands projets commerciaux.
Pourquoi tant de gouvernements et d’autres acteurs tuent-ils des défenseur·e·s des droits humains œuvrant pacifiquement à la défense de leurs droits et de ceux des autres ? En partie parce qu’ils le peuvent, puisqu’ils savent qu’il est peu probable qu’il existe une volonté politique de sanctionner les responsables.
Bien que certains États, particulièrement ceux enregistrant un grand nombre d’homicides, aient mis en place des mécanismes de protection destinés à prévenir les risques d’attaques contre des défenseur·e·s des droits humains et à y répondre, ces défenseur·e·s se plaignent souvent que les mécanismes ne disposent pas de ressources suffisantes.
Dans de trop nombreux cas, les entreprises s’affranchissent également de leurs responsabilités en matière de prévention des attaques contre des défenseur·e·s et sont parfois même responsables de ces attaques.
Ces meurtres ne sont pas des actes de violence aléatoires qui surgissent de nulle part. Nombre de ces meurtres sont précédés de menaces. Comme l’a signalé Amnesty International, l’homicide de Berta Cáceres « était une tragédie annoncée » et la défenseure avait « signalé à plusieurs reprises avoir été victime d’agressions et de menaces de mort. Celles-ci avaient augmenté lorsqu’elle avait fait campagne contre la construction du barrage hydroélectrique d’Agua Zarca et dénoncé l’impact qu’il aurait sur le territoire de la population autochtone lenca. »
Et pourtant, son gouvernement ne l’a pas protégée, comme de trop nombreux gouvernements ne protègent pas leurs défenseur·e·s. Depuis le début de mon mandat, en mai 2020, je me suis entretenue avec des centaines de défenseur·e·s des droits humains. Nombre de ces défenseur·e·s m’ont fait part de leurs réelles craintes d’être tués et m’ont montré les menaces de mort dont ils ont été victimes, souvent en public.
Ces défenseur·e·s m’ont expliqué que certaines menaces de mort étaient proférées en personne, publiées sur les réseaux sociaux, communiquées par téléphone ou message, ou écrites sur une feuille de papier glissée sous la porte. Certaines personnes ont été ajoutées à des listes de cibles, d’autres ont reçu un message de menace par un intermédiaire, d’autres encore ont vu un message de menace peint sur leur domicile. D’autres personnes ont reçu des photos par courrier montrant qu’elles et leur famille étaient sous surveillance depuis longtemps, et certaines ont reçu des menaces de mort visant leur famille.
Des défenseur·e·s m’ont parlé d’un cercueil envoyé au bureau d’une ONG, d’une balle laissée sur une table à manger à leur domicile, de photos retouchées publiées sur Twitter les représentant victimes d’une attaque à la hache ou au couteau, ou encore d’une tête d’animal accrochée à la porte du bureau de leur organisation.
Ce n’est pas si compliqué. Il revient aux États de trouver la volonté politique d’empêcher les homicides en répondant mieux aux menaces dont sont victimes les défenseur·e·s des droits humains et en amenant les responsables à rendre des comptes.
Les personnes faisant campagne en faveur des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes, les femmes défenseures des droits humains et les défenseur·e·s des droits humains transgenres sont souvent la cible d’attaques fondées sur le genre en raison de leur identité et de leurs activités. Les femmes et les personnes LGBTI revendiquant des droits dans des contextes patriarcaux, racistes ou discriminatoires sont souvent la cible d’attaques spécifiques, notamment de violences sexuelles, de diffamation et de stigmatisation.
Les homicides de défenseur·e·s des droits humains ne sont pas inévitables, nombre sont signalés bien avant qu’ils se produisent, et pourtant, les gouvernements continuent, chaque année, de ne pas fournir les ressources nécessaires pour les empêcher et, chaque année, n’amènent pas les responsables de ces homicides à rendre des comptes. En réalité, les États devraient non seulement mettre un terme à l’impunité, mais également saluer publiquement la contribution essentielle des droits humains aux sociétés.
Cette semaine, je rappellerai une nouvelle fois à l’ONU que ses membres manquent à leurs obligations morales et juridiques de prévenir les homicides de défenseur·e·s des droits humains. Rien ne sert aux gouvernements de se tordre les mains et de dire que le meurtre de Berta Cáceres et d’autres défenseur·e·s est un terrible problème et que quelqu’un devrait faire quelque chose pour y faire face.
Ce n’est pas si compliqué. Il revient aux États de trouver la volonté politique d’empêcher les homicides en répondant mieux aux menaces dont sont victimes les défenseur·e·s des droits humains et en amenant les responsables à rendre des comptes.