10 choses que le nouveau gouvernement du Burundi peut faire pour améliorer la situation des droits humains

Le nouveau gouvernement du Burundi, sous la direction du président Evariste Ndayishimiye, a prêté serment un peu plus tôt que prévu suite au décès soudain du président sortant Pierre Nkurunziza au mois de juin 2020. Ces cinq dernières années ont été marquées par une détérioration rapide du respect des droits humains. Amnesty International recommande au gouvernement du Burundi de s’intéresser en priorité aux 10 domaines suivants pour améliorer la situation des droits humains dans le pays. 

  1. Mettre fin à l’impunité pour les responsables de violations des droits humains

Ces cinq dernières années, les graves atteintes aux droits humains, y compris les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, les arrestations et détentions arbitraires, la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants, se sont multipliées. Celles-ci étaient imputables principalement à la police, au Service national de renseignement (SNR) et à la branche jeunesse du parti au pouvoir, les Imbonerakure. Pour rompre avec ces pratiques, le nouveau gouvernement doit mettre fin à l’impunité en traduisant en justice les responsables présumés de ces violations. En octobre 2019, à Muyinga, quatre membres des Imbonerakure ont été déclarés coupables de l’homicide d’un membre du parti de l’opposition, le Congrès national pour la liberté (CNL). Rendre justice, comme ce fut le cas dans cette affaire, doit devenir la nouvelle norme au Burundi.

Dans son discours d’investiture, Evariste Ndayishimiye a déclaré : « Tous ceux qui commettent des délits, membres du gouvernement ou autres dignitaires, qu’ils soient traduit (sic) devant les juridictions compétentes. Tous les délits doivent être punis pour éviter de retomber dans les mêmes erreurs du passé. » Il a également promis une réforme de la justice. Son nouveau gouvernement doit veiller à ce que des enquêtes rapides, impartiales, indépendantes et efficaces soient menées sur les atteintes aux droits humains. Les membres des forces de sécurité soupçonnés de s’être livrés à de tels actes et les représentant·es de l’État ayant ordonné ou cautionné ces violations doivent être suspendus jusqu’à la fin des enquêtes et, s’il existe suffisamment de preuves recevables, les personnes soupçonnées de porter une responsabilité pénale doivent être poursuivies et jugées équitablement.

  1. Démobiliser les Imbonerakure

Les Imbonerakure, la branche jeunesse du parti au pouvoir Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), jouent divers rôles, dont certains relèvent de l’action politique classique. Des groupes d’Imbonerakure ont intimidé et attaqué des membres des partis politiques d’opposition, ils menacent et violentent les personnes qui refusent d’adhérer au parti au pouvoir. La majorité des réfugié·e·s burundais avec lesquels Amnesty International s’est entretenue dans le cadre de ses recherches depuis 2016 a déclaré avoir fui en raison du climat d’insécurité créé par les Imbonerakure.

Depuis 2014, les Imbonerakure font aussi partie de comités de sécurité mixtes au niveau local. Ils opèrent fréquemment au nom de la police et du Service national de renseignement (SNR) ou à leurs côtés. Dans ce contexte, ils procèdent à des arrestations souvent arbitraires et commettent d’autres atteintes aux droits humains. Il est dangereux qu’un groupe politique joue un rôle actif en matière de sécurité, en renfort voire en remplacement des forces de sécurité officielles. Il faut désormais que les Imbonerakure soient tenus à l’écart des questions de sécurité. De plus, le parti au pouvoir doit rapidement mettre fin au traitement réservé par la branche jeunesse à ses opposant·e·s réels ou supposés, qui repose sur la violence, le harcèlement et les manœuvres d’intimidation. Quiconque arme les Imbonerakure ou leur ordonne de commettre des actes qui s’apparentent à des atteintes aux droits humains doit être amené à rendre des comptes.

  1. Révéler le sort des victimes de disparition forcée
Marie-Claudette Kwizera
Marie-Claudette Kwizera

La multiplication des disparitions forcées depuis 2015 est particulièrement effrayante. Marie-Claudette Kwizera, une défenseure des droits humains de la Ligue Iteka, a été enlevée à Bujumbura en décembre 2015. La Commission d’enquête des Nations unies sur le Burundi a indiqué avoir des informations crédibles selon lesquelles elle aurait été tuée quelques jours après sa disparition, après avoir été emmenée dans les locaux du SNR. Le journaliste Jean Bigirimana aurait été arrêté par des agents du SNR à Bugarama (province de Muramvya) le 22 juillet 2016. En dépit de l’enquête menée par son employeur, le groupe de presse Iwacu, la police et la Commission nationale indépendante des droits de l’homme du Burundi (CNIDH), il n’a jamais été retrouvé.

Il faut que le nouveau gouvernement mette fin immédiatement aux disparitions forcées, mène des enquêtes approfondies et, lorsque cela est possible, poursuive les auteurs présumés de disparitions forcées, et révèle aux familles ce qu’il est advenu de leurs proches. Le gouvernement doit également ratifier et mettre en œuvre la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Le Burundi a signé ce traité en 2007.

  1. Libérer les prisonniers et prisonnières d’opinion
Le défenseur des droits humains burundais Germain Rukuki
Le défenseur des droits humains burundais Germain Rukuki

Plusieurs défenseurs des droits humains et journalistes ont été arrêtés et déclarés coupables dans le cadre de la répression de la société civile et des journalistes. Germain Rukuki, un ancien employé de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture au Burundi (ACAT-Burundi), a été arrêté en juillet 2017. Le 26 avril 2018, il a été déclaré coupable de plusieurs infractions, dont l’atteinte à la sûreté intérieure de l’État, et condamné à 32 ans d’emprisonnement. De même, Nestor Nibitanga a été déclaré coupable d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’État » et condamné à cinq ans d’emprisonnement en août 2018. Il était accusé d’avoir établi des rapports pour le compte de l’Association burundaise pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH) après que les autorités avaient ordonné la cessation des activités de l’organisation, ce qu’il réfute.

En octobre 2019, les journalistes du groupe de presse Iwacu Agnès Ndirubusa, Christine Kamikazi, Egide Harerimana et Térence Mpozenzi ont été arrêtés avec leur chauffeur, Adolphe Masabarakiza, alors qu’ils allaient couvrir des affrontements entre les forces de sécurité et un groupe armé dans la province de Bubanza. Adolphe Masabarakiza a été relaxé mais les quatre journalistes ont été condamnés à deux ans et demi d’emprisonnement et à une amende d’un million de francs burundais (environ 525 dollars des États-Unis) chacun pour « tentative impossible d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État ».

Amnesty International considère ces six personnes comme des prisonniers et prisonnières d’opinion, déclarés coupables et condamnés uniquement pour avoir exercé de manière pacifique leurs droits humains. Ils doivent être remis en liberté immédiatement et sans condition.

  1. Faire de la progression des droits des femmes une priorité

Cinq des 16 ministres du nouveau gouvernement sont des femmes. Le quota fixé à 30 % par la Constitution est donc respecté. La proportion était similaire dans le gouvernement précédent. Amnesty International encourage le nouveau gouvernement à ne pas se limiter à la représentation et à faire du renforcement de la promotion et du respect des droits des femmes l’une de ses priorités car des mesures discriminatoires ont été imposées aux femmes et aux filles ces dernières années.

La Commission d’enquête des Nations unies sur le Burundi a recueilli des informations sur de nombreux cas de violences sexuelles, dont les victimes étaient principalement des femmes et, dans une moindre mesure, des filles et des hommes. Elle a découvert que la plupart de ces agressions étaient commises par des représentants de l’État ou des membres des Imbonerakure. Le viol, en particulier en réunion, servait à intimider ou à punir des femmes en raison de leurs opinions politiques supposées ou de celles de leur mari ou d’autres hommes de leur famille.

  1. Créer un environnement sûr pour le retour des personnes réfugiées

Dans son discours d’investiture le 18 juin, Evariste Ndayishimiye a appelé les Burundais·es ayant fui le pays et qui souhaitaient rentrer à le faire. Alors que des retours de Tanzanie sont organisés depuis 2017, des Burundais·es ont continué de quitter le pays à un rythme régulier en raison du climat de peur qui y règne. Pour que ces retours soient véritablement volontaires, conformément au droit international, les personnes réfugiées ne doivent pas se sentir contraintes de rentrer parce que des fonctionnaires leur adressent des messages d’intimidation ou parce qu’elles n’ont plus accès aux services élémentaires. Certaines personnes qui sont rentrées au Burundi ont eu des difficultés à se réintégrer car elles n’ont pas reçu un appui suffisant. D’autres ont été accusées de soutenir l’opposition et menacées ou agressées physiquement par les Imbonerakure.  Il faut que le nouveau gouvernement veille à ce que les personnes réfugiées qui rentrent ne subissent pas de représailles et aient accès aux services.

Le nouveau gouvernement doit montrer qu’il s’attaque aux problèmes qui ont conduit ces personnes à s’exiler, comme les violations commises par les Imbonerakure et le fait que la société civile continue d’être prise pour cible. En février 2020, la Cour suprême a examiné l’affaire de 12 défenseur·e·s des droits humains et journalistes inculpés d’« insurrection ». En raison de leur opposition au troisième mandat de Pierre Nkurunziza, ceux-ci étaient accusés d’avoir participé à la tentative de coup d’État de mai 2015. Aucun d’eux n’était présent au procès ; ils étaient tous en exil.

  1. Promouvoir un dialogue efficace

Evariste Ndayishimiye a également souligné l’importance du dialogue dans la tradition burundaise et a encouragé tous les Burundais·es à exercer leur droit à la liberté d’expression. Dans la foulée, il a défié les partis politiques : « Si on n’a pas le même langage avec un gouvernement élu, de quel autre gouvernement se revendique-t-on ? » Il a également accusé certains défenseur·e·s des droits humains d’être à la solde des « colons ».

Si le nouveau gouvernement est réellement attaché aux droits humains, il doit, par ses mots et ses actes, indiquer clairement et sans équivoque que le droit à la liberté d’expression doit être respecté, protégé, promu et concrétisé pleinement et efficacement au Burundi. Il doit également indiquer clairement que les actes d’intimidation, de répression et de violence visant des personnes qui sont en désaccord avec le parti au pouvoir ne sauraient être tolérés.

Exhumation de fosse commune
Exhumation de fosse commune
  1. Œuvrer en faveur de la vérité et de la justice

La Commission vérité et réconciliation (CVR) a été créée en 2014 pour enquêter et établir la vérité sur les graves violations des droits humains et du droit international humanitaire commises durant la période allant de 1962 à 2008, par la suite élargie pour couvrir la période depuis 1885. Le nouveau gouvernement doit également envisager de nouveau de mettre en place un mécanisme judiciaire, comme le tribunal spécial envisagé lors des négociations concernant les mécanismes de la justice de transition du Burundi, qui pourrait contribuer à mettre fin à l’impunité pour les atrocités commises par le passé.

Depuis le début de l’année 2020, la CVR a procédé régulièrement à des exhumations fortement médiatisées dans des fosses communes, dont la plupart dataient des massacres de 1972. Les exhumations et les propos tenus par des représentant·e·s de l’État à ce sujet avaient été perçus comme une tentative d’imposer un discours unique et de manipuler l’opinion publique à l’approche des élections. Ce processus, dans les conditions où il se déroule, risque de traumatiser une nouvelle fois les familles de victimes et les autres personnes qui ont survécu à ces atrocités. Le nouveau gouvernement doit se garder de manipuler politiquement la CVR.

Concrètement, les méthodes d’exhumation utilisées ne permettent pas de préserver les éléments de preuve découverts dans les charniers. Il conviendrait donc de suspendre ces opérations jusqu’à ce que des directives adéquates soient en place, de sorte que les prochaines exhumations puissent s’effectuer en toute dignité et conformément aux normes médico-légales, et que les dépouilles puissent être entreposées dans le respect des personnes défuntes. Il faut que les familles et les populations locales soient consultées afin qu’elles puissent exprimer leurs souhaits quant au sort à réserver au corps de leurs proches et à une éventuelle réinhumation.

  1. Garantir le droit à la santé
Président Evariste Ndayishimiye (G) avec son prédécesseur, feu Pierre Nkurunziza
Président Evariste Ndayishimiye (G) avec son prédécesseur, feu Pierre Nkurunziza

Le 30 juin, Evariste Ndayishimiye a annoncé de nouvelles mesures de lutte contre le COVID-19, qui marquaient un changement de cap bienvenu dans la réaction des autorités face à la pandémie. Il a déclaré que cette maladie était « le pire ennemi du Burundi » et a indiqué que des tests seraient pratiqués à plus grande échelle.  Le 20 juillet, le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé l’approbation d’un allégement du service de la dette du Burundi qui permettrait de « dégager des ressources publiques pour faire face à la pandémie ».

À l’avenir, le nouveau gouvernement doit veiller à ne pas stigmatiser les personnes atteintes par le COVID-19. Le 30 juin, Evariste Ndayishimiye a déclaré que les personnes qui présentaient des symptômes du COVID-19 mais refusaient de passer le test seraient considérées comme des sorciers et traitées aussi sévèrement. Sachant que des personnes accusées de sorcellerie dans le pays ont été la cible de violences collectives, Amnesty International appelle le président à indiquer de toute urgence et sans équivoque que le gouvernement ne cautionnerait pas de tels actes.

Il faut que le gouvernement veille à ce que des mesures adaptées soient prises pour protéger la population de toute exposition évitable au COVID-19 et que ces mesures rentrent dans le cadre de la loi et respectent les droits humains. Le gouvernement doit faciliter et non entraver les efforts déployés par la population burundaise pour protéger la santé publique et personnelle. En mars 2020, le porte-parole du gouvernement a prévenu que les institutions prenant des mesures de protection volontaristes face à la pandémie de COVID-19 (fermeture des écoles, par exemple) seraient sanctionnées au motif que ces actes « devancent le gouvernement » et sont des tentatives « de désorientation et de manipulation de l’opinion ». Cette déclaration risque de dissuader la population de prendre des mesures volontaristes pour protéger la santé publique.

  1. Renouer les relations internationales

Evariste Ndayishimiye a également évoqué la nécessité d’améliorer l’image du Burundi à l’étranger sur la base du respect mutuel, de la complémentarité et d’une compréhension renforcée, tout en mettant en garde contre « certains pays ou organisations » qui tentent d’imposer « des choses qui vont à l’encontre de la culture ancestrale des Burundais ». Les relations entre le Burundi et de nombreux pays sont tendues depuis le début de la crise politique en 2015. En 2016, l’Union européenne (UE) a suspendu son aide financière directe à l’État burundais.

L’ancien gouvernement a mis fin à presque tous ses engagements internationaux sur les questions de droits humains, notamment en ordonnant la fermeture du bureau des Nations unies chargé des droits humains dans le pays, mais l’Union africaine a toutefois conservé une équipe d’observateurs des droits humains sur place. En 2018, les trois membres de la Commission d’enquête sur le Burundi mandatée par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies ont été déclarés personæ non gratæ. Outre le recueil d’informations et l’établissement de rapports, la Commission a pour mission de dialoguer avec le gouvernement, pour fournir à celui-ci un appui et des conseils pour améliorer la situation des droits humains dans le pays et combattre l’impunité. Amnesty International exhorte le nouveau gouvernement à collaborer à nouveau avec les mécanismes internationaux et régionaux de protection des droits humains. Plus largement, la reprise des relations et de la coopération internationales devrait permettre de rouvrir d’importants canaux d’appui financier et technique en faveur de la concrétisation progressive des droits sociaux et économiques au Burundi.

 L’agenda détaillé est disponible ici.