Malaisie. Le nouveau gouvernement doit enfin créer la commission d’enquête sur les abus de la police et engager des réformes majeures sur le terrain des droits humains

Les changements au niveau du gouvernement malaisien doivent favoriser et non ralentir les réformes relatives aux droits humains, notamment les initiatives visant à établir une commission indépendante chargée d’enquêter sur les abus de la police, a déclaré Amnesty International le 6 juillet 2020.

Dans sa nouvelle synthèse publiée ce jour, à l’approche de la session parlementaire de juillet, Amnesty International demande à la Malaisie de saisir cette occasion historique de mettre en œuvre des réformes de la police indispensables et de mettre enfin sur pied la commission indépendante d’enquête sur les plaintes et les cas d’abus mettant en cause la police (IPCMC), dont le projet est né il y a 15 ans déjà.

« Depuis des années, les allégations d’abus commis par la police passent régulièrement sous le tapis en Malaisie, a déclaré Rachel Chhoa-Howard, chercheuse sur la Malaisie à Amnesty International. Le nouveau gouvernement doit montrer la voie en menant à bien la création de la commission indépendante d’enquête sur les plaintes et les cas d’abus mettant en cause la police (IPCMC). Le passé a montré qu’il est illusoire de vouloir améliorer l’application des lois et renforcer la légitimité des services de police dans le pays, tant qu’une commission réellement indépendante n’est pas mise en place. »

Le projet de loi relatif à cette commission a connu de multiples ajustements depuis qu’il a été présenté pour la première fois devant le Parlement en juillet 2019. Il comportait 24 amendements lorsqu’il a été présenté en deuxième lecture au mois d’octobre et la Commission parlementaire spéciale aurait apporté 13 autres amendements en décembre.

« Prévenir les abus imputables à la police doit être une priorité, d’autant que les missions d’application des lois sont aujourd’hui examinées à la loupe dans le monde entier, a déclaré Rachel Chhoa-Howard. Les réponses des gouvernements au COVID-19, et l’attention accrue portée aux violences policières de Hong Kong aux États-Unis, rappellent aux Malaisiens que leur gouvernement doit mettre en place des contrôles afin de prévenir les comportements répréhensibles de la part des policiers. C’est une occasion historique de mettre en œuvre le changement. »

Réformer la police

Au fil des ans, les informations faisant état d’atteintes aux droits humains, notamment de violences infligées à des personnes en détention, ayant parfois entraîné la mort, ont terni la réputation de la police royale de Malaisie. D’après les recherches effectuées par Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains, les abus de la police perdurent et les responsables présumés n’ont pas été amenés à rendre des comptes.

Le nouveau gouvernement de Malaisie doit s’engager à respecter, protéger et réaliser pleinement les droits humains en menant d’autres réformes relatives aux droits, conformément aux promesses faites à la population de Malaisie en 2018.

Rachel Chhoa-Howard

Dans sa synthèse, Amnesty International analyse le projet de commission de surveillance de la police, donne des exemples de cas d’abus auxquels un organe de contrôle efficace pourrait remédier et met en avant les sections du projet de décret d’application qui pourraient être renforcées.

Pour que la commission de surveillance de la police ait réellement les pouvoirs de remédier aux abus commis, Amnesty International formule les recommandations suivantes :

  • Le gouvernement malaisien doit faire en sorte que la commission indépendante d’enquête sur les plaintes et les cas d’abus mettant en cause la police (IPCMC) accorde la priorité aux graves violations des droits humains imputables à la police, notamment aux décès en garde à vue ou résultant d’une action de la police. La commission doit jouir d’une indépendance opérationnelle totale par rapport à l’exécutif et ne pas subir d’ingérences politiques, y compris au niveau de la nomination de ses membres.
  • Pour que les plaintes déposées devant l’IPCMC soient dûment examinées, l’organe de surveillance doit se voir accorder les pleins pouvoirs d’enquête, similaires à ceux d’un enquêteur de police et à ceux de l’actuelle Commission d’intégrité de l’agence malaisienne de l’application des lois (EAIC). Il doit aussi pouvoir transmettre des affaires au bureau du procureur aux fins de poursuites et faire appel des décisions de non-poursuites, s’il n’est pas satisfait de la décision du procureur dans une affaire.
  • En vue de parvenir à une transparence totale et de rétablir la confiance de la population, l’IPCMC doit examiner les plaintes en temps voulu et tenir les plaignants informés des investigations en cours. La société civile doit jouer un rôle actif dans le travail de la commission, afin d’attirer l’attention sur des problèmes importants de maintien de l’ordre et d’apporter une expertise et une contribution appréciables à la réforme des politiques.
  • Enfin, en vue de réaliser pleinement les réformes de la police, Amnesty International demande à la Malaisie de ratifier la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Autres engagements vitaux en termes de droits humains – de la peine de mort à la sédition

En marge de la création de l’IPCMC, Amnesty International invite le nouveau gouvernement malaisien à faire la preuve de son engagement envers les droits humains. Un test décisif sera l’avancement de réformes essentielles, comme l’abolition totale de la Loi sur la sédition et de la peine de mort à titre de châtiment obligatoire.

Les autorités malaisiennes invoquent régulièrement des dispositions légales, parmi lesquelles le Code pénal, la Loi sur les communications et le multimédia et la Loi relative à la sédition, pour s’en prendre à des manifestant·e·s pacifiques.

La Loi relative à la sédition érige en infraction toute une série d’actes, notamment ceux « tendant à inciter au mécontentement envers les personnes qui exercent le pouvoir ou envers le gouvernement », ou le fait de « remettre en cause un sujet » protégé par la Constitution malaisienne.

Les personnes reconnues coupables sont passibles de trois années d’emprisonnement et d’une amende de 5 000 ringgits (1 030 euros environ). La loi sur la sédition n’est pas conforme au droit international relatif aux droits humains ni aux normes internationales en la matière. Elle viole le droit à liberté d’expression, reconnu dans l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et garanti par l’article 10 de la Constitution malaisienne.

En 2018, le gouvernement a annoncé qu’il allait abolir la peine de mort pour tous les crimes. Depuis, il observe un moratoire officiel sur toutes les exécutions. En 2019, il a mis sur pied une commission spéciale chargée d’étudier les politiques en matière de peines afin de remplacer la peine capitale obligatoire par d’autres châtiments et de faire des recommandations au gouvernement.

Amnesty International appelle le gouvernement à s’assurer que les modifications législatives soient rapidement présentées au Parlement afin d’aligner la législation nationale sur le droit international relatif aux droits humains et les normes en la matière, première étape essentielle vers l’abolition totale de ce châtiment.

« Le nouveau gouvernement de Malaisie doit s’engager à respecter, protéger et réaliser pleinement les droits humains en menant d’autres réformes relatives aux droits, conformément aux promesses faites à la population de Malaisie en 2018, a déclaré Rachel Chhoa-Howard. Amnesty International est prête à travailler avec le gouvernement pour la création d’une IPCMC efficace et la mise en œuvre d’autres réformes majeures dans le domaine des droits humains.

« En adoptant le projet de loi visant à créer une solide commission indépendante d’enquête sur les plaintes et les cas d’abus mettant en cause la police, le gouvernement montrerait sa détermination à réformer la police et l’état de droit, et à s’engager à respecter et garantir les droits fondamentaux de tous les citoyen·ne·s, a déclaré Chhoa-Howard.

« Lors des élections de 2018, on a promis aux Malaisien·ne·s que la police aurait l’obligation de rendre des comptes. Il est temps que cette promesse soit tenue. »