En 2019, les autorités ont renforcé les restrictions apportées à la liberté d’expression, n’ont pas respecté l’engagement qu’elles avaient pris de légiférer contre la torture et les disparitions forcées et se sont employées à réduire la marge de manœuvre dont disposait la société civile pour défendre et promouvoir les droits humains, a déclaré Amnesty International à l’occasion de la publication de son rapport annuel sur la situation dans la région Asie-Pacifique, le jeudi 30 janvier 2020.
Intitulé Human Rights in Asia-Pacific: Review of 2019, ce document offre l’analyse la plus complète à ce jour de la situation actuelle des droits fondamentaux sur le plus vaste continent de la planète.
Au Pakistan, Amnesty International a constaté que les disparitions forcées s’étaient poursuivies sans relâche, ainsi que les actes de torture, la violence à l’encontre des femmes, la censure des médias et le harcèlement à l’égard des minorités ethniques et religieuses. Malgré cette situation, la population a pris part tout au long de l’année à de vastes manifestations pacifiques pour défendre les droits des femmes, des étudiants et des Cachemiris, et pour protester contre les disparitions forcées.
« Il est de plus en plus difficile de lutter pour les droits humains au Pakistan, à une époque où les autorités continuent à soumettre des personnes à des disparitions forcées, à censurer les journalistes, à sévir contre les manifestations pacifiques et à exercer leur répression au moyen de lois draconiennes, a déclaré Omar Waraich, directeur adjoint pour l’Asie du Sud à Amnesty International.
« Cependant, 2019 a également vu le réveil de la population pakistanaise, qui a revendiqué le respect de ses droits en descendant dans la rue pour protester contre les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires, pour soutenir les droits des femmes et des étudiants et pour réclamer la justice climatique. »
Les disparitions forcées continuent en toute impunité
Parmi les victimes de disparitions forcées, on compte des militants politiques, des étudiants, des journalistes, des défenseurs des droits humains et des musulmans chiites, en particulier dans les provinces du Sind et du Baloutchistan. Si des centaines de victimes de disparitions forcées ont été remises en liberté en 2019, personne n’a jamais eu à rendre de comptes.
La promulgation de l’Ordonnance relative aux forces armées dans la province de Khyber Pakhtunkhwa (assistance aux autorités civiles) contredit l’engagement qu’a pris le gouvernement d’ériger les disparitions forcées en infraction. Ce texte accorde un certain nombre de pouvoirs abusifs aux organes chargés du maintien de l’ordre, y compris la capacité de maintenir des personnes en détention dans la province sans qu’elles soient jugées ni même inculpées.
« Les disparitions forcées ont meurtri la population et détruit des familles dans tout le Pakistan, dans la plus parfaite impunité. Il est grand temps d’ériger définitivement cette pratique cruelle en infraction », a déclaré Omar Waraich.
Des libertés menacées
Des militants politiques et des journalistes ont été pris pour cible et poursuivis au moyen de textes législatifs draconiens, comme la Loi relative à la prévention de la cybercriminalité (PECA), la Loi antiterroriste ainsi que des articles du Code pénal relatifs à la sédition et à la diffamation. Des professionnels des médias ont signalé un environnement de plus en marqué par la censure, la coercition et le harcèlement émanant des autorités.
Des journalistes ont été poursuivis par exemple pour « cyberterrorisme », « diffusion d’informations fausses et excessives » et propos haineux.
Tout doit être fait pour protéger les libertés d’expression, de réunion et d’association, qui sont consacrées par la Constitution pakistanaise et que le pays est tenu de respecter en vertu du droit international.
Omar Waraich
Les autorités ont intensifié la répression visant le Pashtun Tahaffuz Movement (PTM, Mouvement pour la protection des Pachtounes), qui lutte contre les violations des droits humains. Elles ont arrêté et arbitrairement maintenu en détention des dizaines de sympathisants du mouvement, et les ont placés sous surveillance, intimidés, poursuivis en justice et menacés de violence.
En février 2019, Arman Luni, un militant du PTM de la province du Baloutchistan, est mort après avoir été frappé par des policiers à la suite d’une manifestation pacifique à laquelle il avait participé dans le district de Loralai. Ce même mois, Mohsin Dawar et Ali Wazir, deux parlementaires soutenant le PTM, ont été arrêtés alors qu’ils étaient en tête d’un cortège. Au moins 13 personnes ont été tuées, dont trois sympathisants du PTM, lorsque le feu a été ouvert sur le cortège.
Gulalai Ismail, une défenseure des droits humains qui s’est battue contre les violences à l’encontre des femmes et les disparitions forcées, a été inculpée de sédition, terrorisme et diffamation en mai 2019. En août, elle s’est enfuie aux États-Unis. Sa famille a été soumise à de graves actes d’intimidation par les organes chargés du maintien de l’ordre.
La législation relative au blasphème a continué à être utilisée pour harceler des personnes et permettre des violations des droits humains au Pakistan. En décembre 2019, Junaid Hafeez, un professeur accusé de blasphème, a été condamné à la peine de mort par un tribunal de Moultan. Incarcéré depuis 2013, il a été maintenu à l’isolement la plupart du temps.
« Tout doit être fait pour protéger les libertés d’expression, de réunion et d’association, qui sont consacrées par la Constitution pakistanaise et que le pays est tenu de respecter en vertu du droit international », a déclaré Omar Waraich.
Le changement climatique sur le devant de la scène
Le changement climatique et ses répercussions au Pakistan ont pris une part plus importante dans le débat public. L’économie agraire du pays reste vulnérable au changement climatique, vulnérabilité qui a des conséquences directes sur les droits à l’eau et à l’alimentation de millions de personnes à travers le pays, et donc sur leurs droits à la santé et à la vie. Les inquiétudes grandissantes à ce sujet sont notamment apparues lors de la toute première grève pour le climat au Pakistan, en septembre 2019.
En novembre et en décembre 2019, la pollution de l’air a atteint des niveaux dangereux dans plusieurs grandes villes pakistanaises, notamment à Lahore. Les écoles ont dû fermer leurs portes pendant au moins trois jours à cause du nuage de pollution, et le nombre de maladies respiratoires a fortement augmenté. Le gouvernement a annoncé qu’il allait prendre des mesures spécifiques en réponse à cette crise, comme l’amélioration de la qualité des carburants et l’enclenchement de la transition vers des véhicules électriques.
« Le gouvernement pakistanais doit faire bien davantage pour répondre efficacement à la crise climatique, et l’engagement qu’il a pris en ce sens est un signe encourageant. Cela fait trop longtemps que la santé des Pakistanais et Pakistanaises, et même leur vie, sont mises en danger par la pollution atmosphérique et par le changement climatique pour que les autorités puissent se contenter d’attendre que la situation se calme », a déclaré Omar Waraich.