Le combat de Beatrice Fihn pour l’abolition des armes nucléaires

Cet article a initialement été publié par The Lily.

Il y a un an, Beatrice Fihn, directrice exécutive de l’ONG ICAN (Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires), organisation lauréate du prix Nobel, se trouvait à Nagasaki, au Japon, lorsqu’une alerte annonçant l’arrivée d’un missile balistique a semé la panique à Hawaï.

C’était une fausse alerte, qui s’est avérée résulter d’une erreur humaine. Mais pour Beatrice Fihn, cet événement est venu rappeler de façon saisissante que, plus de 70 ans après la destruction de Nagasaki par une bombe atomique, la menace de guerre nucléaire était toujours aussi présente.

Dans son discours de réception du prix Nobel de la paix 2017 au nom d’ICAN, coalition qui rassemble des centaines d’organisations locales, Beatrice Fihn a émis une mise en garde, soulignant que le risque de l’utilisation d’armes nucléaire était encore plus grand aujourd’hui qu’à la fin de la guerre froide. Beatrice Fihn a cité le terrorisme, l’augmentation du nombre de pays détenteurs de l’arme nucléaire et la cyberguerre comme autant de facteurs accroissant l’insécurité.

« Les gens étaient terrifiés, et à juste titre, a déclaré Beatrice Fihn, évoquant la panique qui avait envahi Hawaï, dont la population était déjà tendue en raison des dissensions croissantes entre les États-Unis et la Corée du Nord. Avec la crise entre l’Amérique et la Corée du Nord, Hawaï est devenue une cible. Les gens se demandaient quoi faire des 20 dernières minutes de leur vie. »

Les organisations de défense des droits humains telles qu’Amnesty International considèrent depuis longtemps que les armes nucléaires sont les armes les plus inhumaines, les plus destructrices et les plus aveugles jamais créées, et soutiennent les travaux d’ICAN.

Depuis plus de 10 ans, Beatrice Fihn, militante suédoise, aujourd’hui âgée de 36 ans, se bat pour l’interdiction et l’élimination des armes nucléaires. Elle évoque sans détour les préjugés auxquels elle est confrontée, étant l’une des rares figures féminines de ce secteur dominé par les hommes.

« Il est parfois difficile d’être une femme dans ce domaine », a-t-elle déclaré.

« Il est courant d’être considérée comme naïve quand on propose des solutions. Cela vient d’une perception très sexuée des bombardements et de la guerre. »

Il est courant d’être considérée comme naïve quand on propose des solutions. Cela vient d'une perception très sexuée des bombardements et de la guerre.

Beatrice Fihn, directrice d'ICAN (Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires)

« Le fait de prendre ce qu’on veut est vu comme quelque chose de très masculin, de positif, d’admirable. La recherche du compromis, en revanche, est perçue comme une stratégie faible, féminine. Il est extrêmement important qu’il y ait plus de femmes aux postes de pouvoir et que le caractère sexué de ces vues soit remis en cause. »

Une « grande bombe sale »

Beatrice Fihn a grandi à Göteborg, où elle s’est toujours intéressée à la politique et aux affaires internationales. Plus tard, elle a fait un stage pour l’une des organisations membres d’ICAN, la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, à Genève, où elle a assisté à des réunions des Nations unies et suivi les débats entre la Russie, les États-Unis et la Chine sur les armes nucléaires.

« La campagne [pour l’abolition des armes nucléaires] m’a vraiment enthousiasmée, et j’ai été intéressée par l’idée de faire évoluer les dynamiques de pouvoir et d’interpeller les pays les plus puissants du monde », a-t-elle déclaré.

Dans le monde, neuf États sont dotés d’armes nucléaires : les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France, la Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord. À eux tous, ils possèdent environ 15 000 armes nucléaires, capables de provoquer des destructions d’une ampleur catastrophique.

Les États-Unis, qui ont été le premier pays à élaborer des armes nucléaires, et la Russie, qui a été le deuxième, disposent d’environ 1 800 armes nucléaires en état de haute alerte, c’est-à-dire prêtes à être lancées dans les minutes qui suivent une alerte. La plupart de ces armes sont beaucoup plus puissantes que les bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki en 1945.

Beatrice Fihn pense que les responsables politiciques et le grand public n’ont pas suffisamment conscience du fait que ces armes pourraient anéantir des millions de vies en quelques minutes, et ne devraient pas servir d’instruments pour les jeux de pouvoir des États.

Le pouvoir des gens ordinaires

Le moment dont Beatrice Fihn est sans doute le plus fière depuis son arrivée à la tête d’ICAN, en 2013, est l’adoption par l’ONU du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, en juillet 2017. Point culminant de nombreuses années de mobilisation, le traité compte actuellement 70 signataires et 21 États parties. Il entrera en vigueur 90 jours après avoir été ratifié par 50 pays.

« L’adoption du traité a été un moment extraordinaire. Il y avait tellement de gens qui pensaient que cela ne se ferait pas. », a déclaré Beatrice Fihn.

« Nous nous sommes attachés à un projet auquel certains des pays les plus puissants étaient fermement opposés et auquel ils voulaient mettre un point d’arrêt. Et pourtant, nous avons réussi à obtenir un traité. »

Beatrice Fihn attribue ce succès étonnant aux gens ordinaires, aux groupes militants et aux ONG qui se sont mobilisés.

Beatrice Fihn a souligné l’importance d’organisations telles qu’Amnesty International pour contrer les attaques lancées par des « intérêts nationalistes » contre les droits humains, le droit humanitaire et les institutions internationales, comme le Conseil des droits de l’homme des Nations unies.

« Les organisations comme Amnesty International et ICAN doivent se saisir de cette occasion pour mener un travail de campagne et user de leur influence. Tout ce que nous faisons en tant que société civile peut avoir un impact et façonner la société. Des organisations comme Amnesty International doivent être renforcées, car c’est ainsi que nous ferons face aux menaces auxquelles nous sommes confrontés. »

Cet article a initialement été publié par The Lily.