Mexique. Les déclarations des autorités sur les avancées réalisées concernant les disparitions à Nuevo Laredo sonnent creux

Les autorités fédérales mexicaines continuent de négliger des pistes essentielles concernant l’enquête sur la disparition de 36 personnes à Nuevo Laredo, une ville frontalière du nord du pays, et ne protègent pas les familles des victimes qui ont signalé l’implication de la marine dans ces disparitions, a déclaré Amnesty International le 31 juillet.

« Le bureau du procureur général de la République perd un temps précieux dans l’enquête sur ces disparitions, ce qui permet aux personnes soupçonnées d’en être pénalement responsables d’effacer leurs traces. Les enquêteurs doivent redoubler d’efforts pour retrouver les victimes tant qu’elles sont toujours en vie, a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International.

Le bureau du procureur général de la République perd un temps précieux dans l'enquête sur ces disparitions, ce qui permet aux personnes soupçonnées d'en être pénalement responsables d'effacer leurs traces. Les enquêteurs doivent redoubler d'efforts pour retrouver les victimes tant qu'elles sont toujours en vie.

Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d'Amnesty International

« Les autorités doivent de toute urgence mettre en place des mesures de protection efficaces pour les témoins et les familles des victimes qui mettent en péril leur sécurité, leur emploi et leurs moyens de subsistance en tentant désespérément de retrouver la trace de leurs proches disparus. »

Le 22 juillet, le bureau du procureur général de la République (PGR) a annoncé avoir pris 150 mesures dans le cadre de l’enquête sur la disparition de 36 personnes entre janvier et mai à Nuevo Laredo, dans l’État de Tamaulipas.

Les informations fournies par le PGR montrent que l’enquête a accéléré depuis que le bureau du procureur spécial en charge des affaires de disparition forcée l’a prise en main, début juin, mais la quasi-totalité des 150 mesures qui ont été prises consiste en des lettres envoyées à d’autres représentants de l’État. Les enquêteurs n’ont jusqu’à présent procédé qu’à très peu d’entretiens, de visites de sites ou de missions de recherche.

De nombreuses familles de victimes ont dénoncé l’implication de la marine dans ces disparitions, se basant sur les récits de témoins et sur du matériel audiovisuel enregistré durant ces événements, mais le bureau du procureur spécial n’a jusqu’à présent inspecté aucune des bases militaires de la marine à Nuevo Laredo. Les enquêteurs ont prévenu qu’ils allaient procéder à une inspection de ces bases, mettant ainsi en alerte les éventuels suspects qui pouvaient y être stationnés, mais ils ont par la suite dit que ces visites avaient été annulées en raison de violences dans ce secteur.

Le 29 juillet, le PGR a annoncé que l’armée mexicaine avait découvert un arsenal d’armes à feu et 137 pancartes accusant la marine d’être responsable des disparitions et des homicides qui ont eu lieu à Nuevo Laredo. Ces pancartes, qui présentaient des images passe-partout et qui n’affichaient pas les noms de victimes en particulier, ne ressemblent pas à celles que les familles des victimes utilisent lors des manifestations, d’après les observations d’Amnesty International.

« Ces derniers mois, la marine a tenté, de façon répétée, de saper la légitimité de victimes de graves violations des droits humains commises à Nuevo Laredo. Le bureau du PGR doit examiner cette récente découverte de façon objective afin de ne pas léser davantage encore les proches des victimes », a déclaré Erika Guevara-Rosas.

Ces derniers mois, la marine a tenté, de façon répétée, de saper la légitimité de victimes de graves violations des droits humains commises à Nuevo Laredo. Le bureau du PGR doit examiner cette récente découverte de façon objective afin de ne pas léser davantage encore les proches des victimes.

Erika Guevara-Rosas

Des témoins et des proches de victimes ont signalé avoir reçu des menaces et été harcelés, attaqués et enlevés après avoir porté plainte auprès des autorités. Le PGR a dit qu’il avait demandé à la police fédérale de protéger au moins sept proches de victimes début juin, mais un certain nombre de proches, dont plusieurs de ceux qui ont été cités par le PGR, ont dit à Amnesty International qu’ils n’ont jusqu’à présent bénéficié d’aucune protection de la part de la police.

Dans l’annonce qu’il a récemment faite au sujet de l’enquête, le PGR n’a pas indiqué s’il avait procédé à l’examen de plusieurs éléments de preuve essentiels, notamment des empreintes digitales, des vidéos montrant des personnes être enlevées par des hommes en uniforme, ni donné d’autres informations demandées par les familles de victimes.

Une vidéo montre ce qui s’est passé au moment de l’arrestation de José Luis Bautista Carrillo, 32 ans, devant de nombreux témoins dans un commerce de pièces détachées pour voitures, le 16 mai. Les experts légistes et les spécialistes des armes d’Amnesty International ont analysé cette séquence et sont parvenus à la conclusion que les suspects étaient des professionnels entraînés équipés de véhicules, d’uniformes et d’armes – notamment de carabines Sig516 – ressemblant fortement à ceux utilisés par la marine.

Dans un autre cas, des images enregistrées par une caméra de vidéosurveillance montrent des hommes armés et en uniforme entrer dans la maison de José Daniel Trejo García à Nuevo Laredo le 27 mars, puis réapparaître avec deux hommes qu’ils embarquent dans leurs véhicules. Amnesty International a vérifié la concordance de la date et de l’adresse apparaissant dans cet enregistrement avec les informations figurant dans la plainte déposée au pénal auprès des services du PGR par l’épouse de cet homme.

L’on sait que les membres de bandes criminelles se déguisent parfois en agents des forces de sécurité, mais Amnesty International estime que les autorités disposent de suffisamment de preuves pour mener des enquêtes exhaustives, indépendantes et impartiales sur l’implication présumée de la marine dans ces disparitions.

Les chercheurs d’Amnesty International se sont rendus à Nuevo Laredo en juin et ont parlé avec des représentants de l’État et des autorités fédérales, des proches de victimes, des avocats, le médiateur pour les droits humains et d’autres experts.