Libye. Les politiques de l’UE contribuent à accroître le nombre de migrants et de réfugiés détenus

Tandis que le nombre de migrants et de réfugiés interceptés en mer par les autorités libyennes augmente, au moins 2 600 personnes ont été transférées, au cours des deux derniers mois, dans des centres de détention sordides où elles subissent torture et extorsion, a déclaré Amnesty International le 16 mai 2018.

L’organisation mondiale de défense des droits humains accuse les gouvernements européens de complicité dans ces atteintes aux droits humains, car ils soutiennent activement les efforts déployés par les autorités libyennes pour stopper les traversées maritimes et renvoyer les migrants dans des centres de détention en Libye.

« L’Union européenne (UE) ferme les yeux sur les souffrances causées par sa politique migratoire qui consiste à sous-traiter le contrôle des frontières à la Libye, a déclaré Heba Morayef, directrice du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty International.

L’Union européenne (UE) ferme les yeux sur les souffrances causées par sa politique migratoire qui consiste à sous-traiter le contrôle des frontières à la Libye.

Heba Morayef, directrice du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty International

« En ne ménageant pas leurs efforts pour permettre aux garde-côtes libyens d’intercepter un maximum de migrants et de réfugiés, les dirigeants européens les renvoient directement vers les centres de détention en Libye, bien connus pour les violations et les tortures qui s’y déroulent. Personne ne doit être renvoyé en Libye. »

Au moins 7 000 migrants et réfugiés croupissent dans les centres de détention libyens, où les atteintes aux droits humains sont monnaie courante et où la nourriture et l’eau sont insuffisantes. Cela représente une forte hausse depuis le mois de mars, lorsque ce nombre s’élevait à 4 400, selon les responsables libyens.

« L’UE doit cesser de s’appuyer sur la garde côtière libyenne pour contenir les migrants en Libye, et doit fermer les centres de détention, réinstaller les réfugiés en Europe et permettre au HCR de venir en aide à tous les réfugiés en Libye », a déclaré Heba Morayef.

Depuis fin 2016, les États membres de l’UE, notamment l’Italie, ont mis en place une série de mesures visant à fermer la route migratoire qui traverse la Libye et la Méditerranée, y compris en accroissant la capacité des garde-côtes libyens à intercepter les migrants et les réfugiés et à les renvoyer en Libye.

L’Italie et des États européens ont fourni à la garde côtière libyenne des équipements, dont au moins quatre vedettes, des formations et d’autres formes de soutien. Début 2018, les garde-côtes italiens ont commencé à transférer la coordination des opérations de sauvetage dans les eaux internationales proches de la Libye aux garde-côtes libyens – une mesure rendue possible uniquement du fait de l’aide apportée par les navires et équipages de la marine italienne stationnés en Libye.

Au mois d’avril, les garde-côtes libyens ont intercepté en mer 1 485 hommes, femmes et enfants et les ont renvoyés en Libye, portant le nombre total de personnes interceptées au cours des quatre premiers mois de l’année à près de 5 000, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Une fois interceptés, les réfugiés et les migrants sont transférés vers des centres de détention gérés par le Service de lutte contre l’immigration illégale (DCIM). On sait que dans ces centres, ils sont détenus de manière arbitraire et pour une durée indéfinie, et soumis à de graves violations des droits humains, comme l’a révélé Amnesty International dans un rapport publié en décembre 2017.

Interrogés par les chercheurs d’Amnesty International, des migrants et des réfugiés ont raconté les violations qu’ils ont endurées, notamment la torture, le travail forcé, l’extorsion et les homicides illégaux, aux mains des autorités libyennes, des trafiquants et des groupes armés.

Dans un communiqué publié début mai, Médecins Sans Frontières a tiré la sonnette d’alarme quant à la situation humanitaire de 800 migrants détenus dans un centre dangereusement surpeuplé dans la ville de Zuwara, dans l’ouest de la Libye. L’ONG a averti qu’ils n’avaient pas suffisamment d’eau ni de nourriture et étaient confinés dans des cellules si petites qu’ils pouvaient à peine s’allonger.

« L’UE et ses États membres doivent revoir leur coopération avec la Libye et conditionner toute aide, financière ou autre, à la pleine coopération des autorités libyennes concernant le respect des droits des réfugiés et des migrants dans le pays. Il faut commencer par libérer ceux qui se trouvent dans les centres de détention et mettre fin à la détention automatique des réfugiés et des migrants », a déclaré Heba Morayef. 

L’UE et ses États membres doivent revoir leur coopération avec la Libye et conditionner toute aide, financière ou autre, à la pleine coopération des autorités libyennes concernant le respect des droits des réfugiés et des migrants dans le pays.

Heba Morayef

Par ailleurs, tous ceux qui sont libérés doivent bénéficier de protection et d’assistance tant qu’ils se trouvent sur le sol libyen.

Les autorités libyennes doivent négocier un protocole d’accord avec le HCR afin de reconnaître son statut en Libye et de lui permettre de mettre en œuvre pleinement son mandat.

Enfin, les États membres de l’UE doivent s’engager à augmenter le quota des réinstallations pour garantir la protection des réfugiés qui, sinon, sont abandonnés à leur sort en Libye.

Complément d’information

Les nouvelles données sur le nombre de migrants et de réfugiés détenus en Libye indiquent une évolution inquiétante par rapport à la nette baisse du nombre de personnes en détention enregistrée à la suite des évacuations et des retours humanitaires effectués par l’OIM depuis octobre 2017.

En 2018 seulement, l’OIM a évacué 5 620 personnes de Libye dans le cadre de son programme de retours « volontaires », qui offre aux migrants placés en détention la possibilité de rentrer dans leurs pays d’origine. Si ce programme est une bouée de sauvetage pour beaucoup, il pourrait inciter des personnes ayant besoin de protection internationale à rentrer dans leur pays d’origine, au risque d’y subir de graves violations des droits humains.