Libye. Des civils bloqués à Benghazi se trouvent dans une situation désespérée du fait des affrontements

Les inquiétudes se font plus vives encore pour les centaines de civils bloqués dans un secteur de Benghazi exposé à une intensification des affrontements après plusieurs mois de blocus militaire, a déclaré Amnesty International le 30 septembre.

L’organisation a réuni les témoignages de certaines des quelque 130 familles libyennes et de ressortissants étrangers bloqués depuis plusieurs mois dans le secteur résidentiel de Ganfouda, dans le sud-ouest de Benghazi. Toutes les voies d’accès à ce secteur sont bloquées par les affrontements ou par les forces de l’Armée nationale libyenne, et la population n’est plus ravitaillée en eau et en nourriture et n’a plus d’électricité.

« Le temps est compté pour les civils qui se trouvent à Ganfouda, bloqués par les affrontements et voués à une mort certaine. Alors que les bombes et les obus continuent de pleuvoir sur eux, les civils tentent de survivre avec de la nourriture avariée et de l’eau souillée. Et les malades et les blessés doivent se contenter de médicaments périmés de moins en moins disponibles, a déclaré Magdalena Mughrabi, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Avec l’intensification des frappes aériennes et le rapprochement incessant des combats, beaucoup de gens n’osent plus sortir de chez eux. Nous demandons à toutes les parties qui s’affrontent à Benghazi de respecter le droit international humanitaire et de permettre un accès sans aucune restriction à l’aide humanitaire pour les civils qui en ont besoin. Ceux qui veulent partir doivent être protégés contre toute attaque basée sur leur origine géographique ou leur affiliation politique présumée. »

L’offensive militaire baptisée opération Dignité a été lancé mi-2014 parl’ancien général Khalifa Haftar contre les milices et groupes armés islamistes à Benghazi, qui ont par la suite formé une coalition connue sous le nom de Conseil consultatif des révolutionnaires de Benghazi (CCRB). Au cours d’affrontements qui ont eu lieu dans la ville, les deux parties ont commis de graves atteintes aux droits humains et des violations du droit international humanitaire constituant dans certains cas des crimes de guerre.

Deux ans se sont depuis écoulés et l’Armée nationale libyenne, dirigée par Khalifa Haftar, continue de mener des raids aériens répétés contre des secteurs contrôlés par le CCRB à Benghazi, à savoir Ganfouda et d’autres zones plus restreintes, mettant ainsi en péril la vie des civils. Les forces du général Khalifa Haftar ont également restreint l’entrée dans Ganfouda et la sortie, laissant ainsi de nombreuses personnes bloquées sous les frappes aériennes.

Mohamed, un habitant de Ganfouda, a dit à Amnesty International que les frappes aériennes et les tirs d’artillerie se sont intensifiés et rapprochés depuis une semaine. Il dit que les gens ont absolument besoin d’aide humanitaire, surtout les enfants.

« Les enfants n’ont plus que la peau sur les os à cause du manque de nourriture et des aliments de mauvaise qualité […] Si on pouvait nous larguer de la nourriture pour les enfants ou les laisser partir d’ici, même si cela impliquait de les séparer de nous, ça serait bien », a-t-il ajouté. 

Les enfants n'ont plus que la peau sur les os à cause du manque de nourriture et des aliments de mauvaise qualité

Mohamed, un habitant de Ganfouda

Il nous a dit que les réserves de farine, de riz et d’huile sont toutes épuisées, et qu’à cause du manque de carburant pour la cuisson, ils sont obligés de faire la cuisine sur une brouette remplie de charbon. Mohamed souffre de problèmes rénaux, mais les médicaments dont il a besoin ne sont plus disponibles.

Mohamed a accueilli huit familles qui ont fui les affrontements, et maintenant environ 45 personnes, dont 23 enfants, vivent chez lui, très à l’étroit.

« Il n’y a pas de combattants parmi nous : nous sommes des civils normaux », a-t-il dit. 

Il a expliqué qu’à cause des bombardements incessants et aveugles, et parce qu’il n’y a plus d’électricité, le courant étant coupé depuis plus de deux ans, ils ne sortent pas et restent recroquevillés dans le noir. « C’est comme si nous étions en prison », a-t-il dit.

« Nous voulons simplement vivre en sécurité, nous a dit « Waleed », un autre habitant bloqué à Ganfouda, dont nous avons modifié le nom afin de le protéger.

« J’ai deux fils, le premier a trois ans et demi et le deuxième deux ans. On ne trouve pas de lait pour bébé ou de nourriture pour eux. Je remplis les biberons d’eau et leur fais croire que c’est du lait. »

En plus du manque de biens de première nécessité qui rend la vie très difficile au quotidien, les gens ont constamment peur des frappes aériennes et des bombardements, et beaucoup disent qu’ils n’osent plus sortir de chez eux. L’un des civils avec qui Amnesty International a pu entrer en contact à Ganfouda, Tarik Gaoda, a été tué le 1er juillet 2016 en même temps que son père âgé de 80 ans. Ils sont morts à cause d’un raid aérien, selon un témoin qui ne veut pas être nommé par mesure de sécurité. 

« Des avions patrouillent dans le ciel et les gens n’osent même pas sortir de chez eux, car à chaque fois qu’il y a du mouvement, ils frappent. Une mosquée a même été touchée par un obus il y a quelques mois, a dit « Hassan ».

« Il y a constamment des frappes aériennes, et nous ne sortons plus du tout de chez nous », a expliqué « Khadija », une femme bloquée dans ce secteur avec ses quatre jeunes enfants, dont une petite fille de 10 mois qui est née sur place à cause des bombardements. Elle n’a pas de talc pour bébé ni aucun produit médical pour sa fille, et le manque d’eau potable devient un grave problème.

« Toutes les parties au conflit doivent prendre toutes les précautions possibles pour protéger la vie des civils bloqués par les affrontements à Ganfouda et dans d’autres régions en Libye, conformément aux obligations qui leur incombent au titre du droit international humanitaire, a déclaré Magdalena Mughrabi. 

« Les attaques menées sans discrimination et de façon disproportionnée sont interdites par le droit international, et tout doit être mis en œuvre pour établir une distinction entre les cibles militaires d’une part, et les civils, les immeubles et les édifices civils d’autre part.  L’artillerie et les autres armes explosives imprécises à large champ d’action ne doivent jamais être utilisées dans des zones civiles densément peuplées. »

Amnesty International a exprimé ses préoccupations au sujet de quelque 130 détenus qui ont été enlevés par le groupe armé Ansar al Sharia en 2014 et qui sont eux aussi bloqués sous les bombardements à Benghazi. Selon de récentes informations diffusées par les médias, qui n’ont pas été vérifiées de façon indépendante, 20 de ces détenus auraient été tués lors de frappes aériennes, et des photos de leurs cadavres auraient été partagées sur Internet.

Des centaines de ressortissants étrangers, parmi lesquels des travailleurs migrants soudanais, tchadiens et bangladais, feraient partie des personnes bloquées à Ganfouda. Selon des informations diffusées par les médias, au moins cinq ressortissants soudanais ont été tués au cours d’une frappe aérienne mi-août. Les habitants de Ganfouda qu’Amnesty International a interviewés ont aussi dit que des ressortissants étrangers ont été tués lors de récents raids aériens.

« Nous vivons comme des animaux », a déclaré « Samir », un ancien officier de police judiciaire qui vit à Ganfouda avec sa femme, ses trois fils et sa petite fille âgée d’un an. Il a accueilli chez lui trois familles qui ont été déplacées par le conflit, ce qui porte le nombre de personnes vivant dans son foyer à 24, dont 14 enfants.

« Notre maison a été touchée par trois obus de chars qui ont fait des dégâts. L’un de ces obus a touché la chambre, un autre les escaliers et le dernier est tombé dans la cuisine mais sans exploser. L’obus est toujours là et il est intact », a-t-il déclaré, ajoutant que dans six familles au moins des personnes avaient été tuées lors de frappes aériennes en août. Deux de ces familles étaient tchadiennes.

Comme il n’y a pas de réseau téléphonique dans de nombreux secteurs de Ganfouda, les personnes qui y sont bloquées ont du mal à contacter le monde extérieur, et leurs proches ne savent donc pas si elles ont survécu. 

Les civils ont aussi peur d’être attaqués en raison de leur soutien supposé aux forces du CCRB, car un chef tribal lié à l’opération Dignité a déclaré fin août qu’il ne fallait laisser aucune personne âgée de plus de 14 ans quitter Ganfouda vivante. 

« Toutes les parties devraient faciliter la fourniture de l’aide et permettre aux civils qui le souhaitent de quitter ce secteur en toute sécurité. Les civils ne doivent pas être utilisés en tant que boucliers humains, et ceux qui veulent partir doivent être protégés contre une arrestation arbitraire, contre la torture et contre toute autre violence », a déclaré Magdalena Mughrabi.