De derrière les barreaux, mon espérance pour la liberté en Mauritanie

Aleg, Mauritanie. Cette vaste étendue de sable accueille des bâtiments austères à la peinture défraichie par les rayons du soleil. C’est la prison d’Aleg. À l’intérieur croupit un homme qui n’a rien fait de mal. C’est ici, dans cette ville ironiquement situé sur «la route de l’espoir» de la Mauritanie, que les autorités détiennent depuis le 11 novembre 2014 le militant anti-esclavagiste Biram Dah Abeid. En ce premier anniversaire de son arrestation, il adresse cette lettre au monde entier afin de rappeler que la lutte continue contre l’esclavage en Mauritanie.

Aujourd’hui, je vous écris du fond de ma cellule de la prison d’Aleg où je célèbre un triste anniversaire. Depuis un an jour pour jour, je suis en détention. Mon crime : lutter contre l’esclavage. Le 11 novembre 2014, j’ai été arrêté avec d’autres militants anti-esclavagistes pour avoir mené une campagne pacifique contre la pratique de l’esclavage en Mauritanie et sensibiliser les Mauritaniens sur la question du droit foncier des descendants d’esclaves.

Dans mon pays, la Mauritanie, la pratique de l’esclavage se perpétue. Des familles entières appartiennent encore à la famille de leurs maîtres, et sont contraintes de servir toute leur vie leurs propriétaires. De plus, beaucoup de descendants d’esclaves continuent de travailler sur des terres sans aucun droit et sont contraints de donner une partie de leurs récoltes à leurs potentiels maîtres traditionnels.

Ces cinq dernières années, j’ai été trois fois détenu en prison. Des évènements aussi importants de ma vie d’homme comme la naissance de ma fille m’ont trouvé en prison. J’y ai également fêté mes 50 ans le 12 janvier dernier.

Biram Dah Abeid

Toute ma vie, je l’ai dédiée à la lutte contre l’esclavage en Mauritanie. Ma caste, les Haratines (nom donné aux esclaves et anciens esclaves), se compose d’Africains noirs soumis à l’esclavage par leurs suzerains arabo-berbères. Mon père a été affranchi par le maître de ma grand-mère. Je fais partie de ces dizaines de millions de descendants d’esclaves qui constituent l’importante diaspora noire dans le monde arabe.

Mon organisation IRA Mauritanie (Initiative de Résurgence pour le Mouvement Abolitionniste) milite depuis près de 10 ans contre l’esclavage, l’injustice et l’impunité. Des Mauritaniens noirs vivent encore sous le poids de l’oppression, du mépris et du racisme par des minorités ethniques et confessionnelles qui continuent à piller la terre, accumuler des ressources et asseoir leur autorité.

En Mauritanie, des militants anti-esclavagistes, des défenseurs des droits humains comme moi sont régulièrement emprisonnés. Ces cinq dernières années, j’ai été trois fois détenu en prison. Des évènements aussi importants de ma vie d’homme comme la naissance de ma fille m’ont trouvé en prison. J’y ai également fêté mes 50 ans le 12 janvier dernier.

Brahim Bilal Ramdane, Biram Dah Abeid et Djiby Sow ont été condamnés à la prison pour leur combat contre les pratiques esclavagistes qui existent en Mauritanie.
Brahim Bilal Ramdane, Biram Dah Abeid et Djiby Sow ont été condamnés à la prison pour leur combat contre les pratiques esclavagistes qui existent en Mauritanie.

Curieusement, en août dernier, en préparation de l’Examen Périodique Universel (EPU) le 3 novembre 2015, le gouvernement mauritanien a commencé un ’’lifting’’ en adoptant des lois qui menacent de sanctions toute personne qui exploite des esclaves. Mais, dans la pratique, les militants anti-esclavagistes sont détenus ou subissent des pressions ! Au même mois d’août, le gouvernement a confirmé ma condamnation à deux ans de prison, de même que celle de mes compagnons de lutte contre l’esclavage.

Plus grave, la Mauritanie, pays membre de l’ONU, viole toutes les clauses de la charte fondatrice, en particulier celles relatives aux droits inaliénables de la personne. Ici sévissent les atteintes les plus flagrantes aux conventions que cet État a ratifié : l’esclavage sous toutes ses formes, traditionnelle et moderne ; le racisme et la discrimination, notamment à l’encontre des personnes d’ascendance africaine ; la torture ; les disparitions forcées ; les prisons secrètes ; les répressions pour délit d’opinion, d’expression, d’association ou de conscience.

En ce jour de triste anniversaire, je voudrais dire que la lutte, notre lutte pour l’égalité des droits, contre l’esclavage, la marginalisation de l’Homme noir en Mauritanie continue et va continuer.

Biram Dah Abeid

De cette sinistre cellule ou je commémore ma première année de détention, je voudrais dire au monde entier, qu’aussi important qu’il soit de signer les lois, elles n’ont aucun sens si elles ne sont pas mises en pratique pour les femmes et hommes victimes d’injustice.

La libération et l’émancipation de la communauté des Haratines et des groupes sociaux victimes de discrimination en Mauritanie sont pour nous une étape obligatoire pour une Mauritanie qui place la liberté et la dignité humaine au cœur du projet de construction d’une nation forte et unie. En ce jour de triste anniversaire, je voudrais dire que la lutte, notre lutte pour l’égalité des droits, contre l’esclavage, la marginalisation de l’Homme noir en Mauritanie continue et va continuer.

Mon engagement, notre engagement, continue de tous les jours ; les années de prison n’y feront rien !

Aujourd’hui, je voudrais que chacun des citoyens du monde, chaque État respectueux de la liberté d’expression, chaque défenseur des droits humains fasse échos à notre lutte pour le respect des droits humains en Mauritanie. Je leur exhorte d’apporter leur soutien, assistance et encouragement à tous ceux qui œuvrent, sans violence et avec courage et dévouement, pour que tous les Mauritaniens de tout horizon puissent s’épanouir dans un pays où justice, égalité, tolérance, et respect aient leur pleine place.

Apportez votre soutien à Biram et aux autres militants anti-esclavagistes en Mauritanie. Participez à la campagne #FreeAntiSlaveryActivists d’Amnesty International pour mettre fin à la détention des activistes.