En Russie, le climat se durcit pour les défenseurs de l’environnement

Par Conor Fortune, rédacteur au Service de presse d’Amnesty International, et Friederike Behr, chercheuse sur la Russie à Amnesty International

Evgueni Vitichko a dénoncé l’impact environnemental des projets de développement suscités par les JO 2014 de Sotchi. © MIKHAIL MORDASOV/AFP/Getty Images
Evgueni Vitichko a dénoncé l’impact environnemental des projets de développement suscités par les JO 2014 de Sotchi. © MIKHAIL MORDASOV/AFP/Getty Images

Les problèmes liés à l’environnement sont nombreux en Russie aujourd’hui, même si les autorités s’efforcent de vous convaincre du contraire.

Il est vrai que le pays se targue d’un vaste réseau de zones protégées. Et que le président Vladimir Poutine apprécie que les médias relatent ses escapades à la pêche ou ses randonnées équestres, où il apparaît torse nu, chevauchant à travers les paysages immaculés de la campagne russe.

Mais il suffit de gratter quelque peu ce vernis pour découvrir une réalité moins saine et moins verte. Les décennies marquées par une politique médiocre et la corruption qui remonte à l’ère soviétique ouvrent la voie à des problèmes allant de la déforestation et de la pollution de l’air, à la contamination chimique des nappes souterraines.

Et de nouvelles menaces se profilent à l’horizon. Un projet de coopération mené par la Russie et les États-Unis pour forer dans l’Océan arctique viendrait tout juste d’aboutir à la découverte de pétrole. Ce projet a soulevé un tollé de la part des défenseurs de l’environnement en Russie et à l’étranger, en raison de son impact potentiellement destructeur sur un habitat jusqu’ici préservé.

Cependant, ne vous attendez pas à ce que le Kremlin annonce sous peu un revirement pour s’attaquer à ces problèmes. La sensibilisation aux questions environnementales étant très impopulaire, les autorités à tous les niveaux sont promptes à balayer les hypothèses selon lesquelles le laisser-faire de la Russie en matière de protection de l’environnement peut poser problème.

Un groupe de 30 militants russes et étrangers l’ont appris à leurs dépens en septembre 2013 lorsqu’ils ont navigué à bord du bateau de Greenpeace, l’Arctic Sunrise, jusqu’à la baie de la Petchora, au large de la côte nord de la Russie, pour protester contre les forages en eaux profondes. Lorsque les militants ont accroché une banderole sur la plate-forme de forage, des membres des forces de sécurité russes armés de fusils et de couteaux ont pris d’assaut leur navire, rassemblé l’équipage et détruit, entre autres, l’équipement radio.

Ce ne sont pas les assaillants, pilleurs à la lame agile, qui ont été déférés devant un tribunal, mais les militants pacifiques, au départ catalogués comme « pirates », avant d’être poursuivis pour une accusation moins grave, celle d’« houliganisme ». Amnesty International a dénoncé ces charges comme étant « totalement absurdes » et préjudiciables envers des personnes participant à une action pacifique.

Puis, il y a eu l’affaire Evgueni Vitichko. En février dernier, tandis que le monde entier avait les yeux braqués sur sa région natale de Krasnodar, où se déroulaient les Jeux olympiques d’Hiver de Sotchi, le militant de l’ONG de défense de l’environnement Veille écologique pour le Caucase du Nord, était incarcéré pour « houliganisme ». Il avait dénoncé les dommages environnementaux causés par le développement effréné consécutif à la venue des Jeux olympiques dans la région.

Si le harcèlement était une discipline olympique, les autorités russes auraient pu concourir pour la médaille d’or. Avant et pendant les JO, Evgueni Vitichko et plusieurs membres de son ONG ont été victimes d’arrestations multiples, de brèves détentions, de fouilles et d’interrogatoires policiers. On les a avertis officieusement qu’ils feraient mieux de s’abstenir de manifester durant les Jeux de Sotchi.

Toute une série de charges mineures forgées de toutes pièces ont été utilisées pour calomnier Evgueni Vitichko : il a notamment été accusé d’avoir proféré des insultes à un arrêt de bus et d’avoir détruit une clôture érigée dans l’illégalité. Son appel ayant été rejeté en février, il purge une peine de trois ans dans une colonie pénitentiaire. En août, il a observé une courte grève de la faim et on ignore dans quel état de santé il se trouve. Il devrait être transféré dans une autre colonie pénitentiaire où les conditions sont encore plus rudes. Amnesty International le considère comme un prisonnier d’opinion et demande sa libération immédiate et inconditionnelle.

Le journaliste Mikhaïl Beketov a lui aussi payé le prix fort pour avoir parlé de questions environnementales. C’est l’un des premiers opposants au projet de construction d’une autoroute reliant Moscou à l’aéroport international Cheremetievo à travers la forêt de Khimki, jadis magnifique. Il a été agressé et grièvement blessé en 2008. Il ne s’en est jamais vraiment remis et est mort en 2013. Les auteurs de son agression n’ont pas été retrouvés.

La réserve naturelle de la rivière Khoper, dans le centre de la Russie, est une autre poudrière depuis l’annonce de projets d’extraction de cuivre et de nickel dans la région. Les autorités s’en prennent régulièrement aux militants écologistes : des agents de lutte contre l’extrémisme ont effectué des raids dans plusieurs maisons en février 2013. Deux des militants hostiles aux projets d’extraction sont détenus depuis novembre 2013, sous l’inculpation de chantage. Selon certaines informations, les enquêteurs ont insisté au tribunal pour qu’ils soient maintenus en détention dans l’attente de leur procès, en raison de leur statut de « militants » susceptibles d’influencer d’autres personnes. Le juge a prononcé leur détention provisoire.

En traitant ainsi les défenseurs de l’environnement, les autorités russes adressent un message fort et clair. Les poursuites pénales contre des militants de la société civile sont devenues leur outil de prédilection pour faire taire les critiques.

D’autres ONG travaillant sur des questions liées à l’environnement en Russie se demandent quand viendra leur tour.

« Nous attendons. Si nous dévions de la ligne et abordons une question délicate, ils seront prêts », nous a récemment confié Alexandre Nikitine, de la fondation pour la protection de l’environnement Bellona, à son bureau de Saint-Pétersbourg.

Il redoute que les autorités n’intensifient leur action et ne s’appuient sur la loi relative aux « agents de l’étranger », un texte controversé, pour faire pression et entraver le travail des ONG de défense de l’environnement qu’elles considèrent comme une épine dans le pied.

« Si un représentant de l’État n’aime pas telle organisation, ils trouveront un motif pour la faire fermer. S’ils veulent mettre un terme à notre travail, ils nous inscriront sur la liste [des ” agents étrangers “] », a-t-il déclaré.

Il ne s’agit pas simplement de paranoïa : en juillet, le ministère russe de la Justice a inscrit l’ONG EcoDefense dans la catégorie des « agents étrangers » impliqués dans des « activités politiques ». Le groupe agite le spectre des retombées radioactives de la catastrophe nucléaire de 1986 à Tchernobyl dans ses campagnes contre les nouveaux projets de centrales nucléaires.

Amnesty International continuera de soutenir le droit de Bellona, de Veille écologique, d’EcoDefense et de bien d’autres à s’exprimer librement et à œuvrer pour que les générations futures en Russie jouissent d’un environnement sain et moins pollué.

Bien que l’espace laissé à la liberté d’expression se rétrécisse rapidement, nombreux sont ceux qui, en Russie, disent ce qu’ils pensent. Du 6 au 12 octobre, les militants d’Amnesty International sont à leurs côtés, solidaires, pour une semaine d’action destinée à montrer aux dirigeants russes que le reste du monde ne se taira pas. Agissez et informez-vous plus en détails en vous rendant sur www.amnesty.org/Speak-Out-Russia.