L’épidémie d’Ebola révèle l’état des systèmes de santé africains

Par Savio Carvalho, conseiller principal sur le développement international et les droits humains à Amnesty International

Il y a deux ans, j’ai eu le privilège de me rendre à Freetown et dans d’autres régions de la Sierra Leone, où Amnesty International formait des bénévoles en santé maternelle pour prendre en charge les soins prénataux. Il était alors évident que l’infrastructure de santé en Sierra Leone était très délabrée, sapée par des années de guerre et de non-investissement. Aujourd’hui, du fait de l’épidémie d’Ebola, ce système de santé chancelant est complètement submergé, comme celui de plusieurs États voisins, notamment au Liberia et en Guinée.

Il s’agit de la première épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest depuis que la maladie a été diagnostiquée dans les années 1970, et c’est la plus importante en termes de personnes infectées. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le bilan dépasse déjà 2 200 morts et plus de 20 000 personnes pourraient être infectées avant que l’épidémie ne soit sous contrôle. Si la priorité absolue des gouvernements africains doit être de protéger des vies, on craint de plus en plus que les initiatives visant à contenir l’épidémie aient un impact négatif sur les droits humains.

Prenant la parole lors d’une réunion de crise de l’Union africaine (UA) cette semaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l’UA, a mis en garde contre les mesures susceptibles d’avoir un impact social et économique plus grand que la maladie elle-même.

La stigmatisation des victimes

« Dans la lutte contre le virus Ebola, il faut veiller à ne pas renforcer l’isolement ni la stigmatisation des victimes, des communautés et des pays », a-t-elle déclaré. En effet, ce ne sont pas seulement les droits économiques et sociaux qui pourraient être compromis par les mesures prises pour lutter contre Ebola, mais aussi des droits comme les garanties contre la détention arbitraire et la liberté de circulation.

Des cas ont été signalés où les familles et les communautés ont rejeté les malades qui se sont remis et ont été renvoyés de l’hôpital.

« Dans le district de Kenema, la majorité des enfants qui ont survécu font l’objet de discriminations et ne sont pas les bienvenus lorsqu’ils retournent dans leurs communautés, même s’ils ne posent plus de risques pour la population », m’a dit la semaine dernière Sylvestre Kallon, de la Future Focus Foundation.

Le district de Kenema, considéré comme l’« épicentre » de l’épidémie, est placé en état d’urgence : la circulation des habitants est restreinte et il leur est difficile de gagner leur vie, particulièrement s’ils vivent en périphérie de la ville.

À Freetown, les réserves alimentaires s’épuisent en raison de la fermeture de la frontière avec la Guinée, les produits frais ne pouvant pas être importés. Les pénuries alimentaires, l’amassement et les coûts qui s’envolent en flèche ajoutent un lourd fardeau à ceux qui luttent déjà pour s’en sortir. Les installations médicales atteignent un point de rupture et ceux qui souffrent de maladies graves comme la malaria ou la diarrhée sont confrontés à d’énormes difficultés pour être soignés.

La peur et la honte entourant la maladie auraient également conduit certaines personnes à cacher des membres de leur famille qui présentent des symptômes similaires à Ebola. Parmi le personnel soignant qui s’occupe des patients, on déplore de nombreuses victimes du virus mortel et il n’est pas surprenant de voir des médecins à Freetown se mettre en grève en raison des conditions de travail et de salaire, et des infirmières au Liberia faire grève en raison du manque de vêtements de protection et d’équipements.

Le droit à la santé

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), que la Sierra Leone a ratifié, exige que les États prennent des mesures pour garantir le « droit à la santé », notamment des mesures de prévention, de traitement et de contrôle de l’épidémie.

Depuis plusieurs années, Amnesty International attire l’attention sur la terrible situation sanitaire de la Sierra Leone et invite le gouvernement à assurer de meilleures prestations de services de santé et des financements adéquats, et à développer des mécanismes de surveillance et de responsabilisation afin de permettre aux détenteurs de droits d’amener le gouvernement à rendre des comptes lorsque leur droit à la santé n’est pas respecté. Cependant, on constate peu de progrès.

Tandis que la Sierra Leone se bat pour garantir le droit à la santé de la population, la communauté internationale, tout comme les obligations découlant du droit international, jouent un rôle essentiel pour assurer l’assistance et la coopération, notamment face à une crise comme cette épidémie.

Les gouvernements et leurs partenaires internationaux doivent garantir la santé de tous, particulièrement des groupes marginalisés. Il faut une assistance et une coopération internationales pour soutenir les gouvernements et consolider ces systèmes de santé ébranlés, ravagés, afin qu’ils puissent résister et répondre plus efficacement à de futures crises.

Contenir l’épidémie du virus Ebola est sans doute la priorité la plus urgente, mais le véritable défi pour la Sierra Leone, entre autres, est d’examiner sérieusement ses obligations en matière de droits humains, sa politique publique et ses pratiques relatives au droit à la santé. L’accès à des soins opportuns, satisfaisants et abordables n’est pas seulement une aspiration des peuples d’Afrique : c’est un droit. Il est temps que les gouvernements africains et la communauté internationale le leur accordent. Il faut des programmes à court et à long terme pour mettre sur pied des systèmes de santé capables de prodiguer des soins à ceux qui en ont besoin, dans les meilleures conditions, et de résister aux pressions dans les pires moments.

Ce blog a été initialement publié sur le site Internet d’Al Jazeera