Le monde continue à se garder d’agir, malgré la honte associée au génocide rwandais

La communauté internationale dans son ensemble n’applique toujours pas les enseignements tirés du génocide rwandais, a déclaré Amnesty International lundi 7 avril alors que le monde commémore le 20e anniversaire de cette catastrophe humaine ayant fait près de 800 000 morts. « En 1994, le monde s’est couvert de honte lorsqu’il a fait la sourde oreille face aux appels à l’aide désespérés provenant du Rwanda. L’Afrique et le reste de la communauté internationale se tordaient les mains tandis que des centaines de milliers de personnes se faisaient massacrer », a déclaré Salil Shetty, le secrétaire général d’Amnesty International. « Le message est clair – il ne faut plus jamais que cela puisse se reproduire. Pourtant, si les dirigeants ont assumé leurs erreurs, il est manifeste 20 ans plus tard que les enseignements tirés de la situation rwandaise n’ont pas été mis en pratique. De nos jours, les gouvernements continuent à manquer à leur devoir d’agir afin de protéger les personnes en difficulté dans le cadre des catastrophes qui s’annoncent. » Vingt ans plus tard, les échos de ce qui s’est passé au Rwanda résonnent en République centrafricaine, au Soudan du Sud, et au-delà. « Les événements récents en République centrafricaine et au Soudan du Sud soulignent l’échec persistant des initiatives régionales et internationales adoptées en réaction aux conflits actuels en Afrique. La République centrafricaine est le théâtre d’un nettoyage ethnique d’une très grande ampleur. Dans le Soudan du Sud, également, des personnes ont été tuées ou violées en raison de leur appartenance ethnique et de leurs affiliations politiques présumées », a déclaré Salil Shetty. « S’abstenir de mener des opérations de maintien de la paix plus robustes et de respecter l’obligation de rendre des comptes pour les crimes graves commis en Afrique permet seulement que de nouvelles tragédies aux proportions catastrophiques aient lieu. » Depuis décembre 2013, Amnesty International enquête sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui sont commis en République centrafricaine malgré la présence de forces de maintien de la paix déployées par l’Union africaine et la France. Des homicides extrajudiciaires, des viols et d’autres formes de torture sont perpétrés chaque jour. Le nettoyage ethnique a forcé des centaines de milliers de musulmans à fuir dans les pays voisins, où les réfugiés vivent dans de terribles conditions tandis qu’une nouvelle crise humanitaire se développe. « Nos chercheurs ont enquêté sur les opérations de nettoyage ethnique à grande échelle qui se multiplient en République centrafricaine et ont fait état de celles-ci. Des hommes, des femmes et des enfants sont actuellement massacrés, et les soldats du maintien de la paix sont introuvables », a déclaré Salil Shetty. « Il est inacceptable que dans les allées du pouvoir, que ce soit aux Nations unies, dans les pays d’Europe ou dans l’Union africaine, les prétextes bureaucratiques et les bras de fer politiques aient sabordé les efforts répétés ayant pour objectif que des soldats supplémentaires de maintien de la paix des Nations unies soient déployés suffisamment rapidement en République centrafricaine. Il apparaît clairement que la mort et la misère sont les terribles conséquences de ces atermoiements. » Au Soudan du Sud, des milliers de civils ont été tués ces derniers mois et plus d’un million de personnes ont été forcées à fuir de chez elles après le début du conflit, en décembre 2013. Là aussi des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité continuent à détruire des vies, tandis que les auteurs de ces agissements ne sont pas inquiétés. En réaction à ces violences, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé à l’unanimité d’augmenter le nombre de soldats de maintien de la paix dans le Soudan du Sud, afin que cette force puisse mieux remplir son mandat de protection des civils. Cependant, malgré ce que les événements au Rwanda nous ont enseigné, le processus est lent.   Les homicides extrajudiciaires, les viols et d’autres atteintes aux droits humains continuent, souvent au motif de l’appartenance ethnique et des convictions politiques présumées des victimes. Les forces gouvernementales et d’opposition se livrent à la destruction injustifiée de biens, à des attaques visant des hôpitaux et des églises, et à des pillages systématiques laissant les villes dévastées. Des milliers de civils continuent à fuir le pays tandis que des centaines de milliers d’autres sont toujours déplacées à l’intérieur du Soudan du Sud. La saison des pluies étant imminente, une catastrophe humanitaire s’annonce, à moins que l’aide humanitaire ne puisse être acheminée aux civils dans les meilleurs délais. « Le temps presse pour des millions d’hommes, de femmes et d’enfants ayant désespérément besoin d’aide en République centrafricaine et au Soudan du Sud. Le monde doit agir sans plus attendre », a déclaré Salil Shetty. Complément d’information Le génocide rwandais a eu lieu durant le conflit ayant éclaté en octobre 1990 entre les forces gouvernementales rwandaises et le Front patriotique rwandais (FPR) majoritairement tutsi, basé en Ouganda. Le FPR a été formé par des Tutsi exilés en Ouganda après qu’eux-mêmes ou leurs parents ont fui des massacres ethniques, notamment en 1959 et en 1963. Lorsque le conflit s’est intensifié, le gouvernement rwandais a demandé à ses partisans d’aider à attaquer quiconque était identifié comme un sympathisant avéré ou potentiel du FPR. Cela est devenu une stratégie délibérée pour tuer les Tutsi afin de conserver le pouvoir.   Le 6 avril 1994, un avion transportant le président rwandais Juvénal Habyarimana et le président burundais Cyprien Ntaryamira a été abattu au-dessus de Kigali, la capitale rwandaise, déclenchant des massacres à caractère ethnique d’une ampleur sans précédent. Les Tutsi et les Hutu qui se sont opposés à ces carnages organisés et aux forces les ayant orchestrés ont été tués. Les personnes soutenant le parti au pouvoir, le Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND), ont été entraînées par le gouvernement, qui leur a également fourni des armes, dont des machettes. La branche jeunesse du parti, connue comme les Interahamwe (« Ceux qui combattent ensemble ») ; la Coalition pour la défense de la République – alliée du MRND – et la branche jeunesse de celle-ci, en faisaient partie. Le 21 avril 1994, en dépit d’informations faisant état des massacres en cours au Rwanda, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté en faveur de la réduction de la présence de l’ONU dans le pays, faisant passer de 2 500 à 270 le nombre de personnes prenant part à la mission de maintien de la paix sur place. Le personnel participant à la mission des Nations unies, impuissant, a regardé sans rien pouvoir faire tandis que des dizaines de milliers de Rwandais étaient tués chaque semaine. Au cours des trois mois suivants, environ 800 000 Tutsi et Hutu rwandais opposés au gouvernement ont été massacrés. Le génocide a pris fin en juillet 1994, lorsque le FPR a vaincu les forces gouvernementales. Des violations massives des droits humains ont également été commises par le FPR immédiatement après le génocide et dans le cadre du conflit qui a suivi.   Vingt ans plus tard, de nombreuses personnes ayant pris part au génocide ont été jugées par des tribunaux nationaux et gacaca – système de juridictions populaires  – au Rwanda, par le Tribunal pénal international pour le Rwanda et par des juridictions d’Europe et d’Amérique du Nord. Des enquêtes continuent à être menées sur des dizaines de suspects de génocide vivant hors du Rwanda. Un grand nombre des homicides attribués au FPR n’ont donné lieu à aucune poursuite.