La bataille pour l’ouest de Mossoul : une catastrophe pour les civils

Les combats pour le contrôle de l’ouest de Mossoul ont provoqué une catastrophe civile.

Les civils de l’ouest de Mossoul ont été exploités sans pitié par le groupe armé se faisant appeler État islamique (EI), qui les a systématiquement déplacés vers des zones de conflit, les a utilisés comme boucliers humains et les a empêchés de s’enfuir pour se mettre en sécurité. Ils ont également été victimes d’attaques incessantes et illégales des forces du gouvernement irakien et des membres de la coalition dirigée par les États-Unis (ci-après appelées « forces progouvernementales »). En mars et mai 2017, des chercheurs d’Amnesty International se sont rendus dans le nord de l’Irak pour recueillir des informations sur les violations du droit international humanitaire et des droits humains commises par toutes les parties au conflit dans l’ouest de Mossoul. Les conclusions ont été publiées aujourd’hui dans un nouveau rapport intitulé At Any Cost: The Civilian Catastrophe in West Mosul, Iraq.

Les humains sont ce qui coûte le moins cher en Irak.

Hashem, un habitant de l’ouest de Mossoul

Une catastrophe pour les civils

+ de 600 000
civils ont été déplacés de l’ouest de Mossoul
5 805
civils auraient été tués entre le 19 février et le 19 juin 2017 dans des attaques des forces irakiennes et de la coalition dirigée par les États-Unis
3 millions
de personnes sont actuellement déplacées à l’intérieur du pays en raison des affrontements en Irak
Des centaines
si ce n’est des milliers, de civils ont été tués par l’EI en essayant de fuir l’ouest de Mossoul
Le 17 octobre 2016, les forces irakiennes se déploient dans la région d’al Shourah, à environ 45 km au sud de Mossoul, avançant vers la ville pour la reprendre à l’État islamique. Les forces irakiennes et de la coalition avaient annoncé plus tôt dans la journée l’opération militaire, appelée « Qadimun Ya Nainawa » (« Nous arrivons Ninive »), visant à reprendre à l’EI le contrôle de Mossoul et de ses environs.
Le 22 janvier 2017, un homme irakien et une jeune fille fuyant le quartier de Rashidiyah, contrôlé par l’EI, arrivent dans le quartier d’al Arabi, au nord de Mossoul. Le 24 janvier, le premier ministre Haider al Abadi annonce que l’est de Mossoul a été entièrement repris à l’EI.
L’opération militaire pour reprendre Mossoul commence. La photo montre la vue de la vieille ville de Mossoul à travers un trou dans le mur d’un sniper des forces irakiennes sur la ligne de front à Adedat, un quartier de la vieille ville de l’ouest de Mossoul. L’ouest de Mossoul est une zone plus petite que l’est de Mossoul, mais c’est là que se trouve la vieille ville, avec ses bâtiments très proches les uns des autres, ainsi que d’autres quartiers, où vivent les personnes les plus pauvres.
Les forces du gouvernement irakien arrivent à l’aéroport de Mossoul, à l’extrémité sud de la ville, pour la première fois depuis que l’EI a pris le contrôle de la région en 2014. Le contrôle de la base et de l’aéroport a permis aux forces du gouvernement d’accéder aux quartiers de Mossoul situés sur la rive occidentale du Tigre un mois après avoir annoncé qu’elles avaient repris le contrôle total de la rive orientale. Les forces gouvernementales ont repris les zones au sud de l’ouest de Mossoul, comme la ville d’Abu Saif, et sont arrivées à Mossoul le 24 février 2017.
Le corps d’un enfant irakien tué dans une frappe aérienne dans l’ouest de Mossoul est déposé, enveloppé dans une couverture, sur une charrette le 17 mars 2017. Ce jour-là ont eu lieu les frappes les plus meurtrières de la coalition dans le quartier d’al Jadida à Mossoul : au moins 105 civils ont été tués par une frappe aérienne visant deux tireurs embusqués de l’EI. Cette attaque n’avait d’exceptionnel que le nombre très élevé de morts parmi les civils et le fait qu’en raison de sa médiatisation, l’armée américaine a mené une enquête et a rendu les conclusions publiques.

Crimes de guerre de l’État islamique : « personne ne s’en sortira vivant »

Pendant la bataille pour le contrôle de l’ouest de Mossoul, l’EI a commis de graves violations des droits humains, certaines s’apparentant à des crimes de guerre. Ils ont rassemblé des milliers de civils et les ont forcés à aller directement dans la zone de combat. Les combattants de l’EI ont délibérément utilisé des civils comme boucliers humains, les prenant au piège chez eux en condamnant les portes et en mettant des objets piégés aux sorties, ou tuant sommairement les personnes qui essayaient de s’enfuir. Ils ont également souvent privé les civils de soins médicaux et ont confisqué leur nourriture.

L’EI a sommairement exécuté des centaines, si ce n’est des milliers, d’hommes, de femmes et d’enfants qui essayaient de s’enfuir, et a pendu leurs corps dans des lieux publics.

Des habitants de Mossoul ont souvent déclaré à Amnesty International que leur seule chance de s’enfuir était de passer directement par les lignes de front dès que les combats atteignaient leur quartier ou leur rue. Ils ont décrit leur fuite désespérée de chez eux vers les positions des forces progouvernementales, agitant des drapeaux ou des bouts de tissus blancs et criant « civils » ou « familles ».

Les forces irakiennes nous ont dit de mettre des vêtements pour enfants sur notre toit pour qu’elles sachent qu’il s’agissait du logement d’une famille et pas de l’EI. Les vêtements étaient sur le toit lorsque la roquette a atterri chez moi.

Yazen, un habitant d’al Tenak

Le gouvernement irakien et la coalition dirigée par les États-Unis n’ont pas protégé les civils

Les tactiques employées par l’EI et les violations commises par le groupe armé ont créé des difficultés particulières pour les forces progouvernementales en ce qui concerne la protection des civils dans l’ouest de Mossoul. Le gouvernement irakien et la coalition dirigée par les États-Unis n’ont pas adapté correctement leurs tactiques pour faire face à ces difficultés, comme l’exige le droit international humanitaire, ce qui a eu des conséquences désastreuses pour les civils. Depuis janvier 2017, les forces progouvernementales ont mené une série d’attaques illégales dans l’ouest de Mossoul, utilisant principalement des armes explosives à large champ d’action, comme des roquettes improvisées (IRAM). Avec leur système de ciblage rudimentaire, ces armes ont semé le chaos dans les zones civiles densément peuplées de l’ouest de Mossoul et ont coûté la vie à des milliers de civils. Amnesty International a mené des enquêtes sur 45 attaques menées par les forces progouvernementales et a conclu que ces seules attaques avaient tué 426 civils. Le véritable nombre de morts dans l’ouest de Mossoul ne sera peut-être jamais connu.

Les forces progouvernementales n’ont en outre pas pris les précautions nécessaires pour protéger les civils lorsqu’elles ont préparé et mené les attaques. Elles ont largué des tracts au-dessus des zones de la ville contrôlées par l’EI, indiquant aux civils de ne pas s’approcher de l’EI ou de pendre des vêtements d’enfants sur le toit pour signaler les logements de civils. Ces avertissements n’ont toutefois guère tenu compte de la réalité des personnes vivant dans les zones contrôlées par l’EI. Il était impossible de ne pas s’approcher de l’EI pour les habitants de l’ouest de Mossoul, et les combattants exécutaient quiconque était surpris avec un tract. Les bâtiments avec des vêtements pour enfants sur le toit étaient quand même touchés par les frappes aériennes.

Les frappes visaient les tireurs embusqués de l’EI. Une frappe détruit entièrement un bâtiment de deux étages. Elles visaient un bâtiment et détruisaient également les deux bâtiments de chaque côté. Elles ont coûté la vie à un très grand nombre de personnes.

Mohamed, un habitant du quartier d’al Tenak, dans l’ouest de Mossoul

Les professionnels de la santé ont remarqué que les patients de l’ouest de Mossoul présentaient souvent des blessures provoquées par des explosions, ce qui est lié à l’utilisation de puissantes armes explosives dans des zones civiles. Il est inconcevable que les forces progouvernementales n’aient pas été au courant des tactiques de l’EI, de la concentration de civils dans les zones attaquées, ou du nombre catastrophique de morts parmi les civils qu’entraîne l’utilisation d’armes explosives à large champ d’action dans ces zones.

Voir le rapport complet d’Amnesty International (en anglais)

At Any Cost: The Civilian Catastrophe in West Mosul, Iraq

Ne laissez pas ces crimes être passés sous silence

Les forces irakiennes et les membres de la coalition dirigée par les États-Unis doivent faire en sorte que la lutte contre l’EI soit menée dans le respect du droit international et des normes internationales, pas seulement dans le cadre de la bataille pour le contrôle de Mossoul, mais également pour les autres batailles en Irak et en Syrie. Les civils pris au piège du conflit et soumis à des violences par l’EI doivent être traités avec la dignité et l’humanité qu’ils méritent. Amnesty International appelle le gouvernement irakien et les membres de la coalition dirigée par les États-Unis :

  • à reconnaître publiquement l’ampleur et la gravité du nombre de civils ayant perdu la vie pendant la bataille pour le contrôle de Mossoul, et souligner l’importance d’accorder des réparations aux victimes et aux familles des victimes de violations ;
  • à cesser immédiatement d’utiliser des armes explosives à large champ d’action non discriminantes par nature près des zones habitées par des civils ;
  • à augmenter les fonds pour l’aide humanitaire aux civils qui ont fui les combats à Mossoul, compte tenu de la gravité de la situation actuelle et du grand nombre de personnes déplacées de Mossoul et ses environs.

Lire les recommandations complètes (en anglais) dans notre rapport.