Si vous franchissez les portes de n’importe quelle boutique de téléphonie haut de gamme, vous y trouverez tous les signes distinctifs de la technologique de luxe : surfaces lisses, lignes épurées, écrans impeccables.
Quel contraste saisissant avec les poussières toxiques qu’inhalent les enfants, lorsqu’ils extraient le cobalt qui fait fonctionner les batteries indispensables à nos téléphones et autres appareils électroniques portables.
Ces enfants mineurs, âgés de sept ans pour les plus jeunes, vivent en République démocratique du Congo (RDC), en Afrique centrale. Étant donné que plus de la moitié du cobalt commercialisé dans le monde provient de la RDC, que 20 % est extrait par des mineurs artisanaux (ou non officiels), et que près de 40 000 enfants travaillent dans des mines de cobalt dans le sud de la RDC, il est fort probable que nos portables aient été fabriqués en recourant à la main d’œuvre infantile.
Pourtant, les fabricants de téléphone – des marques internationales comme Apple et Samsung – refusent de nous dire si des enfants travaillent au sein de leurs chaînes d’approvisionnement en cobalt. Il est de leur responsabilité de vérifier leurs chaînes d’approvisionnement et d’agir en cas de travail des enfants, afin de montrer l’exemple à suivre au reste de l’industrie.
Nous sommes tous d’accord pour dire que nos téléphones sont indispensables, mais nous ne pouvons pas pour autant tirer un trait sur les droits des hommes, des femmes et des enfants qui participent à leur fabrication.
Il y a beaucoup de poussière, on attrape très facilement des rhumes et on a mal partout.
Dany, mineur de cobalt de 15 ans en RDC
LES CHIFFRES
Les enfants dans les mines
L’UNICEF estime que près de 40 000 garçons et filles travaillent en tant que mineurs artisanaux dans le sud de la RDC, pour la plupart à l’extraction de cobalt. Certains mineurs artisanaux utilisent des burins et des outils manuels pour creuser des puits de plusieurs dizaines de mètres de profondeur, souvent sans aucune autorisation. D’autres trient les roches riches en minerai de cobalt à la surface. Nous avons rencontré un garçon qui était descendu dans les puits miniers, mais la plupart des enfants travaillent à la surface, tamisant les roches et les résidus miniers, à la recherche de morceaux de minerai qu’ils trient, puis lavent.
Qu’ils descendent dans les puits, qui ne sont pas consolidés et s’effondrent facilement, ou trient et tamisent les résidus miniers, les dangers sont légion.
J’ai travaillé dans les mines parce que mes parents ne pouvaient pas payer de quoi me nourrir ni m’habiller. Papa est au chômage, et maman vend du charbon.
Arthur, 13 ans, mineur de 9 à 11 ans
De nombreux enfants avec lesquels nous nous sommes entretenus ont déclaré qu’ils étaient fréquemment malades. Inhaler la poussière de cobalt peut causer une « fibrose pulmonaire aux métaux durs », affection pulmonaire potentiellement mortelle. En outre, un contact cutané prolongé avec le cobalt peut aboutir à des cas de dermatite – des éruptions chroniques. Pourtant, les enfants et les autres mineurs n’ont ni masques ni gants pour se protéger.
Les enfants nous ont raconté qu’ils travaillent dur pendant de longues heures – jusqu’à 12 par jour – dans les mines, à transporter des charges très lourdes, entre 20 et 40 kilos, pour un salaire quotidien oscillant entre moins d’1 et 2 euros par jour. Beaucoup n’ont rien à manger de toute la journée. Paul, 14 ans, a commencé à travailler dans les mines à l’âge de 12 ans et descendait dans les tunnels souterrains. Il a raconté que bien souvent, ilpassait « 24 heures d’affilée dans les tunnels. J’arrivais le matin et ressortais le lendemain matin… »
Vulnérables et exploités
La plupart des enfants travaillent pour pouvoir aller à l’école. Aux termes de la loi, l’éducation primaire est gratuite et obligatoire en RDC. Toutefois, faute de financements suffisants de l’État, les écoles facturent aux parents des frais pour couvrir notamment les salaires des enseignants et les livres. Ces frais sont compris entre 8 et 25 euros par mois – ce qui est au-dessus des moyens de la plupart d’entre eux.
Parmi les enfants avec lesquels nous avons discuté, ceux qui sont scolarisés travaillent entre 10 et 12 heures par jour durant le week-end et les vacances scolaires, mais aussi avant et après leur journée d’école.
Plusieurs enfants ont raconté avoir été frappés ou avoir vu d’autres enfants se faire frapper par des agents de sécurité lorsqu’ils pénètrent illégalement dans des concessions appartenant à d’autres compagnies minières. Les enfants qui collectent, trient, rincent, broient et transportent des minerais sont payés au nombre de sacs par les négociants. Ils n’ont aucun moyen de vérifier le poids des sacs ni la teneur en cobalt et doivent donc accepter le prix des négociants, ce qui les rend vulnérables à l’exploitation.
Le recours aux enfants dans les mines est largement reconnu comme l’une des pires formes de travail des enfants. Les gouvernements sont légalement tenus de l’interdire, mais aussi de l’éradiquer. Quant aux fabricants de produits, ils ont la responsabilité de contrôler si des enfants travaillent dans leurs chaînes d’approvisionnement, d’y remédier le cas échéant, et de révéler publiquement les mesures qu’ils mettent en oeuvre.
J’ai vendu à des négociants qui ont des balances. Mais d’autres n’en avaient pas…, ils se contentaient d’estimer le poids : ils nous payaient moins cher que les adultes.
Loïc, 13 ans