La marche des fiertés 2014 à Belgrade

Par Todor Gardos, chargé de campagne sur la Serbie à Amnesty International

La marche des fiertés n’avait pas pu avoir lieu à Belgrade depuis 2010 © Amnesty International
La marche des fiertés n’avait pas pu avoir lieu à Belgrade depuis 2010 © Amnesty International

Alors que je monte dans l’avion pour la Serbie vendredi 26 septembre, je passe en revue tous les scénarios qui pourraient une nouvelle fois empêcher la marche des fiertés de Belgrade d’avoir lieu cette année. Je sais à quel point cette marche est importante pour de nombreux membres de la communauté des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués (LGBTI) et défenseurs des droits humains, et je ne suis pas prêt à accepter un nouvel échec.

Nous avons connu les interdictions de dernière minute, les échanges secrets sur les questions de sécurité et les discours ouvertement discriminatoires de hauts représentants du gouvernement ces dernières années. En 2010, lorsque la marche des fiertés de Belgrade a reçu le feu vert des autorités pour la dernière fois, la police n’a pas réussi à contenir les contre-manifestants qui ont causé des dégâts importants dans le centre de Belgrade. Au lieu de leur demander de rendre des comptes pour ces agissements, le gouvernement a pointé du doigt les organisateurs qui avaient insisté pour maintenir cet événement « à haut risque », à savoir un défilé pacifique sous les couleurs de l’arc-en-ciel.

Cette année, après les préparatifs de longue haleine et le succès des organisateurs bénévoles chargés de convaincre leurs contacts au gouvernement d’exprimer leur soutien à la marche, la situation semblait de meilleur augure. Pourtant, la nuit précédant la marche, une évaluation de la sécurité était débattue à huis clos et les autorités n’avaient toujours pas donné leur feu vert.

Notre groupe d’observateurs des droits humains s’est réuni fébrilement avec des bénévoles de la marche sur l’un des sites, attendant le mot de soutien des plus hautes sphères du gouvernement. Cette attente fut vaine, mais lorsque le samedi soir a laissé place au dimanche, nous avons compris que les autorités avaient manqué le délai légal pour interdire la marche : si elles imposaient une restriction à ce moment-là, il s’agirait d’une violation flagrante des droits fondamentaux de la personne humaine.

Ce ne serait certes pas la première fois que le gouvernement serbe violerait ses obligations constitutionnelles et internationales, pour céder aux menaces supposées de violences et d’émeutes. Les menaces proférées par le passé ont rarement fait l’objet d’enquêtes, mais ont pourtant servi de prétexte « légitime » pour interdire les marches des fiertés en 2011, 2012 et 2013.

Cette année, pas d’interdiction. Dimanche 28 septembre au matin, nous nous dirigeons vers le point de ralliement. Les policiers sont déployés en nombre, certaines rues sont bouclées et les canons à eau et les policiers antiémeutes sont bien alignés. Mais le soleil brille et l’air n’est pas si différent de tant d’autres villes où la vie prend son temps le dimanche matin.

Alors que les participants arrivent de plus en plus nombreux au point de rendez-vous, la foule joyeuse attend impatiemment de pouvoir défiler.

À 12h30, nous démarrons. Plus de 1 000 personnes défilent dans le centre de Belgrade, agitant des drapeaux et des banderoles arc-en-ciel en solidarité avec toutes les victimes de la discrimination, de la haine et de la violence. Pour la première fois depuis quatre ans, nous célébrons enfin l’égalité et la diversité.

Cette année, aucun incident violent n’a été signalé aux abords du défilé. C’est une première étape vers la protection de tous contre la discrimination en Serbie. Notre groupe observe plusieurs contre-manifestations avant et après la marche, au cours desquelles un petit nombre de participants est arrêté et écope d’une amende. Si la plupart de ces rassemblements sont non violents, il règne clairement un climat d’intolérance, de discrimination et de préjugés lorsque les participants scandent des slogans et déploient leurs banderoles.

Deux semaines seulement avant la marche des fiertés, un participant à une conférence internationale LGBTI a été brutalement agressé à Belgrade. Les organisateurs de la marche, les militants en Serbie et dans la région et les membres de la communauté locale des LGBTI sont souvent la cible de crimes de haine et de menaces de violence.

Dans une déclaration publique dimanche soir, nous applaudissons les organisateurs et les courageux participants et saluons le fait que les autorités se sont acquittées avec succès de leur mission et ont assuré à tous un environnement sûr durant le défilé. Nous devons maintenant poursuivre sur cette voie, démonstration étant faite que la Serbie est capable de protéger ses citoyens contre la violence et la haine.

La Serbie dispose en effet de tous les instruments juridiques nécessaires pour lutter contre les crimes de haine et la discrimination, mais elle doit les mettre en œuvre de manière systématique. Bâtir une société tolérante et diverse requiert des efforts soutenus et un engagement visible et durable de la part de l’État. L’une des intervenantes lors de la marche des fiertés, de l’organisation des Femmes en Noir, a déclaré : « Tant que les gens vivent dans la peur d’être qui ils sont, le travail est loin d’être terminé. En attendant, nous sommes tous des LGBTI. »