Le courage des manifestant·e·s confrontés à la riposte de plus en plus meurtrière des forces de sécurité iraniennes ces derniers jours dans le sillage de la mort de Mahsa Amini révèle l’ampleur de l’indignation en Iran face aux lois abusives sur le port du voile obligatoire, aux homicides illégaux et à la répression généralisée, a déclaré Amnesty International le 23 septembre 2022.
Les éléments recueillis au cours des deux dernières nuits attestant de nouvelles violences dans 20 villes et 10 provinces à travers l’Iran montrent que les forces de sécurité tirent de manière délibérée et illégale à balles réelles sur les manifestant·e·s. Le bilan des victimes s’élevant à au moins 30 personnes, dont quatre enfants, Amnesty International appelle de nouveau à mener de toute urgence une action mondiale et met en garde contre le risque de nouvelles effusions de sang alors que les autorités coupent délibérément Internet.
Dans la seule nuit du 21 septembre, les tirs des forces de sécurité ont fait au moins 19 morts, dont trois mineur·e·s. Amnesty International a examiné des photos et des vidéos de corps de victimes présentant d’horribles blessures à la tête, à la poitrine et au ventre.
« Le nombre croissant de morts témoigne du caractère impitoyable de l’attaque des autorités contre la vie humaine dans l’ombre des coupures d’Internet. Il n’existe pas d'” enquête impartiale ” en Iran. Les États membres des Nations unies ne doivent pas se contenter de déclarations inopérantes, mais prêter l’oreille aux appels des victimes et des défenseur·e·s des droits humains en faveur de la justice en Iran et mettre en place un mécanisme d’enquête de l’ONU indépendant, a déclaré Heba Morayef, directrice du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International.
La colère exprimée dans les rues montre ce que les Iraniennes et les Iraniens pensent de l’omniprésente ” police des mœurs ” et des lois sur le port obligatoire du voile. Il est grand temps que ces lois discriminatoires et les forces de sécurité qui les appliquent soient définitivement écartées de la société iranienne
Heba Morayef, Amnesty International
« La colère exprimée dans les rues montre ce que les Iraniennes et les Iraniens pensent de l’omniprésente ” police des mœurs ” et des lois sur le port obligatoire du voile. Il est grand temps que ces lois discriminatoires et les forces de sécurité qui les appliquent soient définitivement écartées de la société iranienne. »
Amnesty International a recensé les noms de 19 personnes, dont trois enfants, abattues par les forces de sécurité le 21 septembre. La mort de deux autres, dont un passant de 16 ans, a également été confirmée le 22 septembre. D’autres décès font l’objet d’enquêtes.
Se faisant l’écho d’une frustration croissante face à l’incapacité de la communauté internationale à prendre des mesures énergiques pour endiguer les vagues successives d’homicides en marge des manifestations en Iran, le père de Milan Haghigi, jeune homme de 21 ans tué par les forces de sécurité le 21 septembre, a déclaré à Amnesty International : « Les gens attendent des Nations unies qu’elles nous défendent, nous et les manifestant·e·s. Moi aussi, je peux condamner [les autorités iraniennes], le monde entier peut les condamner, mais à quoi ça sert ? »
Selon des témoins, les forces de sécurité impliquées dans ces tirs meurtriers englobent des membres des gardiens de la révolution, des forces paramilitaires bassidjis et des membres des forces de sécurité en civil. Ils ont tiré à balles réelles sur des manifestant·e·s dans le but de les disperser, de les intimider, de les punir ou de les empêcher d’entrer dans les bâtiments publics. Ces pratiques sont interdites par le droit international, qui limite l’utilisation des armes à feu aux cas où elle est nécessaire pour répondre à une menace imminente de mort ou de blessure grave, et uniquement lorsque des moyens moins extrêmes sont insuffisants.
Outre les 19 personnes tuées le 21 septembre, Amnesty International a recensé les noms de deux victimes des forces de sécurité à Dehdasht, dans la province de Kohkiluyeh et Buyer Ahmad le 22 septembre, dont un adolescent de 16 ans qui se trouvait là.
Depuis que la mort en garde à vue de Mahsa (Zhina) Amini, 22 ans, violemment arrêtée par la « police des mœurs » iranienne en raison des lois discriminatoires et dégradantes sur le port obligatoire du voile, a déclenché des manifestations d’ampleur nationale, Amnesty International a recensé les noms de 30 personnes tuées par les forces de sécurité : 22 hommes, quatre femmes et quatre enfants. Elle pense toutefois que le nombre réel de victimes est plus élevé et poursuit son enquête.
Des décès ont été recensés dans les provinces d’Alborz, d’Ispahan, d’Ilam, de Kohkiluyeh et Buyer Ahmad, de Kermanshah, du Kurdistan, du Mazandéran, de Semnan, de Téhéran et de l’Azerbaïdjan occidental.
Province de l’Azerbaïdjan occidental
Cette province a connu l’un des bilans les plus lourds de la nuit du 21 septembre avec la mort d’au moins trois hommes et deux enfants : Sadrodin Litani, Milan Haghighi et Amin Marefat, 16 ans, à Oshnavieh, et Danesh Rahnama et Abdollah Mahmoudpour, 17 ans, dans le village de Balou.
Un défenseur des droits humains a transmis à Amnesty International le récit écrit d’un manifestant à Ohshnavieh. Il raconte que, le 21 septembre, des gardiens de la révolution ont tiré au hasard à balles réelles sur des manifestant·e·s qui tentaient d’entrer dans le bureau du gouverneur : « Des gardiens de la révolution ont attaqué les gens et ont tiré directement [vers les manifestants] avec des armes à feu, ôtant la vie à trois personnes […], dont Sadroddin Litani, touché au ventre et au cou depuis une distance de plusieurs mètres, et Amin Marefat, qui a reçu une balle dans le cœur […] La balle est ressortie par le dos. »
Amnesty International a analysé une vidéo qui corrobore ce témoignage : on peut voir un impact de balle dans le dos de la dépouille d’Amin Marefat.
D’après le père de la troisième victime d’Oshnavieh, Milan Haghighi, son fils a succombé à des blessures par balle mortelles, notamment à la jambe et au torse.
Selon les informations communiquées à Amnesty International par des défenseur·e·s des droits humains ayant des contacts sur le terrain, les tirs meurtriers dans le village de Balou ont eu lieu devant le quartier général des bassidjis. L’organisation a obtenu un message vocal d’un témoin qui disait : « Ils [les membres des forces de sécurité] nous tuent directement. »
Province de Kohkiluyeh et Buyer Ahmad
À Dehdasht, deux témoins ont déclaré que Pedram Azarnoush, 16 ans, qui se trouvait sur les lieux, a été abattu le 22 septembre lorsque des gardiens de la révolution ont commencé à tirer à balles réelles, à plusieurs reprises et au hasard, pour disperser les manifestant·e·s. La même nuit, selon des habitant·e·s, un deuxième homme, identifié comme étant Mehrdad Behnam Vasl, a perdu la vie.
L’un des deux témoins a indiqué : « Le jeune garçon était appuyé contre un mur et il regardait simplement les gens. Les manifestant·e·s s’enfuyaient et il ne s’est pas rendu compte que les balles pouvaient aussi venir dans sa direction […] Les membres des forces de sécurité canardaient dans tous les sens, et tout le monde risquait d’être touché, c’était une pure question de chance d’échapper à une balle ou pas. »
Les témoins ont assuré que les gardiens de la révolution s’étaient cachés derrière des arbres sur une place à Dehdasht et ne faisaient face à aucune menace lorsqu’ils ont ouvert le feu sur les manifestant·e·s qui scandaient des slogans.
Selon des témoins, les tirs à balles réelles ont fait plusieurs blessés graves, dont un garçon de 13 ans, Amirali Douhandeh, touché à la jambe. Ils ont signalé que des agents des services de sécurité et de renseignement se sont déployés en nombre à l’hôpital Imam Khomeini à Dehdasht, surveillant de près le service où sont soignés les manifestant·e·s blessés.
Province de Semnan
Les informations recueillies à propos de Garmsar, dans la province de Semnan, font état de méthodes similaires : des tirs irresponsables des forces de sécurité, qui ont entraîné la mort d’au moins un jeune manifestant, Mehdi Asgari, le 21 septembre, devant un poste de police.
Dans une vidéo qui aurait été tournée lors de cet événement et qui a circulé sur Internet, on voit des manifestant·e·s essuyer des tirs alors qu’ils jettent des pierres sur le poste de police et fracassent à coups de pied la porte d’entrée. Au milieu du bruit des tirs, deux manifestants tombent à terre. Une deuxième vidéo examinée par Amnesty International montre un manifestant gisant sans vie au sol, ensanglanté.
Province du Mazandéran
Le bilan fait état d’au moins six hommes et une femme tués dans cette province : Mohsen Mohammadi à Ghaemshahr ; Hannaneh Kia, Hossein Ali Kia et Mehrzad Avazpour à Noshahr ; Mohammad Hosseinikhah à Sari ; Milad Zare à Babol ; et Amir Norouzi à Bandar-e Anzali.
Un journaliste a rapporté que, selon deux amis d’Hannaneh Kia, une balle l’a fauchée alors qu’elle revenait d’une visite chez le médecin.
Méthodologie
Dans le cadre de son enquête sur la répression lors des manifestations, Amnesty International s’est entretenue avec 30 personnes, dont 10 témoins, six manifestant·e·s et un proche de victime, ainsi que quatre défenseur·e·s des droits humains et neuf journalistes se trouvant hors d’Iran, qui ont été en contact avec des sources primaires sur le terrain et ont transmis des documents audiovisuels.