Chili. Deux ans après les troubles, Amnesty présente au parquet un rapport sur la responsabilité des dirigeants de la police

À l’occasion du deuxième anniversaire du soulèvement social au Chili, Amnesty International a présenté au parquet un rapport compilant les normes internationales relatives à la responsabilité pénale du commandement des carabineros (police nationale en uniforme), dans le contexte des crimes commis lors de la réaction aux manifestations.

« Il y a deux ans, des milliers de personnes sont courageusement descendues dans la rue au Chili afin de réclamer plus d’égalité et plus de respect pour les droits humains, comme par exemple une pension de retraite décente, l’accès au logement, à l’éducation et une politique de santé publique de qualité. Les autorités ont réagi en menant une répression violente et en érigeant la protestation sociale en infraction, par le biais d’un recours excessif à la force, et d’une utilisation discriminatoire et disproportionnée de la détention provisoire, entre autres graves violations des droits humains – situation que le gouvernement a niée et minimisée jusqu’à présent », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International.

Amnesty International a montré que les moyens et techniques employés par les policiers en uniforme ont favorisé, encouragé et cautionné un recours excessif à la force. Cependant, aucun membre du commandement stratégique n’a encore été poursuivi pour l’instant, et un grand nombre des fonctionnaires ayant commis des violations des droits humains continuent à l’heure actuelle à maintenir l’ordre lors des manifestations. À l’occasion de cet anniversaire, Amnesty International rappelle que l’intervention de la justice et une réforme structurelle des carabineros sont des étapes essentielles pour que ces violations ne se reproduisent plus.

« L’histoire serait différente pour des milliers de victimes si la hiérarchie des carabineros n’avait pas délibérément fait preuve de négligence, permettant ainsi que des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements soient commis contre des manifestant·e·s afin de disperser ceux-ci à tout prix ou de les arrêter en l’absence de garanties suffisantes. Les autorités savaient ce qui était en train de se passer et n’ont pas non plus agi de manière décisive afin d’empêcher que de tels actes se reproduisent. Deux ans après ces troubles, les enquêtes ont à peine avancé. Le parquet doit établir sans délai les responsabilités de toute la chaîne de commandement, y compris au plus haut niveau. Nous espérons que ce rapport aidera à mettre un terme à cette impunité prolongée et inacceptable », a déclaré Ana Piquer, directrice exécutive d’Amnesty International Chili.

Les autorités ont réagi en menant une répression violente et en érigeant la protestation sociale en infraction

Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International

Négligence délibérée et impunité

Le rapport présenté au parquet analyse la responsabilité pénale des supérieurs n’ayant pas empêché ni dénoncé le recours excessif et disproportionné à la force par des membres de l’institution.

De nombreuses personnes ont alors été blessées et tuées, et les supérieurs hiérarchiques concernés n’ont pas, ou très rarement, rendu des comptes quant à leurs responsabilités administratives. Les mécanismes de contrôle interne n’ont par ailleurs pas suffisamment joué leur rôle après les crimes et violations des droits humains recensés. Les hauts responsables ont par ailleurs délibérément entravé l’accès du parquet à l’information et favorisé l’impunité au sein de l’institution – par exemple, dans des cas comme ceux d’Alex Núñez, Gustavo Gatica et Fabiola Campillai.

L’existence de cette culture de l’impunité est manifeste lorsque l’on constate que deux ans après les opérations répressives généralisées menée par les carabineros, le rôle et les responsabilités du directeur du maintien de l’ordre et de la sécurité de l’époque n’ont pas fait l’objet d’une enquête. Il a même depuis lors décroché le poste le plus prestigieux de l’institution policière puisqu’il en est désormais le directeur général. Le directeur général précédent n’a pas été écarté de son poste en raison de sa possible responsabilité dans ces violations des droits humains, parmi lesquelles des homicides, des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements recensés dans le rapport de l’organisation.

Cette culture institutionnelle de l’impunité a été alimentée par les discours agressifs de l’exécutif qui ont diabolisé les actions de protestation en qualifiant les manifestant·e·s d’ennemis puissants, organisés et sans pitié, favorisant ainsi les divers crimes commis dans le cadre du soulèvement. Les autorités continuent à ce jour à employer une force disproportionnée, et le gouvernement accorde aux carabineros un soutien sans faille, qui l’amène à nier la gravité de ce qui s’est passé il y a deux ans ainsi que la nécessité de s’attaquer aux problèmes structurels qui y ont contribué.

Pour une réforme en urgence des carabineros

Comme l’a signalé Amnesty International, il est nécessaire de mener en profondeur une réforme de grande ampleur de l’institution des carabineros au Chili, afin que les forces de l’ordre se conforment de manière stricte aux normes internationales relatives à l’emploi de la force.

C’est pour cette raison qu’à l’occasion du deuxième anniversaire de ces troubles sociaux, Amnesty International publie un rapport intitulé Policías bajo la Lupa: cinco claves para la supervisión y la rendición de cuentas de la policía en las Américas, qui s’appuie sur des recherches effectuées dans toute la région – notamment au Chili -, avec la collaboration de plus de 100 représentant·e·s de la société civile, du monde universitaire et de la fonction publique, ainsi que de spécialistes de la question.

Deux ans après ces troubles, les enquêtes ont à peine avancé

Ana Piquer, directrice exécutive d’Amnesty International Chili

Le rapport rappelle que la seule manière de mettre un terme aux violences policières est d’engager un processus de réforme structurelle des institutions concernées, par le biais d’un large dialogue avec la société civile, qui permette d’identifier des schémas récurrents de violence et de créer des mécanismes indépendants, transparents et participatifs d’enquête et de reddition de comptes, notamment en ce qui concerne la responsabilité des supérieurs hiérarchiques.

Ainsi que le suggère son titre, le rapport propose cinq mesures clés à cet effet : des mécanismes indépendants et efficaces de suivi des agissements de la police ; de véritables mécanismes de participation pour la société civile et les organisations de victimes ; des protocoles adaptés afin d’enquêter sur les abus policiers ; le fait d’envisager les agissements policiers illégaux comme un problème structurel ; et l’établissement des responsabilités des supérieurs hiérarchiques, y compris au plus haut niveau.

Complément d’information

Amnesty International a recensé comment, durant les manifestations de masse d’octobre 2019, les carabineros du Chili ont commis des violations graves et généralisées des droits humains, en particulier du droit à l’intégrité physique, et de possibles crimes de droit international. Selon des chiffres communiqués par le parquet et l’Institut national des droits humains, on recensait en mars 2021 plus de 8 000 victimes de la violence d’État et plus de 400 cas de traumatisme oculaire. Ces violations généralisées pourraient attester l’existence de pratiques systématiques trahissant une intention de nuire aux personnes qui manifestent, dans le but de faire taire la protestation, ou considérant cet état de fait comme un mal nécessaire. L’ampleur et la fréquence des violations des droits humains et possibles crimes de droit international perpétrés auraient pu être prévenues, mais les responsables stratégiques et opérationnels de l’institution policière se sont délibérément abstenus de mettre en place certaines mesures à leur disposition.