Qatar. Un militant des droits du travail kenyan maintenu en détention à l’isolement

Les autorités du Qatar doivent révéler immédiatement le lieu où se trouve le militant kenyan des droits des travailleurs Malcolm Bidali, ont déclaré cinq organisations de défense des droits humains et des droits du travail vendredi 28 mai. Plus de trois semaines après la disparition forcée de Malcolm Bidali par des membres des forces de sécurité de l’État, les autorités continuent de refuser de révéler le lieu où il se trouve ou la raison pour laquelle il a été arrêté. Dans un appel téléphonique passé à sa mère le 20 mai, Malcolm Bidali a déclaré qu’il était maintenu en détention à l’isolement 23 heures par jour et qu’il ne pouvait pas consulter d’avocat.

Migrant-Rights.org, FairSquare, Amnesty International, Human Rights Watch, et le Centre de ressources sur les entreprises et les droits humains appellent les autorités du Qatar à libérer immédiatement Malcolm Bidali, qui semble être incarcéré uniquement pour avoir exercé pacifiquement ses droits humains. Les cinq organisations ont déclaré :

« Les autorités du Qatar n’ont pas répondu aux demandes répétées d’informations de la part de la mère de Malcolm Bidali et de nos organisations. Des semaines après qu’il ait été arrêté à son domicile, on ignore toujours où il se trouve. Il n’y a aucune preuve indiquant qu’il ne soit détenu pour autre chose que pour son travail légitime en faveur des droits humains, pour avoir exercé sa liberté d’expression, et pour avoir mis en lumière le traitement des travailleurs et travailleuses migrants au Qatar.

« Si les autorités disposent réellement de preuves crédibles démontrant que Malcolm Bidali a commis une infraction dûment reconnue par le droit international, alors il doit être amené devant un juge pour être inculpé, et bénéficier d’un procès équitable. Dans le cas contraire, il doit être libéré immédiatement et sans condition. »

Attaque de hameçonnage

Malcolm Bidali tweete sur les violations du droit du travail au Qatar sous un pseudonyme. Le 26 avril, un utilisateur de Twitter a identifié Malcolm Bidali dans un tweet contenant un graphique que Human Rights Watch avait utilisé dans un rapport d’août 2020 sur les violations du droit à la rémunération au Qatar. Le tweet contenait également ce qui semblait être un lien YouTube vers une publication de Human Rights Watch.

Cependant, d’après l’analyse d’Amnesty International, le lien menait vers une URL suspicieuse, capable d’enregistrer l’adresse IP et d’autres données sur la personne qui cliquait sur celui-ci. C’est une technique d’ingénierie sociale connue sous le nom de hammeçonnage, et elle pourrait avoir été utilisée pour identifier ou localiser Malcolm Bidali.

Les forces de sécurité de l’État l’ont saisi à son domicile le 4 mai, à peine une semaine après l’attaque de hameçonnage.

« Bien que nous ne puissions pas confirmer qui était responsable de l’attaque de hameçonnage à l’encontre de Malcolm Bidali, son arrestation peu de temps après laisse penser qu’il a été ciblé en raison de son militantisme », ont déclaré les organisations.

« Malcolm Bidali est l’une des rares voix à s’élever contre les violations des droits des travailleurs et travailleuses migrants au Qatar, et sa disparition forcée aura un effet dévastateur sur la liberté d’expression. Quand l’un des seuls travailleurs qui défend publiquement les droits des migrant·e·s au Qatar est ainsi pris pour cible, cela crée un climat de peur et sert d’avertissement aux autres militant·e·s. »

Le 12 mai, les autorités du Qatar ont reconnu qu’elles détenaient Malcolm Bidali, mais elles ont refusé d’indiquer le lieu ou la raison de sa détention. Tant que le lieu où se trouve Malcolm Bidali n’a pas été révélé, et tant qu’il n’a pas été soit déféré à la justice pour des chefs d’accusation reconnus par la loi soit libéré, sa détention continue de constituer une disparition forcée.

Le 20 mai, les services de sécurité de l’État du Qatar ont autorisé Malcolm Bidali à appeler sa mère, Maggie Turner, après l’intervention de l’ambassadeur du Kenya au Qatar. Au cours de la conversation de 10 minutes, Malcolm Bidali a assuré à sa mère qu’il n’avait pas été maltraité, mais il n’a pas été en mesure de lui dire où il était détenu, ni pour quelle raison. Il a également déclaré que deux gardes étaient présents pendant la durée de l’appel.

« Malgré le soulagement énorme de savoir que Malcolm est en vie, le manque d’informations est dur à supporter », a déclaré Maggie Turner.

« Le fait qu’il se trouve en détention à l’isolement est extrêmement préoccupant. »

Migrant-Rights.org, FairSquare, Amnesty International, Human Rights Watch, et le Centre de ressources sur les entreprises et les droits humains ont déclaré :

« La disparition forcée est un crime au regard du droit international, et la détention prolongée à l’isolement peut constituer un acte de torture. Nous renouvelons nos appels aux autorités du Qatar afin qu’elles révèlent immédiatement le lieu où se trouve Malcolm Bidali, qu’elles mettent fin à sa détention à l’isolement, et qu’elles lui permettent de consulter un avocat indépendant. »

Complément d’information

Malcolm Bidali, un Kenyan âgé de 28 ans, est un agent de sécurité, blogueur et militant, qui s’exprime sur la situation difficile des travailleurs migrants comme lui et qui a écrit pour un grand nombre de plateformes en ligne. Une semaine avant son arrestation, il avait fait une présentation à un large groupe d’organisations de la société civile et de syndicats pour y parler de son expérience de travailleur au Qatar.

Le 4 mai, les services de sécurité du Qatar sont venus chercher Malcolm Bidali à son logement pour le questionner. Le 12 mai, les autorités du Qatar ont confirmé qu’elles le détenaient, mais ont refusé de révéler où il se trouvait. Les autorités ont permis à Malcolm Bidali de contacter son consulat, et l’ont autorisé à appeler brièvement sa mère le 20 mai. Elles ne l’ont inculpé d’aucun chef d’accusation, et continuent de lui refuser l’accès à une représentation légale.

Une disparition forcée est un crime reconnu par le droit international qui, selon la Convention contre les disparitions forcées, a lieu lorsqu’une personne est arrêtée ou détenue par des agents de l’État, « suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi ».

Au titre du droit international, comme le dispose l’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (les règles Nelson Mandela), la détention à l’isolement « ne doit être utilisé[e] qu’en dernier ressort dans des cas exceptionnels, pour une durée aussi brève que possible ». En outre, comme le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture l’a décrit en 2020, la détention prolongée à l’isolement supérieure à 15 jours consécutifs est considérée comme une forme de torture.

En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Qatar a l’obligation de veiller à ce que tout le monde bénéficie du droit à une procédure régulière, et à ce que personne ne soit détenu arbitrairement ni soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

De surcroît, au titre de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme, les gouvernements doivent protéger activement les défenseur·e·s des droits humains de tout préjudice. Ils ont l’obligation de mettre en place des structures sociales et légales afin de créer un environnement sûr et propice au travail des défenseur·e·s des droits humains.