Robert Mugabe, qui a dirigé le Zimbabwe pendant près de 40 ans, est mort à l’âge de 95 ans, laissant derrière lui une tache indélébile sur le bilan en matière de droits humains de son pays, a déclaré Amnesty International.
Bien que s’étant présenté comme le sauveur du Zimbabwe, Robert Mugabe a causé des dégâts durables pour la population et la réputation du pays.
Muleya Mwananyanda, directrice adjointe pour l’Afrique australe à Amnesty International
Dans ses premières années à la tête du Zimbabwe, à l’issue de la transition suivant la fin de l’Empire colonial britannique, certaines avancées considérables ont été permises par son investissement conséquent dans les services sociaux. Des progrès spectaculaires ont été réalisés dans des domaines tels que la santé et l’éducation, et le Zimbabwe affiche encore aujourd’hui l’un des plus forts taux d’alphabétisation d’Afrique. Son bilan s’est cependant dégradé par la suite.
Durant ses 37 années au pouvoir, il a présidé à la répression brutale des opposants politiques, créé une culture d’impunité pour lui et son entourage, et son gouvernement a mis en œuvre une série de politiques qui ont eu des conséquences désastreuses.
« Bien que s’étant présenté comme le sauveur du Zimbabwe, Robert Mugabe a causé des dégâts durables pour la population et la réputation du pays », a déclaré Muleya Mwananyanda, directrice adjointe pour l’Afrique australe à Amnesty International.
En tant que leader de la résistance au gouvernement mené par la minorité blanche de ce qui était alors appelé la Rhodésie du Sud, Robert Mugabe a débuté sa vie politique en luttant contre l’injustice. Emprisonné puis exilé en raison de ses activités politiques, il a fait partie des plus de 900 prisonniers d’opinion du Zimbabwe adoptés par Amnesty International entre 1965 et 1979.
Porté par son image de défenseur des victimes de l’impérialisme, Robert Mugabe est devenu Premier ministre à la suite de l’indépendance en 1980 avec une vague de soutien populaire et a appelé à la réconciliation.
Cependant, peu après avoir pris ses fonctions, il a déployé l’appareil répressif de l’État contre les opposants politiques. Pendant les années 1980, la répression connue sous le nom de Gukurahundi, signifiant « les premières pluies qui emportent la paille avant les pluies du printemps », visant les personnes soupçonnées de soutenir l’opposition, a coûté la vie à 20 000 personnes. Nombre des personnes ayant perdu la vie étaient des civils.
Dès que Robert Mugabe se sentait sous pression, il encourageait systématiquement les atteintes aux droits humains, défendant publiquement ses représentants.
Muleya Mwananyanda
Les appels d’Amnesty International en faveur de poursuites judiciaires contre les sympathisants de Robert Mugabe et les membres des services de sécurité soupçonnés d’avoir commis des crimes ont été ignorés. Dans un avertissement qui s’est révélé prémonitoire, l’organisation avait alors prévenu que si personne n’était amené à rendre des comptes pour les atteintes commises dans le Matabeleland et les Midlands, un dangereux précédent serait créé.
Bien qu’il soit arrivé au pouvoir avec une vague de soutien populaire, le mandat de Robert Mugabe comme Premier ministre, puis comme président, a été caractérisé par une détermination infaillible à s’accrocher au pouvoir, pour lequel il a sacrifié l’économie, les institutions et la société du Zimbabwe.
Tout au long de sa présidence, les élections générales ont été marquées par des vagues de graves atteintes aux droits humains perpétrées par des agents des services de sécurité de l’État et des militants de la ZANU-PF. Des sympathisants de l’opposition ont été torturés, harcelés, intimidés et même tués. Certaines personnes ont disparu sans laisser de trace.
En 2008, après sa défaite au premier tour des élections face au candidat du Mouvement pour le changement démocratique Morgan Tsvangirai, l’armée a lancé une vague de violences dans le cadre de laquelle 300 personnes sont mortes et des milliers ont été blessées ou torturées après avoir été soupçonnées d’avoir voté pour l’opposition. Face à ces violences, le dirigeant de l’opposition Morgan Tsvangirai s’est retiré du second tour.
Une nouvelle fois, Amnesty International a appelé à des enquêtes sur ces crimes. Une nouvelle fois, l’appel de l’organisation a été ignoré.
« Dès que Robert Mugabe se sentait sous pression, il encourageait systématiquement les atteintes aux droits humains, défendant publiquement ses représentants », a déclaré Muleya Mwananyanda.
Une grande partie des progrès réalisés sur le plan des droits économiques, sociaux et culturels par le gouvernement de Robert Mugabe a été effacée par une série de décisions politiques désastreuses du gouvernement.
En 2000, il a soutenu un violent programme de réforme agraire, officiellement destiné à corriger les inégalités dans la répartition des terres résultant de 90 ans de colonialisme. Si une réforme agraire était en effet nécessaire, Robert Mugabe a cependant utilisé le programme de redistribution à des fins de clientélisme, récompensant ses sympathisants en leur octroyant des terres et privant les personnes considérées comme des opposants politiques de terres. Ce programme a en outre servi de prétexte pour s’en prendre violemment aux ouvriers agricoles qui avaient soutenu l’opposition.
En 2005, Robert Mugabe a dirigé l’une des expulsions forcées les plus dévastatrices de l’histoire africaine. Connue sous le nom d’opération Murambatsvina – mot shona signifiant « faire le ménage », cette campagne visait les habitants des bidonvilles. Selon les estimations des Nations unies, 700 000 personnes ont vu leur logement ou leur quartier, voire les deux, détruits. Les habitants expulsés ont été enfoncés encore davantage dans la pauvreté et nombre d’entre eux continuent de vivre sans accès aux soins de santé, à l’éducation et à d’autres services essentiels.
Robert Mugabe laisse derrière lui les cicatrices de son régime violent. Les personnes qui lui succéderont devront mettre en place un programme national pour les victimes, en assurant en premier lieu l’obligation de rendre des comptes pour les atteintes aux droits humains commises. Les Zimbabwéens et Zimbabwéennes méritent la vérité.
Muleya Mwananyanda
L’utilisation croissante des services de sécurité pour faire taire les voix dissidentes tant au sein qu’à l’extérieur de son parti est devenue caractéristique de son régime. Des opposants, parmi lesquels des défenseurs des droits humains, des journalistes et des militants des partis d’opposition, ont été incarcérés sur la base d’accusations motivées par des considérations politiques ou en vertu de lois draconiennes. Les moins chanceux ont été tués. Robert Mugabe était également intransigeant sur son opposition aux droits des personnes LGBT, affirmant que ces personnes étaient « pires que des chiens ou des cochons », et il soutenait une législation plus discriminante contre les personnes homosexuelles.
Fuyant la répression et le déclin de l’économie, environ trois millions de Zimbabwéens ont quitté le pays depuis 2000.
Lorsque Robert Mugabe a finalement été forcé à démissionner en novembre 2017, c’est Emmerson Mnangagwa, longtemps son lieutenant, puis plus tard son rival politique dans la lutte pour le contrôle du Zimbabwe à la tête de la ZANU-PF, qui a orchestré la fin de sa présidence avec le soutien de l’armée.
« Robert Mugabe laisse derrière lui les cicatrices de son régime violent. Les personnes qui lui succéderont devront mettre en place un programme national pour les victimes, en assurant en premier lieu l’obligation de rendre des comptes pour les atteintes aux droits humains commises. Les Zimbabwéens et Zimbabwéennes méritent la vérité », a déclaré Muleya Mwananyanda.