États-Unis. La santé des femmes enceintes est mise en péril par des lois punitives

Aux États-Unis, une série de lois, censées promouvoir la santé maternelle et infantile, écartent en fait les femmes enceintes de services de santé vitaux, mettant en péril leur bien-être et bafouant leur droit à la santé, selon un nouveau rapport publié par Amnesty International mardi 23 mai.

Ces lois placent les femmes enceintes face à un dilemme, les contraignant à choisir entre risquer leur santé ou risquer la sanction.

Carrie Eisert, conseillère à Amnesty International

Ce document, intitulé Criminalizing Pregnancy: Policing Pregnant Women Who Use Drugs in the USA, met en lumière les conséquences des lois criminalisant la grossesse, notamment celles qui sont utilisées pour arrêter et poursuivre des femmes qui consomment des stupéfiants, en invoquant la nocivité pour leur fœtus. La peur que leur inspirent ces lois dissuade les femmes enceintes d’avoir accès aux soins de santé, aux soins prénataux et même aux traitements pour la toxicomanie.

« À travers les États-Unis, le contrôle strict du comportement des femmes enceintes sape la confiance des patientes dans les services de santé, ce qui a de graves conséquences. Ces lois placent les femmes enceintes face à un dilemme, les contraignant à choisir entre risquer leur santé ou risquer la sanction, a déclaré Carrie Eisert, conseillère à Amnesty International, auteure du rapport.

« La toxicomanie est une maladie, mais les autorités américaines la traitent comme un crime : elles ne garantissent pas la disponibilité des traitements pour les femmes enceintes et les sanctionnent ensuite pour leur dépendance. Ces lois dures et discriminatoires rendent la grossesse plus dangereuse, tout en bafouant les droits humains. »

Une offensive en cours

Le rapport prête une attention particulière à l’impact de la loi relative à la « mise en danger par exposition à des substances chimiques » en Alabama, l’État qui a intenté le plus grand nombre de poursuites contre les femmes enceintes, et de la loi du Tennessee sur l’« agression contre le fœtus », qui entre 2014 et 2016 a criminalisé le fait de donner naissance à un enfant présentant des symptômes d’exposition aux stupéfiants.

Cependant, la plupart des États américains ont en vigueur une forme de règlementation sur l’« agression contre le fœtus », et la tendance se poursuit. Lors de la session législative de 2017, les États ont adopté plus de 300 mesures visant à restreindre les droits en matière de sexualité et de procréation, emblématiques d’une offensive lancée contre les droits des femmes, qui a gagné en intensité durant les 100 premiers jours de la présidence de Trump.

Une femme a déclaré à Amnesty International qu’elle a été inculpée au titre de la loi relative à la « mise en danger par exposition à des substances chimiques » de l’Alabama, car elle était soupçonnée de se droguer, alors qu’elle ignorait qu’elle était enceinte. Une autre a raconté que la crainte de faire l’objet de sanctions l’avait dissuadée de s’adresser aux services de santé :

« Dans ma ville, je craignais d’aller chez le médecin, parce que si vous êtes testée positive [aux stupéfiants], bam, vous écopez d’une accusation de « mise en danger par exposition à des substances chimiques ».

Au Tennessee, une femme a raconté avoir accouché au bord de la route parce qu’elle voulait éviter d’aller à l’hôpital, où elle craignait d’être poursuivie au titre de la loi sur l’« agression contre le fœtus ».

Si cette loi est arrivée à échéance en 2016, elle figure toujours dans le code de l’État et pourrait être réintroduite.

Cette femme a ajouté qu’elle avait par la suite passé des mois à essayer de se procurer un traitement pour toxicomanie, mais n’a pu trouver aucun service qui accepte son assurance. Au Tennessee, les coûts du traitement dépassent les 4 500 dollars (environ 4 000 euros) par an.

Amnesty International souligne qu’en raison de cette focalisation sur la sanction, en l’absence d’un financement accru ou de dispositions visant à développer les services de traitement de la toxicomanie, ces lois échouent dans leur objectif déclaré de promouvoir des grossesses saines. Elles bafouent également les droits des femmes à la santé, à la vie privée, à l’égalité et à la non-discrimination.

Sanctionner les pauvres

Dans son rapport, Amnesty International a conclu que des éléments probants pointent une discrimination dans la mise en œuvre des lois criminalisant la grossesse, souvent appliquées de manière disproportionnée contre les femmes à faible revenu et les femmes de couleur.

La plupart des femmes inculpées au titre des lois de l'Alabama et du Tennessee ne sont pas en mesure de s'offrir les services d’un avocat pour les défendre et sont prises pour cibles parce qu'elles sont pauvres.

Carrie Eisert, conseillère à Amnesty International

Ces femmes, bien souvent confrontées à de multiples niveaux de discrimination, n’ont pas les ressources pour se frayer un chemin à travers le système judiciaire ou les services de protection de l’enfance.

Pour cette raison, les femmes qui sont traditionnellement en butte à la discrimination sont les plus exposées au risque de poursuites lorsqu’elles tombent enceintes. Les tests de dépistage sont appliqués de manière sélective, souvent en fonction de facteurs de « risque » discrétionnaires comme les faibles revenus. Certains médecins ont reconnu que leurs décisions concernant la sélection des femmes devant être testées se fondent sur leurs propres préjugés.

Dans certains cas alarmants, les tests de dépistage ont été réalisés à l’insu des femmes concernées, ce qui constitue une violation du droit à la vie privée. Le directeur d’un programme correctionnel communautaire dans l’Alabama a évoqué l’absence de protocole clair concernant l’obtention du consentement éclairé :

« Tous les hôpitaux ont des règles différentes. L’aléatoire y figure en bonne place. Ce n’est pas vraiment un système. Nous fonctionnons plutôt au hasard. »

« La plupart des femmes inculpées au titre des lois de l’Alabama et du Tennessee ne sont pas en mesure de s’offrir les services d’un avocat pour les défendre et sont prises pour cibles parce qu’elles sont pauvres. Ce type de lois renforcent les stéréotypes sur les femmes à faible revenu et marginalisées, les punissant dans les faits pour leurs conditions de vie », a déclaré Carrie Eisert.

Le rapport porte principalement sur les femmes sanctionnées pour usage de drogues. Toutefois, promouvoir des approches punitives en matière de santé et de droits des femmes se traduit également par des poursuites engagées contre celles qui refusent une intervention médicale ou tentent de se suicider.

« Les droits des femmes en matière de sexualité et de procréation sont toujours un champ de bataille aux États-Unis. Les autorités américaines doivent se rendre à l’évidence et abroger ou modifier les lois qui servent à sanctionner les femmes pour leur comportement durant la grossesse – ces lois ne fonctionnent pas, a déclaré Carrie Eisert.

« La justice pénale n’a pas sa place dans le domaine de la santé publique. Au lieu de contrôler le corps des femmes, les autorités devraient veiller à ce que les femmes enceintes aient accès aux soins prénataux et aux programmes de traitement de la toxicomanie auxquels elles ont droit. »

Complément d’information

En avril 2014, le Tennessee a modifié sa loi sur l’« agression contre le fœtus », devenant le premier État à adopter une loi pénale qui criminalise explicitement le fait de donner naissance à un enfant présentant des symptômes d’exposition prénatale à des stupéfiants. Amnesty International a enquêté sur les répercussions de cette loi durant les deux années pendant lesquelles elle était en vigueur.

La loi de l’Alabama sur la « mise en danger par exposition à des substances chimiques » a été adoptée en 2006, dans le but de protéger les enfants des environnements dans lesquels ils pourraient être exposés à des stupéfiants ou à des substances contrôlées. Des procureurs et la Cour suprême de l’Alabama interprètent cette loi pour l’appliquer aux femmes enceintes qui consomment des stupéfiants.