République centrafricaine. Il faut renforcer le maintien de la paix afin de prévenir un regain de violence

Un risque de violences meurtrières et d’instabilité continuera à peser sur les civils en République centrafricaine à moins que les graves lacunes de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) ne soient comblées de toute urgence, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public lundi 8 février.

Alors qu’un nouveau président doit être élu dans moins d’une semaine, le rapport de l’organisation, intitulé Un mandat pour protéger. Les ressources pour réussir ? Renforcer le maintien de la paix en République centrafricaine, analyse comment de profondes insuffisances sur le plan humain et matériel se sont soldées par l’incapacité pour les Casques bleus de prévenir et d’endiguer une explosion de violence qui a fait 75 morts, dont de nombreux civils, à Bangui en septembre 2015.

La présence de la MINUSCA en République centrafricaine a sauvé beaucoup de vies et prévenu de nombreuses effusions de sang, mais les violences extrêmes ayant éclaté en septembre 2015 ont mis en évidence les faiblesses de la Mission.

Steve Cockburn, directeur régional adjoint à Amnesty International pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest

L’organisation demande une évaluation de grande ampleur de l’échec manifeste de la MINUSCA concernant la protection des civils en septembre 2015, et notamment de son aptitude à remplir son mandat, ce qui recouvre des facteurs tels que la formation, l’équipement, la coordination et le nombre de membres opérationnels en uniforme et en civil.

« La présence de la MINUSCA en République centrafricaine a sauvé beaucoup de vies et prévenu de nombreuses effusions de sang, mais les violences extrêmes ayant éclaté en septembre 2015 ont mis en évidence les faiblesses de la Mission. Elle n’est cependant toujours pas dotée des ressources dont elle a besoin pour protéger les civils de manière adéquate », a déclaré Steve Cockburn, directeur régional adjoint à Amnesty International pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest.

« Faire en sorte que la force de maintien de la paix dispose des moyens requis afin de prévenir et contenir des violences de grande ampleur, mais aussi de soutenir le gouvernement pour que celui-ci veille à ce que justice soit rendue, doit être une priorité absolue si l’on souhaite mettre un terme au cycle de violence et d’injustice qui mine la République centrafricaine depuis si longtemps. »

Le 31 janvier 2016, le ministre français de la Défense a annoncé le retrait, d’ici la fin de l’année, de la majorité des 900 soldats déployés par la France se trouvant actuellement en République centrafricaine, ce qui rend l’évaluation de la MINUSCA d’autant plus urgente.

La flambée de violence de septembre

En dépit de la présence de 2 660 policiers et soldats des Nations unies à Bangui, les forces de la MINUSCA n’ont pas été en mesure d’enrayer comme il se devait les violences ayant éclaté sur place le 26 septembre. Au moins 75 personnes, des civils pour la plupart, ont été tuées en l’espace de trois jours. Des logements ont été détruits, 42 000 autres personnes ont été déplacées et au moins 12 femmes ont été violées dans un arrondissement au cours de la seule première journée. Une jeune fille de 18 ans a expliqué à Amnesty International ce qui lui est arrivé le 26 septembre : « Je suis allée au marché pour faire des courses […] j’ai entendu des coups de feu. Je me suis mise à courir vers la maison, mais alors que je passais près du bureau local de la Croix-Rouge, j’ai été arrêtée par six hommes […] en uniformes militaires […] Ils ont posé des cartons par terre. Un jeune homme et un vieil homme m’ont violée. »

Amnesty International a découvert que la MINUSCA s’est par ailleurs montrée incapable de répondre aux appels de professionnels médicaux lui demandant d’escorter les blessés jusqu’aux hôpitaux le 27 septembre.

Un professionnel de santé a déclaré à l’organisation : « Nous avons reçu 25 blessés dont 13 blessés graves, mais nous n’avons pas pu les emmener à l’hôpital avec notre véhicule, car l’accès était bloqué pour des raisons de sécurité. Mon équipe a appelé la MINUSCA pour obtenir de l’aide, mais la MINUSCA a dit qu’elle ne pouvait pas venir […] Le lendemain, six des blessés graves étaient morts. »

Selon des témoignages recueillis par Amnesty International, la MINUSCA n’est pas intervenue dans certaines des principales zones de conflit avant la deuxième journée des violences, et c’est seulement le troisième jour qu’elle a pris des mesures pour éliminer des barrages routiers érigés par des groupes armés.

Quand le manque de ressources empêche de réagir

Si la faiblesse de l’État centrafricain a régulièrement été citée parmi les principaux facteurs entravant les efforts de protection des civils, plusieurs experts interrogés ont également évoqué divers motifs de préoccupation en rapport avec la capacité de la MINUSCA à faire face aux violences. Ils ont pointé du doigt de grands manques en matière de formation et d’équipement, ainsi que l’insuffisance supposée des effectifs mis à la disposition des Casques bleus.

Un membre haut placé des forces de la MINUSCA a déclaré à Amnesty International : « Lorsque des coups de feu sont tirés, nous pouvons uniquement envoyer des hommes dans des véhicules blindés. Mais beaucoup de ces véhicules sont actuellement hors service. »

Des experts ont également évoqué des problèmes considérables en termes de coordination entre les différentes composantes de la force de maintien de la paix. Ceux-ci ont eu pour conséquence la non-utilisation, lors des premiers jours des violences, de plus de 450 soldats des Nations unies stationnés à Bangui.

Des membres du public interrogés ont indiqué que la population est de plus en plus suspicieuse et hostile à l’égard de la MINUSCA. Un homme de 45 ans résidant à Bangui a déclaré à Amnesty International : « On attendait beaucoup d’eux. Ils nous avaient dit de patienter. Qu’ils seraient bientôt 12 000. Mais aujourd’hui, alors qu’ils sont 12 000, on ne les voit pas sur le terrain […] Lorsqu’on les attend pour une intervention, ils n’arrivent jamais. Ou alors, quand ils arrivent, c’est trop tard. »

Des entretiens avec les dirigeants de groupes armés ont montré que ceux-ci utilisent l’absence de protection offerte par la MINUSCA dans de nombreuses zones afin d’affirmer que la persistance de leur propre présence a pour but de « protéger » les populations.

On attendait beaucoup d’eux. Ils nous avaient dit de patienter. Qu’ils seraient bientôt 12 000. Mais aujourd’hui, alors qu’ils sont 12 000, on ne les voit pas sur le terrain […] Lorsqu’on les attend pour une intervention, ils n’arrivent jamais. Ou alors, quand ils arrivent, c’est trop tard.

Un homme de 45 ans résidant à Bangui, interrogé par Amnesty International

Un renforcement possible

Des mesures prises par la MINUSCA à la suite des événements de septembre 2015, notamment l’arrivée d’effectifs supplémentaires à Bangui ainsi qu’une réorganisation au sein des structures de commandement, leur ont permis de réagir plus efficacement face à plusieurs épisodes violents en octobre 2015. Entre octobre 2015 et janvier 2016, la MINUSCA a empêché que des violences majeures ne surviennent, notamment lors de la visite du pape, du référendum sur l’adoption d’une nouvelle Constitution et du premier tour de l’élection présidentielle.

Il n’y a cependant guère de garantie que la MINUSCA soit capable de réagir de manière adaptée à une nouvelle flambée de violence de grande ampleur. Il est prévu que le Conseil de sécurité des Nations unies se penche sur la question du renouvellement du mandat de la MINUSCA en avril.

« La République centrafricaine s’est avérée être l’un des endroits du monde où le maintien de la paix présente le plus de difficultés, et il est vital que la MINUSCA ait les moyens de remplir son mandat, qui consiste à protéger les civils, garantir que justice soit rendue et soutenir le nouveau gouvernement », a déclaré Steve Cockburn.

« La communauté internationale a consenti un investissement important afin d’essayer de mettre fin à des décennies d’instabilité en République centrafricaine, et le temps est venu pour le Conseil de sécurité des Nations unies de renouveler ses engagements et de travailler en collaboration avec le gouvernement qui sera prochainement élu, afin d’amener une bonne fois pour toutes plus de stabilité dans le pays. »

Complément d’information

La MINUSCA a été déployée en République centrafricaine en septembre 2014, prenant le relais de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA).

Entre le 14 octobre et le 23 novembre 2015, Amnesty International a mené des entretiens avec 85 personnes à Bangui et Carnot. Parmi les personnes interrogées figuraient des membres haut placés de la MINUSCA, aussi bien des militaires que des civils, des représentants du gouvernement, des diplomates, des membres d’ONG nationales et internationales et des membres de groupes armés, mais aussi des témoins et des victimes de crimes relevant du droit international, de violations des droits humains et d’atteintes à ces droits.

Ces derniers mois, un certain nombre d’allégations d’atteintes sexuelles ont été formulées contre des membres des forces internationales en République centrafricaine, notamment des Casques bleus. La réaction des Nations unies face à ces informations a été critiquée par un groupe d’experts en décembre 2015, et elles ont depuis lors promis d’adopter diverses mesures dans le but d’enquêter sur ces signalements. En août 2015, le chef de la MINUSCA a démissionné après la révélation par Amnesty International du viol d’une fillette de 12 ans et des homicides apparemment aveugles d’un adolescent de 16 ans et de son père par des soldats de la MINUSCA.