Le travail des enfants derrière la production de smartphones et de voitures électriques

De grandes marques électroniques, comme Apple, Samsung et Sony, n’effectuent pas les contrôles élémentaires afin de vérifier que la fabrication de leurs produits n’intègre pas de cobalt extrait dans les mines par des enfants, écrivent Amnesty International et Afrewatch dans un rapport rendu public mardi 19 janvier.

Intitulé  «Voilà pourquoi on meurt». Les atteintes aux droits humains en République démocratique du Congo alimentent le commerce mondial du cobaltce document retrace le parcours du cobalt utilisé dans les batteries lithium-ion, depuis les mines où des enfants parfois âgés de sept ans seulement et des adultes travaillent dans des conditions périlleuses.

Les vitrines des boutiques chics et le marketing des technologies de pointe contrastent vivement avec les enfants ployant sous les sacs de roches et les mineurs s'affairant dans les étroits tunnels qu'ils ont creusés, exposés au risque de contracter des affections pulmonaires permanentes.

Mark Dummett, spécialiste de la responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International

« Les vitrines des boutiques chics et le marketing des technologies de pointe contrastent vivement avec les enfants ployant sous les sacs de roches et les mineurs s’affairant dans les étroits tunnels qu’ils ont creusés, exposés au risque de contracter des affections pulmonaires permanentes, a déclaré Mark Dummett, spécialiste de la responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International.

« Des millions de personnes bénéficient des avantages des nouvelles technologies, sans se préoccuper de la manière dont elles sont fabriquées. Il est temps que les grandes marques assument leur part de responsabilité dans l’extraction des matières premières qui rendent leurs produits si lucratifs. »

Le rapport dévoile que les négociants achètent le cobalt extrait dans des zones où le travail des enfants est monnaie courante et le vendent à la Congo Dongfang Mining (CDM), filiale détenue à 100 % par le géant chinois de l’exploitation minière Zhejiang Huayou Cobalt Ltd (Huayou Cobalt).

D’après les investigations d’Amnesty International fondées sur des documents d’investisseur, Huayou Cobalt et sa filiale CDM traitent le cobalt, avant de le vendre à trois fabricants de composants de batteries en Chine et en Corée du Sud. À leur tour, ceux-ci vendent leurs composants à des fabricants de batteries qui affirment fournir des entreprises du secteur de la technologie et de l’automobile, notamment Apple, Microsoft, Samsung, Sony, Daimler et Volkswagen.

Potential DRC cobalt supply chain
Potential DRC cobalt supply chain

Amnesty International a contacté 16 multinationales, inscrites sur la liste clients des fabricants de batteries, recensés comme se procurant du minerai transformé auprès de Huayou Cobalt. L’une d’entre elles a reconnu ce lien, tandis que quatre n’ont pas pu dire avec certitude si elles achètent du cobalt provenant de la République démocratique du Congo (RDC) ou fourni par Huayou Cobalt. Six ont affirmé qu’elles enquêtaient sur ces allégations. Cinq ont nié se procurer du cobalt auprès de Huayou Cobalt, alors qu’elles figurent sur les listes clients des fabricants de batteries. Deux multinationales ont nié se procurer du cobalt provenant de la RDC.

Il importe de noter qu’aucune n’a fourni d’informations suffisantes pour vérifier de manière indépendante la provenance du cobalt utilisé dans ses produits.

C'est le grand paradoxe de l'ère numérique : des entreprises parmi les plus florissantes et innovantes du monde sont capables de commercialiser des produits incroyablement sophistiqués sans être tenues de révéler où elles se procurent les matières premières incluses dans leurs composants

Emmanuel Umpula, directeur exécutif d'Afrewatch (Observatoire africain des ressources naturelles)

« C’est le grand paradoxe de l’ère numérique : des entreprises parmi les plus florissantes et innovantes du monde sont capables de commercialiser des produits incroyablement sophistiqués sans être tenues de révéler où elles se procurent les matières premières incluses dans leurs composants, a déclaré Emmanuel Umpula, directeur exécutif d’Afrewatch (Observatoire africain des ressources naturelles).

« Les violations des droits humains perpétrées dans les mines demeurent hors de la vue et des consciences : en effet, sur le marché mondialisé, les consommateurs n’ont aucune idée des conditions de travail dans les mines, les usines et les chaînes de montage. Nous avons découvert que les négociants achètent le cobalt sans poser de questions sur le lieu et les conditions d’extraction. »

Mines mortelles et travail des enfants

La RDC est responsable d’au moins 50 % de la production mondiale de cobalt. L’une des plus grosses compagnies minières du pays est la Congo Dongfang Mining (CDM), filiale de Huayou Cobalt. Plus de 40 % du cobalt commercialisé par Huayou Cobalt provient de la RDC.

Les mineurs qui travaillent dans les zones où la CDM achète du cobalt sont exposés à des problèmes de santé récurrents et à un fort taux d’accidents mortels. Au moins 80 mineurs artisanaux sont morts sous terre dans le sud de la RDC, entre septembre 2014 et décembre 2015. On ne connaît pas le chiffre réel, car de nombreux accidents ne sont pas signalés et les cadavres restent ensevelis sous les décombres.

Les chercheurs d’Amnesty International ont également constaté que la vaste majorité des mineurs passent chaque jour de longues heures à travailler en contact avec le cobalt, sans les équipements élémentaires (gants, vêtements de travail ou masques notamment) pour les protéger contre les maladies pulmonaires ou dermatologiques.

Des enfants ont raconté qu’ils travaillent jusqu’à 12 heures par jour dans les mines, transportant de lourdes charges, pour gagner entre un et deux dollars par jour. Selon l’UNICEF, en 2014, environ 40 000 enfants travaillaient dans les mines dans le sud de la RDC, dont beaucoup dans des mines de cobalt.

Je passais 24 heures d'affilée dans les tunnels. J'arrivais le matin et repartais le lendemain matin… Je devais me soulager dans les tunnels… Ma mère adoptive voulait m'envoyer à l'école, mais mon père adoptif était contre, il m'exploitait en m'envoyant travailler dans la mine.

Paul, orphelin de 14 ans

Paul, orphelin de 14 ans, a commencé à travailler dans les mines à l’âge de 12 ans. Il a déclaré aux chercheurs qu’il est malade en permanence depuis qu’il a travaillé sous terre pendant de longues heures :

« Je passais 24 heures d’affilée dans les tunnels. J’arrivais le matin et repartais le lendemain matin… Je devais me soulager dans les tunnels… Ma mère adoptive voulait m’envoyer à l’école, mais mon père adoptif était contre, il m’exploitait en m’envoyant travailler dans la mine. »  

« En raison des risques pour la santé et la sécurité, l’extraction minière est l’une des pires formes de travail des enfants. Comment des entreprises dont les profits à l’échelle mondiale se montent à 125 milliards de dollars (115 milliards d’euros) osent-elles affirmer qu’elles sont incapables de vérifier d’où proviennent des minerais essentiels à leur production ?, a déclaré Mark Dummett.

« Extraire les matières premières qui font marcher une voiture électrique ou un smartphone devrait être source de richesse pour les mineurs en RDC. En réalité, ils s’épuisent dans une vie de labeur pour des salaires de misère. Les grandes marques ont le pouvoir de faire changer cette situation. »

François et son fils âgé de 13 ans Charles trient des pierres avant de les apporter à la société qui achète le minerai. Charles va à l'école le matin et travaille l'après-midi. «Cela coûte cher d'envoyer un enfant à l'école»,
François et son fils âgé de 13 ans Charles trient des pierres avant de les apporter à la société qui achète le minerai. Charles va à l’école le matin et travaille l’après-midi. «Cela coûte cher d’envoyer un enfant à l’école»,” explique François.

La chaîne d’approvisionnement – une honte pour les entreprises

En avril et mai 2015, des chercheurs d’Amnesty International et d’Afrewatch se sont entretenus avec 87 mineurs de cobalt, encore en activité ou non, dont 17 enfants, travaillant sur cinq sites miniers dans le sud de la RDC. Ils ont également interviewé 18 négociants en cobalt et suivi les véhicules de mineurs et de négociants transportant le minerai de cobalt depuis les mines jusqu’aux marchés où les grandes entreprises l’achètent. La principale est la CDM, filiale congolaise de Huayou Cobalt.

Huayou Cobalt fournit du cobalt à trois fabricants de composants de batteries lithium-ion, à savoir Ningbo Shanshan et Tianjin Bamo en Chine, et L&F Materials en Corée du Sud. Ces trois fabricants ont acheté pour plus de 85 millions d’euros de cobalt à Huayou Cobalt en 2013.

Amnesty International a alors contacté 16 marques internationales de grande consommation listées comme clients directs ou indirects de ces trois fabricants. Avant qu’elles ne soient contactées, aucune de ces multinationales n’a reconnu avoir été en relation avec Huayou Cobalt, ni assuré la traçabilité du cobalt utilisé dans ses produits.

Le rapport révèle que les entreprises impliquées dans la filière d’approvisionnement du cobalt ne prennent pas en compte les risques en termes de droits humains liés à leurs activités.

Actuellement, le marché mondial du cobalt n’est pas réglementé. En effet, le cobalt n’entre pas dans la catégorie des « minerais du conflit » réglementés aux États-Unis – à savoir l’or, le coltan/tantale, l’étain et le tungstène – en provenance des mines de la RDC.

« La plupart de ces multinationales assurent appliquer une politique de tolérance zéro s’agissant du travail des enfants. Pourtant, ce ne sont que de belles paroles, puisqu’elles ne se renseignent pas sur leurs fournisseurs. Leurs déclarations ne sont pas crédibles, a déclaré Mark Dummett.

« Tant que les entreprises ne seront pas tenues légalement de contrôler la provenance des minerais et leurs fournisseurs et de rendre ces informations publiques, elles continueront de tirer profit de violations des droits humains. Les gouvernements doivent en finir avec ce manque de transparence, qui permet aux entreprises de tirer profit de la misère. »

Amnesty International et Afrewatch demandent aux multinationales qui intègrent des batteries lithium-ion dans leurs produits d’appliquer le principe de diligence due en matière de droits humains, d’enquêter pour déterminer si le cobalt est extrait dans des conditions dangereuses ou en recourant au travail des enfants, et de renforcer la transparence quant à leurs fournisseurs.

Elles invitent également la Chine à exiger des compagnies minières chinoises qui opèrent à l’étranger qu’elles enquêtent sur leurs filières d’approvisionnement et remédient aux atteintes aux droits humains liées à leurs activités. Amnesty International et Afrewatch engagent Huayou Cobalt à révéler qui participe à l’extraction et au commerce de son minerai, et quels sont les sites d’extraction, et à s’assurer qu’elle n’achète pas de cobalt extrait grâce au travail des enfants ni dans des conditions dangereuses.

« Les entreprises ne doivent pas se contenter d’interrompre une relation commerciale avec un fournisseur ou de décréter un embargo sur le cobalt de la RDC parce que des risques en termes de droits humains sont identifiés dans la chaîne d’approvisionnement. Elles doivent agir en vue de remédier aux souffrances endurées par les victimes d’atteintes aux droits humains », a déclaré Mark Dummett.

Movement of cobalt from DRC mines to the global market
Movement of cobalt from DRC mines to the global market

Note aux rédacteurs :

La liste complète des entreprises ayant fait l’objet d’enquêtes et leurs réponses figurent en annexe du rapport.

Les 16 multinationales examinées dans le rapport sont Ahong, Apple, BYD, Daimler, Dell, HP, Huawei, Inventec, Lenovo, LG, Microsoft, Samsung, Sony, Vodafone, Volkswagen et ZTE. Leurs réponses figurent en annexe du rapport.