Une ONG qualifiée d’«agent de l’étranger» pour avoir rendu compte de l’action militaire russe en Ukraine

La Russie a officiellement qualifié une organisation de la société civile d’« agent de l’étranger » – ce qui équivaut pratiquement à parler d’espionnage – parce qu’elle s’est prononcée ouvertement sur les événements en Ukraine. Cette mesure témoigne de la détermination de la Russie à faire disparaître toute information sur ses activités militaires dans ce pays, a déclaré Amnesty International. Le 28 août, le ministère russe de la Justice a ajouté l’ONG Mères de soldats de Saint-Pétersbourg à sa liste officielle d’« agents de l’étranger », aux termes d’une loi adoptée en 2012. Cette décision a été prise après que la dirigeante de l’ONG, Ella Poliakova, a dit publiquement que des soldats russes seraient morts en Ukraine dans des combats contre les forces ukrainiennes. Son organisation a établi une liste d’une centaine de soldats russes qui auraient été tués en Ukraine et d’environ 300 blessés, et a demandé l’ouverture d’une enquête. Le Kremlin nie avoir envoyé des soldats en Ukraine, tout comme il nie toute implication russe directe dans un conflit qu’il affirme être interne à l’Ukraine. « Cette décision, et le moment où elle a été prise, indiquent que le Kremlin est décidé à faire taire les voix discordantes et à ne laisser passer aucune information qui laisserait entendre que la Russie joue un rôle direct dans le conflit ukrainien, alors que des preuves du contraire apparaissent chaque jour. Le message est clair : si vous osez parler, les conséquences seront graves », a déclaré Sergueï Nikitine, directeur du bureau d’Amnesty International à Moscou. L’organisation Mères de soldats de Saint-Pétersbourg mènera une action en justice contre cette mesure. Ella Poliakova affirme que l’ONG ne bénéficie d’aucun financement de l’étranger, ce qui, selon la loi de 2012, constituerait la caractéristique fondamentale d’un « agent de l’étranger ». L’autre caractéristique nécessaire est la participation à des activités politiques. D’après les autorités, l’ONG a pour activités politiques « l’organisation de réunions publiques » et la « constitution d’une opinion publique ». Une autre ONG, l’Institut pour le développement de la liberté d’information, elle aussi connue pour l’indépendance de ses prises de position et ses critiques, a été ajoutée le même jour au « registre des agents de l’étranger ». Adopté en juin 2012, le texte législatif appelé « loi sur les agents de l’étranger » est entré en vigueur en novembre de la même année. Des modifications apportées en 2014 ont attribué de nouveaux pouvoirs au ministère de la Justice, qui peut désormais ajouter des ONG sur le registre sans le consentement de celles-ci et sans qu’il soit nécessaire de passer par de longues audiences au tribunal comme c’était le cas jusqu’à tout récemment. Des centaines d’ONG en Russie ont fait les frais d’« inspections » surprise par les autorités depuis la promulgation de la loi ; plusieurs ont été condamnées à de lourdes amendes pour avoir refusé de se qualifier elles-mêmes d’« agents de l’étranger », et certaines ont été forcées de fermer. Douze ONG indépendantes ont maintenant été ajoutées à la liste contre leur volonté, en l’espace de moins de trois mois.