L’Égypte se sert des lois sur la diffamation pour poursuivre en justice les voix dissidentes

Amnesty International dénonce l’utilisation par les autorités égyptiennes des poursuites en diffamation pour réduire au silence et harceler les militants, alors que s’est ouvert samedi 22 mai 2010 le procès de deux éminents défenseurs des droits humains et d’un blogueur reconnu. Un tribunal du Caire a examiné l’affaire concernant trois hommes inculpés de « diffamation », « recours à des menaces » et « utilisation abusive d’outils de communication », après qu’un juge les a accusés d’extorsion en 2007. Gamal Eid, directeur du Réseau arabe pour l’information sur les droits de l’homme, et Ahmed Seif El Islam Hamad, fondateur du centre Hisham Mubarak pour le droit, ont tous deux comparu devant le tribunal correctionnel de Khalifa samedi 22 mai. Le blogueur égyptien Amr Gharbeia, désormais membre du personnel d’Amnesty International, absent lors de l’audience, était représenté par ses avocats. « Des poursuites en diffamation contestables sont utilisées afin de harceler les défenseurs des droits humains et les détracteurs du gouvernement en Égypte, a déclaré Amnesty International. « Nous craignons que ces derniers chefs d’inculpation ne visent une nouvelle fois à intimider les organisations indépendantes de défense des droits humains, déjà soumises à de sévères restrictions, notamment à un enregistrement avalisé par les services de la sûreté de l’État et à des règles très strictes en matière de financements étrangers. » S’ils sont reconnus coupables, ces trois hommes encourent des peines d’emprisonnement et des amendes. À l’issue de l’audience du dimanche 23 mai, la prochaine a été fixée au 26 juin. Ces inculpations semblent s’inscrire dans une répression plus vaste de la dissidence et de toute critique des autorités et des fonctionnaires, alors que l’Égypte se prépare à élire les membres du Conseil consultatif, la chambre haute du Parlement, au mois de juin. Les charges retenues contre Gamal Eid et Ahmed Seif El Islam Hamad émanent d’une plainte déposée en février 2007 par le juge Abdel Fatah Murad, qui les a accusés d’avoir tenté de lui extorquer de l’argent. Quelques jours auparavant, le Réseau arabe pour l’information sur les droits de l’homme et le centre Hisham Mubarak pour le droit avaient publié une déclaration accusant Abdel Fatah Murad d’avoir plagié un rapport du Réseau sur les restrictions imposées à Internet dans le monde arabe et de l’avoir reproduit dans son livre. Cette déclaration faisait suite à une critique du livre d’Abdel Fatah Murad, The Scientific and Legal Principles of Blogs, qu’Amr Gharbeia avait postée sur son blog le 7 février 2007 et qui dénonçait la position hostile à la liberté d’expression exposée dans cet ouvrage. Le bureau du procureur ayant ouvert une enquête, Amr Gharbeia a été interrogé sur une éventuelle « diffamation » en lien avec des commentaires postés pendant une durée limitée sur son blog par des tiers. Ces mesures prolongent une série de charges retenues contre des militants des droits humains et des détracteurs de la politique gouvernementale. En effet, le ministre égyptien des Affaires étrangères a intenté une action en justice pour diffamation contre le journaliste Hamdi Kandil, qui l’avait critiqué dans un article paru le 3 mai dans le quotidien Al Shuruq. Hamdi Kandil a été convoqué pour être informé des charges retenues contre lui par le ministère public le 18 mai. S’il est déclaré coupable, il encourt une peine d’emprisonnement et une amende. Hamdi Kandil est le porte-parole de l’Association nationale pour le changement, qui prône une réforme politique en Égypte. Le jour du procès, le quotidien d’État al Ahram a publié un article accusant les militants des droits humains de donner une image négative de la situation des droits humains en Égypte en vue de s’enrichir personnellement grâce aux financements étrangers. Cet article a été publié après que des militants se sont rendus à Bruxelles pour exposer la détérioration de la situation des droits humains en Égypte et demander à l’Union européenne de faire pression sur le gouvernement égyptien afin qu’il s’acquitte de ses obligations en la matière. Par ailleurs, Nasser Amin, directeur général du Centre arabe pour l’indépendance des avocats et de la magistrature (ACIJLP), a été interrogé le 17 mai 2010 par le ministère public au sujet d’une plainte déposée contre lui par un juge du Tribunal administratif suprême (Conseil d’État). Le journal Al Dostor avait publié dans son édition hebdomadaire du 3 mars 2010 une déclaration de Nasser Amin qui réagissait au vote de l’Assemblée générale du Conseil d’État contre la nomination de femmes au poste de juges au sein du Conseil. Dans cet article, les juges du Conseil d’État étaient décrits comme souffrant de « troubles mentaux », citation injustement attribuée à Nasser Amin. « Le droit à la liberté d’expression implique le droit de critiquer librement les représentants de l’État, les fonctionnaires, les personnalités publiques et les autorités. Ce droit fondamental permet à la société civile de demander aux autorités de rendre compte de leurs actes. Les responsables égyptiens doivent répondre sur le fond aux critiques qui leur sont adressées et non s’efforcer de les passer sous silence », a conclu Amnesty International.