Paraguay : avancée majeure dans l’enquête sur les jeunes filles soumises à l’esclavage sexuel

Les investigations portant sur les jeunes filles réduites à l’esclavage sexuel au Paraguay sous la dictature d’Alfredo Stroessner ont fortement progressé grâce au témoignage d’une femme.

Son intervention a encouragé d’autres femmes à sortir de l’ombre et à témoigner elles aussi au sujet de l’esclavage sexuel, ce qui a donné davantage de poids à l’enquête de la Commission justice et vérité.

Julia Ozorio Gamecho a été la première femme à se présenter devant la Commission pour parler de ce qui lui est arrivé lorsqu’elle a été contrainte à l’esclavage sexuel par l’armée au cours de cette dictature.

La Commission enquête en effet sur des milliers de violations des droits humains commises sous le régime du général Stroessner, entre 1954 et 1989, notamment sur les violences sexuelles infligées à des femmes. Des jeunes filles et des fillettes dont certaines n’avaient pas plus de sept ans ont apparemment été enlevées et « préparées » pour des responsables militaires de haut rang.

Le témoignage de Julia Ozorio Gamecho a permis à la Commission d’obtenir confirmation d’informations relatives au lieu où les jeunes filles étaient conduites après avoir été enlevées à leur famille. Là, elles été contraintes à se préparer à servir d’esclaves sexuelles pour des officiers haut placés de l’armée.

Yudith Rolón, de la Commission justice et vérité, a déclaré : « Nous admirons et apprécions à sa juste valeur le courage qu’il lui a fallu pour venir nous parler de ce qui lui est arrivé, des événement qui l’ont traumatisée de façon irrémédiable, à cause des tortures psychologiques et physiques qu’elle a subies.

« Elle a confirmé des faits sur lesquels la Commission justice et vérité enquêtait déjà. Nous savions qu’il existait de nombreux cas, mais personne n’avait voulu témoigner comme elle l’a fait. »

Il avait jusqu’alors été quasiment impossible de recueillir de tels témoignages en raison de la crainte de représailles. Certains des officiers qui utilisaient ces femmes comme esclaves auraient encore des liens avec l’armée.

Un ancien responsable de l’armée qui a aidé Julia Ozorio Gamecho à survivre pendant sa séquestration est également venu apporter son témoignage à la Commission, le 12 août.

Le cas de Julia Ozorio Gamecho sera intégré dans le rapport final de la Commission, qui sera présenté au gouvernement et à la société civile le 28 août. Son témoignage s’ajoute aux informations recueillies sur plus de 2 000 cas de violations des droits humains commises sous la dictature d’Alfredo Stroessner.

Le rapport s’intéressera également à la période de transition vers la démocratie, jusqu’à l’adoption de la loi portant création de la Commission, le 6 octobre 2003.

Julia Ozorio Gamecho était âgée de treize ans lorsqu’elle a été enlevée. Elle vivait à Nueva Italia, une ville située dans le département Central.

Elle a été enlevée par un colonel (vice-commandant de la Garde présidentielle) et deux soldats. Pendant les deux années suivantes elle a été retenue en captivité et soumise à l’esclavage sexuel par le colonel.

Elle a raconté que les filles qui pleuraient beaucoup ou qui n’étaient plus utiles – par exemple lorsqu’elles atteignaient l’âge de quinze ou seize ans et n’étaient plus considérées comme attirantes – étaient parfois tuées.

Julia Ozorio Gamecho a été libérée lorsqu’elle a eu quinze ans car son ravisseur ne s’intéressait plus à elle. Elle a dit qu’elle avait eu la vie sauve car elle lui rappelait sa fille qui était morte. Elle est partie en Argentine pour échapper au danger et s’est installée à Buenos Aires, où elle vit toujours.

Au bout de trente-sept ans elle est retournée au Paraguay pour y présenter son livre, intitulé Una rosa y mil soldados, dans lequel elle raconte ce qui lui est arrivé et les deux années où elle a servi d’esclave sexuelle.

Elle parle notamment de la nuit où elle a été enlevée : « Il m’a dit ces mots : “Beaucoup de filles sont passées ici. Certaines s’en sont sorties vivantes, mais d’autres n’ont pas eu cette chance.” […] Il m’a regardée pendant un long moment, avant d’ajouter : “Tu es une très jolie fille, alors s’il te plaît ne m’oblige pas à te tuer.”

« La première nuit a été horrible. Il n’existe pas de mots pour décrire l’horreur de cette nuit-là […] j’avais le corps recouvert de bleus et de traces de morsure. J’avais sur la poitrine une blessure profonde qui saignait. »

Julia Ozorio Gamecho a signalé qu’après avoir témoigné devant la Commission, elle a reçu deux appels téléphoniques anonymes menaçants. La Commission lui a de ce fait fourni une protection.

Julia Ozorio Gamecho, qui a raconté son histoire douloureuse et attiré l’attention sur ce qu’elle-même et de nombreuses autres jeunes filles ont vécu, souhaite maintenant créer une fondation pour protéger les jeunes femmes victimes de violences sexuelles.

Le général Stroessner a pris le pouvoir en renversant le président Federico Chávez, en 1954.

Sous son régime, des milliers de personnes ont été victimes de graves violations des droits humains, notamment d’arrestation arbitraire, de torture, de « disparition » et d’exil forcé.

Certaines de ces violations ont été commises dans le cadre de l’opération Condor, menée conjointement dans les années 1970 et 1980 par les gouvernements militaires de pays du sud de l’Amérique latine – Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Uruguay et Paraguay – dans le but d’éliminer leurs « opposants ».

Le général Stroessner est mort le 16 août 2006 à Brasilia, où il vivait en exil depuis 1989. Il avait quatre-vingt-treize ans.