Des femmes au Danemark manifestent en faveur d’une législation basée sur le consentement

Parlons de consentement : les lois relatives au viol fondées sur le consentement en Europe

Un rapport sexuel non consenti est un viol. C’est aussi simple que cela, il n’existe aucune zone d’ombre.

C’est également un viol si la victime est sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, si elle accepte d’être raccompagnée chez elle, ou si elle porte des vêtements qui révèlent son corps. Et c’est aussi un viol si la victime ne dit pas clairement « non » ou ne se débat pas.

Pourtant, seuls 16 pays sur les 31 qui ont été soumis à l’analyse d’Amnesty International définissent le viol comme un rapport sexuel non consenti : l’Allemagne, la Belgique, la Croatie, Chypre, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Grèce, l’Irlande, l’Islande, le Luxembourg, Malte, le Royaume-Uni, la Slovénie, la Suède et la Suisse.

Ireland is just one of 12 European countries with laws that define rape as sex without consent. Photo: Paul Faith/AFP/Getty Images.
L’Irlande est l’un des 16 pays européens qui définissent le viol comme un rapport sexuel non consenti. Photo : Paul Faith/AFP/Getty Images.

Dans un grand nombre de pays européens, pour qu’un viol soit constitué, le droit exige qu’il ait été fait usage de la force ou de menaces ou que la victime ait été dans l’incapacité de se défendre. Pourtant, la plupart des viols ne correspondent pas à ces stéréotypes selon lesquels « un inconnu surgit des fourrés ». Au contraire, les femmes et les filles sont souvent violées par un ami ou un partenaire, ou ont des réactions de choc et sont frappées de paralysie involontaire, ce qui, par conséquent, n’implique pas de violence physique.

Toutefois, grâce aux femmes courageuses, aux victimes et à leurs allié·e·s qui partagent leurs expériences et militent en faveur du changement, les mentalités (et les lois) évoluent en Europe. La Finlande, l’Espagne et la Suisse sont les derniers pays en date en Europe à avoir adopté une législation définissant le viol sur la base de l’absence de consentement, après la Slovénie en 2021 et le Danemark en 2020.

Amnesty International soutient les efforts des chargé·e·s de campagne et des militant·e·s en Europe en contribuant à faire pression sur les gouvernements pour qu’ils adoptent des réformes. En Grèce, après beaucoup d’incertitude, Amnesty a eu une influence directe sur le résultat de la réforme de la législation, en menant un intense travail de plaidoyer et de campagne jusqu’à la dernière minute et en publiant une déclaration condamnant fermement la position initiale du gouvernement. Cela a retenu l’attention des médias, et la pression qu’Amnesty International a imposée au gouvernement, en collaboration avec d’autres militant·e·s des droits des femmes, a poussé les ministres à modifier la définition du viol en juillet 2019.

Brave women, survivors and their allies who have been courageously sharing their experiences and campaigning for change. 	Photo: Phil Nijhuis.
Des femmes courageuses, des victimes et leurs alliés partagent leurs expériences et militent en faveur du changement. Photo : Phil Nijhuis.

D’autres pays, comme les Pays-Bas, envisagent également de réformer leurs lois archaïques pour qu’elles soient fondées sur le consentement.

Ici, nous abordons le cas de certains pays européens où, grâce au travail de campagne déterminé souvent mené et porté par des victimes elles-mêmes, les lois relatives au viol ont évolué dans le bon sens ces cinq dernières années.

Danemark

Le 17 décembre 2020, après de nombreuses années de campagne menée par des groupes de victimes et de défense des droits des femmes, soutenus par Amnesty International, le Parlement danois a enfin adopté une loi reconnaissant qu’un rapport sexuel non consenti est un viol. Le projet de loi a été rendu possible par un accord multipartite conclu en septembre 2020 en vue de modifier le Code pénal.

La nouvelle législation sur le viol fondée sur le consentement est une victoire historique pour les droits humains, et Amnesty International a œuvré pour ce changement. Dans un rapport publié en 2019, Amnesty dénonçait les obstacles auxquels les femmes étaient confrontées au Danemark pour obtenir justice dans les cas de viol.

Nous ne doutons pas que le Danemark, en s’appuyant sur l’initiative des victimes, saura prendre les prochaines mesures pour se montrer à la hauteur de son image de pays d’égalité des genres et montrer la voie à d’autres pays européens.

Anna Błuś

Anna Błuś, chercheuse sur les droits des femmes à Amnesty International, a déclaré que les militant·e·s se sont battus pendant des années pour arriver à ce moment. La réforme législative, qui vise à veiller à ce que l’autonomie sexuelle soit respectée et protégée au Danemark, est une remarquable réussite obtenue grâce aux victimes de viol, aux militant·e·s, aux femmes et aux organisations de défense des droits humains.

« La modification de la loi est un très grand pas en avant qui devra être accompagné d’évolutions institutionnelles et sociales et d’une éducation complète en matière de sexualité et de relations, notamment sur le consentement sexuel. Nous ne doutons pas que le Danemark, en s’appuyant sur l’initiative des victimes, saura prendre les prochaines mesures pour se montrer à la hauteur de son image de pays d’égalité des genres et montrer la voie à d’autres pays européens », a-t-elle déclaré.

Suède

En 2013, la Suède a été choquée par la décision d’un tribunal d’acquitter trois jeunes hommes accusés d’avoir violé une adolescente de 15 ans. Ils l’avaient agressée avec une bouteille de vin jusqu’à provoquer des saignements. La décision du juge comprenait la phrase choquante suivante : « Les personnes se livrant à des actes sexuels font des choses au corps de l’autre de manière spontanée, sans demander de consentement. »

La décision avait provoqué la création d’un nouveau mouvement national nommé FATTA (« Pigé ? »), qui a œuvré afin que la loi reconnaisse le fait très simple qu’un acte sexuel non consenti est un viol. Cinq ans après, en mai 2018, avec la dynamique du mouvement mondial #MeToo, la campagne est parvenue à son objectif. Une nouvelle loi a été adoptée par le Parlement suédois à une écrasante majorité.

Presque deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, les autorités suédoises ont publié les résultats d’une évaluation de sa mise en œuvre, présentant tous les cas signalés, portés devant la justice et jugés en 2019. La nouvelle loi érige en infraction les rapports sexuels et actes sexuels comparables avec une personne qui n’y participe pas de son plein gré et a entraîné une augmentation considérable des déclarations de culpabilité et, dans une moindre mesure, des poursuites engagées pour des faits qui, deux ans auparavant, n’étaient pas considérés par la loi comme des cas de viol. Cela comprend les cas dans lesquels la victime est frappée de paralysie involontaire ou prise par surprise et n’a pas le temps de réagir. Il s’agit d’une évolution positive qui devrait, à terme, contribuer à améliorer l’accès de nombreuses victimes à la justice.

Grèce

Hundreds of people demonstrating against rape, sexism and female genital mutilation in Greece. Photo: Sopa Images.
Des centaines de personnes manifestent contre le viol, le sexisme et les mutilations génitales féminines en Grèce. Photo : Sopa Images.

En juin 2019, après un revirement inattendu du ministère de la Justice, la Grèce est devenue le neuvième pays d’Europe à reconnaître dans la loi la simple vérité, à savoir qu’un rapport sexuel sans consentement constitue un viol.

Après des mois de campagne intense d’Amnesty International et de groupes de femmes, le ministère de la Justice a annoncé, en juin 2019, une proposition de modification du Code pénal, et notamment de la définition du viol. Cependant, la proposition initiale de modification était incompatible avec le droit international relatif aux droits humains et n’était pas conforme aux demandes des militant·e·s.

Amnesty International a renforcé son travail de plaidoyer et a publié une déclaration condamnant fermement la proposition, pendant que les organisations de défense des droits des femmes se mobilisaient pour organiser une manifestation devant le Parlement, tout en critiquant également la proposition dans les médias. Les médias internationaux se sont fait l’écho de la déclaration d’Amnesty et de l’indignation des femmes, ce qui a permis de diffuser encore davantage le message.

Le lendemain, le ministre de la Justice a fait machine arrière et a modifié le projet de réforme, afin qu’un rapport sexuel non consenti soit considéré comme un viol dans la loi.  Le Parlement a adopté la modification de la définition juridique du viol et la nouvelle loi est entrée en vigueur en juillet 2019.

Espagne

Protestors hold a sign reading
Des manifestant·e·s brandissent une pancarte avec l’inscription « Non, c’est non » en Espagne. Photo : AFP via Getty Images.

En Espagne, en 2019, face aux manifestations de grande ampleur provoquées par une affaire très médiatisée de viol en réunion dans laquelle la justice n’avait pas été rendue, le gouvernement a annoncé son intention de modifier la loi afin de reconnaître un rapport sexuel non consenti comme un viol. Amnesty International fait depuis longtemps campagne sur le sujet aux côtés d’autres militant·e·s des droits des femmes.

Dans l’affaire très médiatisée de « La Manada » (la Meute), cinq hommes accusés de viol n’avaient été déclarés coupables que d’abus sexuel, une infraction moins grave que le viol, car le tribunal de première instance avait considéré qu’il n’existait pas de preuve de violence ou d’intimidation. Bien qu’une juridiction supérieure ait finalement rendu une décision contraire et déclaré ces hommes coupables de viol, l’affaire avait déclenché des manifestations et mis en lumière les insuffisances du droit pénal espagnol, qui ne reconnaissait pas un acte sexuel non consenti comme un viol en l’absence de violence ou d’intimidation.

Début mars 2020, l’Espagne a enfin annoncé un nouveau projet de loi prévoyant des réponses exhaustives aux violences sexuelles, et comprenant notamment une nouvelle définition juridique du viol conforme au droit international relatif aux droits humains et axée sur le consentement. La loi a été adoptée par le Parlement en août 2022. Elle a été saluée comme une victoire pour les victimes de viol, ainsi que pour les innombrables femmes et militant·e·s qui se sont tant mobilisés, en manifestant et en organisant des actions de rue, pour pousser à la modification des lois, des politiques et des pratiques.

Pays-Bas

People in The Netherlands participate in Amnesty International's Let's Talk About Yes campaign. Photo: Phil Nijhuis.
Des personnes aux Pays-Bas participent à la campagne Parlons de consentement d’Amnesty International. Photo : Phil Nijhuis.

En novembre 2020, le ministre de la Justice et de la Sécurité des Pays-Bas a annoncé l’intention du gouvernement de modifier la loi relative au viol. Au titre de la législation en vigueur, en l’absence de preuve de coercition, l’infraction n’est pas considérée comme un viol.

L’annonce du ministre répondait à la critique de l’opinion publique, notamment d’Amnesty International, face à une proposition initiale définissant une nouvelle infraction pénale : « rapport sexuel contre la volonté d’une personne », passible d’une peine moitié moins sévère que pour un viol. La formulation exacte de la réforme sera rendue publique l’année prochaine.

En octobre 2022, un projet de loi très attendu a enfin été remis à la Chambre des représentants (le Parlement). Le projet de loi définit comme un viol toutes les formes de relations sexuelles non consenties. Au titre de la réforme proposée, la définition juridique du viol ne couvrira pas seulement les cas dans lesquels un « non » verbal a été prononcé : lorsque l’absence de consentement est observable par les faits et les circonstances, le viol est alors constitué et érigé en infraction. Amnesty International continuera, avec des militant·e·s et des victimes, de faire campagne pour que le projet de loi soit débattu rapidement au Parlement, afin qu’il soit adopté sans délai.

L’importance de modifier les législations sur le viol

Modifier les lois ne permettra pas d’éradiquer les viols, mais il s’agit d’une étape cruciale sur cette voie. Cela envoie un message fort quant à la société dans laquelle nous voulons vivre. C’est-à-dire, une société débarrassée du viol, une société où l’autonomie sexuelle et l’intégrité physique sont respectées et protégées.

La réforme législative peut aussi être un point de départ crucial pour modifier les comportements et les attitudes, mais elle doit s’accompagner d’efforts concertés afin de lutter contre les mythes préjudiciables largement répandus et les stéréotypes liés au genre.

En modifiant les lois et en mettant fin à la culpabilisation des victimes et aux stéréotypes liés au genre dans les procédures judiciaires, les gouvernements européens peuvent veiller à ce que les prochaines générations ne doutent jamais qu’un acte sexuel non consenti est bel et bien viol et aient l’assurance que les responsables de tels agissements seront sanctionnés.