Vendredi 21 octobre, Amnesty International a exhorté les nouvelles autorités libyennes à veiller à ce qu’une enquête approfondie, indépendante et impartiale soit menée sur les circonstances de la mort de Mouammar Kadhafi. L’organisation a ajouté que s’il a été délibérément tué en captivité cela constitue un crime de guerre.
Des séquences vidéo diffusées jeudi 20 octobre semblent indiquer que Mouammar Kadhafi était vivant lors de sa capture, ce même jour à Syrte, par des troupes du camp adverse.
« Si le colonel Kadhafi a été tué après avoir été capturé, c’est là un crime de guerre et les responsables présumés doivent être traduits en justice », a déclaré Claudio Cordone, membre la direction générale d’Amnesty International.
« Il est possible qu’une enquête visant à établir si sa mort résulte d’un crime de guerre ou non soit impopulaire. Le Conseil national de transition doit appliquer les mêmes normes à tous et garantir l’accès à la justice, y compris à ceux qui l’ont catégoriquement refusé à d’autres. »
« Déférer le colonel Kadhafi à la justice aurait enfin donné à ses nombreuses victimes des éclaircissements sur les raisons pour lesquelles elles ont été prises pour cibles, ainsi qu’une possibilité d’obtenir justice et réparation. »
Une enquête aiderait à faire le tri parmi les informations contradictoires ayant circulé à propos du sort réservé au colonel, après que sa ville natale, Syrte, fut tombée aux mains du Conseil national de transition (CNT). Si le CNT n’est pas en mesure de garantir l’indépendance et l’impartialité de l’enquête, celle-ci doit être confiée à des organes internationaux comme la Cour pénale internationale ou des mécanismes de protection des droits des Nations unies.
Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a lui aussi demandé vendredi 21 octobre l’ouverture d’une enquête sur la mort de l’ancien dirigeant. Mahmoud Jibril, le Premier ministre libyen, a déclaré que Mouammar Kadhafi, pris entre deux feux, avait été touché à la tête et avait succombé à ses blessures.
D’autres responsables du CNT ont cependant affirmé aux médias que l’ancien chef d’État est mort d’une hémorragie lors de son transport vers l’hôpital, ou qu’il avait été tué par des combattants après avoir été capturé. D’autres vidéos ont émergé montrant Moutassim Kadhafi, l’un des fils du colonel lui aussi capturé jeudi 20 octobre, allongé sur un lit dans ce qui ressemble à une résidence privée. Portant un t-shirt maculé de sang, il a une lésion au cou mais semble conscient et ne paraît pas désorienté.
Des séquences diffusées plus tard montrent son corps sans vie sur un lit d’hôpital. Son décès doit lui aussi donner lieu à une enquête indépendante. Un médecin libyen ayant examiné leurs corps a déclaré aux médias que le colonel et son fils avaient succombé à des blessures par balle.
Depuis des mois, Amnesty International demande à toutes les parties au conflit armé libyen de respecter le droit international humanitaire, exhortant notamment le CNT à mettre à l’abri des représailles les membres des forces pro-Kadhafi capturés.
L’organisation a engagé à de nombreuses reprises le CNT à remettre le colonel Kadhafi, son fils Saif al Islam Kadhafi et Abdullah al Senussi sains et saufs à la CPI afin qu’ils soient jugés sans délai s’ils étaient capturés.
En juin, la CPI a émis des mandats d’arrêt contre ces trois hommes pour deux chefs de crimes contre l’humanité. Les informations à ce propos étant discordantes, on ignore si Saif al Islam et Abdullah al Senussi sont toujours en liberté ou s’ils ont été capturés ou tués.
S’ils ont été capturés, le CNT doit veiller à ce qu’ils – et toutes les autres personnes soupçonnées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’autres crimes de droit international – soient traités avec humanité et bénéficient d’un procès équitable.
Violations passées
Les exécutions extrajudiciaires d’opposants, qu’ils se trouvent sur le territoire libyen ou en exil, étaient l’une des marques du régime de Mouammar Kadhafi. Cette pratique était connue sous le nom de « liquidation des chiens errants » – d’après le surnom donné aux détracteurs de la révolution d’al Fateh (1969) – et était cautionnée par les plus hautes sphères de l’État.
Les autorités ont refusé d’enquêter sur les allégations à ce propos. Pendant des décennies, des violations flagrantes des droits humains ont été commises contre les Libyens au nom de la préservation de la révolution d’al Fateh.
« La nouvelle Libye doit se construire sur le respect des droits humains et de la justice, et non pas sur la vengeance pour les actes répréhensibles du passé », a poursuivi Claudio Cordone.
« Les autorités libyennes doivent désormais supprimer les obstacles à la justice, symptomatiques des 42 années durant lesquelles Mouammar Kadhafi a brutalisé le pays, et faire en sorte que les personnes que l’on peut raisonnablement soupçonner d’avoir commis des violations, par le passé ou récemment, soient protégées en vertu des normes internationales d’équité des procès. »
« Réformer la justice pour garantir son indépendance et sa capacité à offrir des recours aux victimes doit figurer parmi les principales priorités du CNT. Décevoir cette attente ferait planer le doute sur les engagements du CNT en faveur de l’état de droit et des droits humains, et sur son aptitude à faire respecter ceux-ci. »