Alors que la Cour pénale internationale (CPI) célèbre son 20e anniversaire, Amnesty International met en garde contre le fait que la légitimité de la Cour risque d’être mise à mal par une approche de plus en plus sélective de la justice. Elle met en avant plusieurs décisions et pratiques récentes qui semblent démontrer l’existence de deux poids deux mesures et la volonté de se laisser influencer par des grandes puissances.
En 2020 par exemple, le Bureau du procureur a décidé de ne pas enquêter sur les crimes de guerre imputables aux forces britanniques en Irak, alors que ses propres conclusions pointaient la commission de ces crimes. Puis, il a été décidé en 2021 de ne plus accorder la priorité à une enquête sur les crimes de guerre commis en Afghanistan par les forces nationales américaines et afghanes, le procureur Karim Khan invoquant des contraintes de viabilité et de budget. Cependant, à peine six mois plus tard, le procureur a lancé la plus grande enquête jamais menée par son bureau en Ukraine, pour laquelle il a demandé une aide financière « volontaire » aux États membres – dont une grande partie a été « réservée » par les États à l’enquête sur l’Ukraine.
Les excuses budgétaires de la CPI pour son inaction sur l’Afghanistan, le Nigeria et d’autres pays ne tiennent pas la route
Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty International
« Il y a 20 ans, la CPI ouvrait ses portes pour la première fois, à la suite d’une décision historique de créer une Cour pénale internationale permanente ayant compétence pour les crimes internationaux les plus graves. Pour les victimes privées de justice, elle offrait une lueur d’espoir de voir les auteurs de ces crimes tenus de rendre des comptes, a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
« Toutefois, elle semble dévier de sa trajectoire ces dernières années, les récentes décisions du Bureau du procureur de la CPI faisant craindre qu’elle ne se dirige vers un système hiérarchisé de justice internationale. Cela ne fait aucun doute : l’enquête en Ukraine est urgente et vitale. Mais elle montre que les excuses budgétaires de la CPI pour son inaction sur l’Afghanistan, le Nigeria et d’autres pays ne tiennent pas la route.
« La réponse à la situation en Ukraine démontre de quoi la CPI est capable. Nous demandons maintenant au Bureau du procureur et à tous les États parties de veiller à ce que toutes les enquêtes reçoivent le même niveau de traitement, afin que toutes les victimes de crimes relevant du droit international bénéficient d’un accès égal à la justice. »
La CPI risque d’être manipulée par des acteurs puissants
La communauté internationale a manifesté un soutien sans précédent à la CPI depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Des gouvernements qui s’étaient auparavant opposés aux enquêtes de la CPI impliquant leurs propres ressortissants ou alliés politiques ont activement encouragé le Bureau du procureur à enquêter sur les crimes commis en Ukraine.
Dans le même temps, la CPI a commencé à accepter des financements volontaires et du personnel détaché clairement « assigné » à la situation en Ukraine. Sans une prudence exceptionnelle et une transparence suffisante, cette approche risque de permettre aux États parties de ne soutenir que les situations qui correspondent à leurs intérêts, exacerbant le risque de justice sélective et exposant la CPI au risque de manipulation par les grandes puissances.
En outre, Amnesty International s’inquiète de ce que la CPI et ses principaux membres sont restés largement silencieux sur la situation en Palestine et sur d’autres enquêtes, contrairement au retentissement dont a bénéficié la situation en Ukraine. Ce silence a pu affaiblir l’effet dissuasif de la CPI et a créé un vide, comblé par des attaques politiques contre son travail et par des attaques visant les défenseur·e·s des droits humains. Il est vital pour sa crédibilité que les messages qu’elle fait passer n’apparaissent pas politisés.
En ce 20e anniversaire, nous continuons de croire que la CPI peut jouer un rôle unique dans la réalisation des droits universels à des recours et à des réparations
Agnès Callamard
Amnesty International demande à la CPI de veiller à ce que tous les fonds soient alloués sans discrimination et conformément aux intérêts de la justice, et de faire en sorte que toutes les victimes de crimes internationaux bénéficient d’un accès égal aux droits à des recours et à des réparations. En particulier, et grâce à l’augmentation de son financement, le Bureau du procureur doit redéfinir les priorités de ses enquêtes sur les crimes commis par toutes les parties en Afghanistan. Il doit également demander l’autorisation judiciaire pour son enquête sur le Nigeria, qui est au point mort, et accroître ses activités dans d’autres situations où il a justifié des progrès minimes en invoquant des contraintes de ressources.
Les États parties à la CPI doivent veiller à ce que toutes les enquêtes et activités de la Cour soient entièrement financées – et s’abstenir d’utiliser leurs ressources et leur coopération comme des moyens d’influencer les situations et les parties qui font l’objet d’une enquête. En parallèle, tous les États qui ne l’ont pas encore fait, y compris l’Ukraine, doivent ratifier le Statut de Rome.
« En ce 20e anniversaire, nous continuons de croire que la CPI peut jouer un rôle unique dans la réalisation des droits universels à des recours et à des réparations, a déclaré Agnès Callamard.
« Afin de remplir ce rôle, le procureur doit mener toutes les enquêtes sans distinction : sur tous les responsables d’atrocités, sans crainte ni faveur, et quelle que soit l’importance du pouvoir politique ou économique de certains acteurs. »