Le COVID-19 a généré une kyrielle de défis de taille qui imposent aux gouvernements d’écouter les conseils, de s’ouvrir à la critique et à l’examen d’experts, et de consulter les plus touchés afin de trouver des solutions qui limitent les dégâts. Les États doivent apprendre rapidement de leurs erreurs, s’adapter, innover et apporter des réponses souples et différenciées aux vastes problèmes induits par la pandémie. Cela suppose d’accueillir la diversité d’opinions et le débat, d’écouter les différents secteurs de la société et de les encourager à participer. Comme le préconise l’OMS, un moyen essentiel de lutter contre le COVID-19 consiste à « informer et écouter les communautés, et leur donner les moyens d’agir ».
En ces temps de crise, nous attendons des gouvernements qu’ils rassemblent, favorisent la solidarité et mettent tout en œuvre pour protéger les plus à risque. Au moment du choc des premières semaines de la pandémie, nous avons été nombreux à oser espérer que ce grand bouleversement offrirait l’occasion de créer un monde plus juste, plus inclusif et plus attentionné, et de façonner un avenir respectueux de l’environnement.
Or, nous avons vu de nombreux États se déchaîner contre celles et ceux qu’ils considèrent comme des détracteurs. Au lieu d’unifier la société, dans des pays comme le Nicaragua, la Pologne ou la Tunisie, les autorités déjà à cran ont choisi d’ignorer, de criminaliser ou de supprimer les informations et les voix critiques. D’autres se sont servis de ce fléau pour consolider leur pouvoir et réprimer l’espace civique, notamment en Hongrie, aux Philippines, en Thaïlande, en Azerbaïdjan ou au Zimbabwe. Comme l’a récemment déclaré le rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté d’expression : « Les gens souffrent parce que certains gouvernements préfèrent se protéger face aux critiques plutôt que de leur permettre de partager des informations, d’en apprendre davantage sur l’épidémie et de savoir ce que les dirigeants font ou ne font pas pour les protéger. »
En témoigne l’abondante documentation sur les atteintes subies par les défenseur·e·s des droits humains que nous avons constatées et dénoncées ces derniers mois. Dans notre synthèse intitulée Daring to stand up for human rights in a pandemic, nous avons rassemblé des dizaines de cas individuels – sans doute la pointe émergée de l’iceberg – concernant des personnes qui paient le prix fort parce qu’elles défendent les droits fondamentaux.
Il s’agit entre autres de lanceuses et lanceurs d’alerte dans le secteur de la santé, de militant·e·s de la société civile, de journalistes et de blogueuses et blogueurs qui partagent des informations et interrogent la gestion de la pandémie. Les communautés indigènes n’ont pas bénéficié des soins de santé adéquats et sont assiégées par ceux qui empiètent sur leurs terres, et les militant·e·s vulnérables ne sont pas protégés et deviennent des cibles faciles pour leurs ennemis. Les défenseur·e·s des droits des femmes et des LGBTI sont de plus en plus victimes de violences et de discriminations fondées sur le genre, tandis que les défenseur·e·s et dissident·e·s incarcérés sont doublement punis, car ils demeurent détenus dans des prisons surpeuplées et insalubres, où ils sont exposés au risque de contracter le virus.
Les défenseur·e·s des droits humains pris pour cibles sont si nombreux… Un cas me touche particulièrement, car il illustre parfaitement le mépris étatique à leur égard : celui d’Atena Daemi, une Iranienne incarcérée parce qu’elle milite contre la peine de mort. Après quatre années passées derrière les barreaux, marquées par la torture et les mauvais traitements, notamment la privation de soins médicaux, au mois de juin, elle a été condamnée à deux années de prison supplémentaires et à 74 coups de fouet sur la base d’accusations forgées de toutes pièces ayant pour objectif de la maintenir en détention en raison de son action en faveur des droits humains.
La pandémie a creusé les inégalités existantes et aggravé la pauvreté, les crises humanitaires et l’impact de la discrimination et du racisme dans toutes les sociétés. Cela devrait inciter de nombreux citoyen·ne·s à se mobiliser pour leurs droits. Nous avons déjà vu des mouvements se rassembler pour défendre les droits et manifester pacifiquement, se mobiliser et assumer différents rôles au sein de leurs communautés – par exemple en faisant savoir comment se protéger contre le COVID-19 alors que les informations étaient absentes ou contradictoires, et en dénonçant l’absence de mesures de prévention et de services de santé adéquats. Les défenseur·e·s des droits humains sont de plus en plus nombreux à participer à la livraison d’aide humanitaire et à défendre les groupes marginalisés et victimes de discriminations, à lutter contre les reculs opérés par les gouvernements en matière de droits humains sous couvert de législation d’urgence, et à poursuivre leur travail durable en faveur des droits. Les États pourraient tant apprendre de leur résilience, capacité d’adaptation, détermination et sens de l’innovation.
Les défenseur·e·s des droits humains sont des acteurs essentiels de la lutte contre la pandémie et c’est pourquoi les États devraient les considérer comme des alliés, et non comme des ennemis. Sans les individus et les collectifs qui défendent les droits partout dans le monde, il serait quasiment impossible de s’attaquer au COVID-19 et de sauver autant de vies et de moyens de subsistance que possible. Si cette responsabilité incombe aux États, il est également dans leur intérêt et dans celui des sociétés dans leur ensemble de reconnaître et de protéger les défenseur·e·s des droits humains afin qu’ils puissent faire leur travail primordial. Nous pourrons alors atténuer les répercussions les plus dures de cette crise et prendre en charge les plus fragiles.