Un site de déversement de pétrole dans la communauté Kegbara-Dere (K-Dere) à Gokana, dans l’état de Rivers, dans le delta du Niger, 2015

«Pas de dépollution, pas de justice» : la pollution pétrolière de Shell dans le delta du Niger

Lagos/Londres/Bruxelles/Amsterdam, 18 juin 2020 – Près de 10 ans après qu’un nettoyage a été demandé pour les zones polluées par Shell et d’autres compagnies pétrolières dans le delta du Niger, l’opération n’a démarré que dans 11 % des sites prévus et de vastes zones demeurent fortement contaminées, selon une nouvelle enquête menée par quatre ONG.

Après neuf ans de promesses non suivies d’action et des décennies de pollution, le peuple ogoni est malade à cause de l’eau non potable.

Godwin Ojo, de l’ONG Environmental Rights Action/Friends of the Earth Nigeria

En 2011, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a publié un rapport dénonçant l’impact dévastateur de l’industrie pétrolière en pays ogoni et a formulé des recommandations urgentes concernant le nettoyage. Cependant, la nouvelle enquête menée révèle que les « mesures d’urgence » proposées par le PNUE n’ont pas été dûment mises en œuvre et que le projet de nettoyage d’un milliard de dollars initié par le gouvernement nigérian en 2016 s’est avéré inefficace.

Pendant 50 ans, l’extraction de pétrole et de gaz a causé une contamination continue, à grande échelle, de l’eau et du sol en territoire ogoni. En raison de l’incapacité persistante et systématique des compagnies pétrolières et du gouvernement à dépolluer, des centaines de milliers d’Ogonis sont exposés à de graves risques pour la santé, luttent pour avoir accès à de l’eau potable et ne sont plus en mesure de gagner leur vie.

De nombreux conflits d’intérêt impliquant Shell ont été révélés, notamment avec la direction de l’agence de dépollution, l’HYPREP, et le gouvernement nigérian.

Tandis que des compagnies pétrolières comme Shell dépensent des millions pour écoblanchir leur image, des dizaines de milliers de personnes continuent de souffrir de leur pollution et de leur négligence.

Colin Roche, d’Amis de la Terre Europe

Godwin Ojo, de l’ONG Environmental Rights Action/Friends of the Earth Nigeria, a déclaré :

« Après neuf ans de promesses non suivies d’action et des décennies de pollution, le peuple ogoni est malade à cause de l’eau non potable, du poisson contaminé par les hydrocarbures et des fumées toxiques. Il est las d’attendre que justice soit rendue, il se meurt chaque jour. Le gouvernement nigérian devrait reconnaître que ce projet est un échec et revitaliser l’HYPREP grâce à des compétences techniques et une vision stratégique, en impliquant pleinement la population. »

Shell ne doit pas s’en sortir en toute impunité. Nous nous battrons jusqu’à ce que la dernière trace d’hydrocarbures disparaisse du pays ogoni.

Osai Ojigho, d’Amnesty International Nigeria

Colin Roche, d’Amis de la Terre Europe, a déclaré :

« Depuis neuf ans, il n’y a toujours pas eu de nettoyage, pas de mesures d’urgence pour la santé et l’eau, aucune transparence ni obligation de rendre des comptes. Sans une action urgente, il n’y aura pas de justice. Tandis que des compagnies pétrolières comme Shell dépensent des millions pour écoblanchir leur image, des dizaines de milliers de personnes continuent de souffrir de leur pollution et de leur négligence. Les gouvernements européens comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la France et l’Italie doivent agir en faveur d’un nettoyage vraiment efficace et veiller à ce que ces entreprises rendent des comptes pour la pollution désastreuse du delta du Niger. »

Osai Ojigho, d’Amnesty International Nigeria, a déclaré :

« La découverte de pétrole en pays ogoni fut source de grandes souffrances pour sa population. Au fil des ans, nous avons pu constater que Shell n’a pas nettoyé la contamination due aux déversements ; il est scandaleux que cela ne soit toujours pas fait. La pollution engendre de graves répercussions en termes de droits humains – sur la santé des populations et leur capacité à accéder à l’alimentation et à l’eau potable. Shell ne doit pas s’en sortir en toute impunité. Nous nous battrons jusqu’à ce que la dernière trace d’hydrocarbures disparaisse du pays ogoni. »

Les principales conclusions du rapport sont :

  •        L’opération n’a démarré que dans 11 % des sites pollués identifiés par le PNUE, 5 % seulement d’autres sites font partie des programmes de nettoyage mis en œuvre et aucun site n’a été entièrement dépollué.
  •        Les actions classées « mesures d’urgence » par le PNUE – des actions immédiates concernant l’eau potable et la protection de la santé – n’ont pas été dûment mises en œuvre. Certaines communautés n’ont toujours pas accès à des installations d’eau potable.
  •        Le suivi sanitaire et environnemental n’est pas effectué.
  •        Il n’existe pas de comptabilité publique concernant la manière dont ont été dépensés les 31 millions de dollars alloués depuis 2018.
  •        11 des 16 entreprises engagées pour le nettoyage n’auraient pas d’expertise déclarée en réhabilitation de zones touchées par la pollution pétrolière ou domaines connexes.
  •        L’HYPREP a de nombreux conflits d’intérêt, car Shell est toujours impliquée dans les conseils d’administration pour le nettoyage et place même son propre personnel dans l’agence.

Amnesty International réclame un nettoyage rapide et, plus particulièrement, elle demande

au gouvernement nigérian de :

  •        veiller à ce que le peuple ogoni puisse jouir de ses droits fondamentaux, notamment du droit de disposer d’une eau potable ;
  •        développer et mettre en œuvre une stratégie visant à remédier aux causes profondes de la pollution aux hydrocarbures, tout en impliquant pleinement les populations locales ;
  •        renforcer l’HYPREP et garantir son indépendance et sa transparence, sans que Shell ne participe aux instances de surveillance et de gestion ;
  •        publier toutes les informations sur le projet de nettoyage et son avancement.

à Shell de :

  •        indemniser de manière suffisante toutes les populations touchées par les nettoyages de déversements d’hydrocarbures non réalisés ou reportés ;
  •        mettre hors service tous les oléoducs vieillissants et endommagés ;
  •        s’engager à financer le nettoyage complet du pays ogoni et du reste du delta du Niger.

aux gouvernements des pays européens qui hébergent le siège des compagnies pétrolières menant des activités dans le delta du Niger de :

  •        opérer un revirement fondamental pour accorder la priorité au nettoyage du pays ogoni et du reste du delta du Niger et non aux intérêts des entreprises ;
  •        renforcer la coopération avec le gouvernement nigérian et l’appuyer en vue de garantir l’application des recommandations du PNUE, la surveillance indépendante de l’industrie pétrolière et des recours effectifs aux communautés touchées ;
  •        mettre en place une règlementation internationale solide pour la responsabilité des entreprises à l’étranger, notamment une législation de l’UE imposant la diligence raisonnable en matière de droits humains et un traité contraignant de l’ONU sur les entreprises et les droits humains.

Cette année, Shell est confrontée à une série de batailles judiciaires devant les tribunaux européens concernant ses activités au Nigeria.