République démocratique du Congo. Crise dans le Nord-Kivu

Que se passe-t-il exactement dans le Nord-Kivu ?

Un groupe d’opposition armée, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), a lancé fin octobre une vaste offensive contre les positions des forces gouvernementales dans la province du Nord-Kivu. En l’espace de quelques jours, ces dernières ont été mises en déroute sur la quasi totalité du territoire de la province. Le CNDP a notamment pris une ville importante, Rutshuru, et a atteint les faubourgs de Goma, la capitale provinciale, l’une des principales agglomérations de la République démocratique du Congo.

Le 29 octobre, alors que ses forces se trouvaient à une quinzaine de kilomètres de Goma, le CNDP a déclaré un cessez-le-feu unilatéral. Le gouvernement et les divers groupes armés qui lui sont favorables n’ont pas, de leur côté, annoncé de mesure similaire.

Les combats entre le CNDP et les forces progouvernementales ont continué sur un certain nombre de fronts, la situation à Goma restant cependant stable. La force de maintien de la paix de l’ONU – la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (MONUC) – assure actuellement, de fait, le contrôle militaire de Goma et s’est engagée à défendre la ville contre toute attaque extérieure. Les affrontements menacent de s‘étendre.

Qui sont les principaux acteurs de la crise ?

Le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) est un groupe armé et une organisation politico-militaire dirigée par le général tutsi dissident Laurent Nkunda. On estime que ce mouvement dispose de 4 000 à 6 000 combattants. Laurent Nkunda affirme lutter pour protéger la communauté tutsi des attaques des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), un autre groupe armé, composé de Hutus rwandais ayant fui leur pays au lendemain du génocide de 1994. La communauté tutsi de l’est de la République démocratique du Congo est ethniquement, culturellement, politiquement et commercialement très liée au Rwanda voisin et, dans une moindre mesure, à l’Ouganda. Selon certaines informations, un nombre indéterminé de combattants du CNDP seraient originaires de ces deux pays.

Les Forces Armées de la République du Congo (FARDC) constituent l’armée régulière. Leurs effectifs sont estimés à quelque 20 000 hommes, mais elles sont actuellement très désorganisées. Peu disciplinées, elles se sont rendues responsables de nombreuses violations des droits humains.

Les Maï Maï sont des milices favorables au gouvernement, regroupées pour la plupart au sein d’une coalition politico-militaire connue sous le nom de Patriotes résistants congolais (PARECO). En l’absence des FARDC, ces milices constituent aujourd’hui la principale force de lutte armée contre le CNDP.

Les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) comptent plusieurs milliers de combattants, essentiellement des insurgés hutus originaires du Rwanda et installés dans l’est de la République démocratique du Congo depuis le génocide rwandais de 1994. Elles comprennent notamment d’anciens membres des milices interahamwe et de l’ex-armée rwandaise (ex-FAR), responsables des massacres perpétrés à l’époque au Rwanda.

Toutes ces forces commettent de graves atteintes aux droits humains en République démocratique du Congo. Voir à ce sujet le rapport publié en septembre 2008 par Amnesty International sous le titre : République démocratique du Congo. Nord Kivu. Une guerre sans fin pour les femmes et les enfants (index AI : AFR 62/005/2008).

La MONUC dispose d’environ 17 000 casques bleus, qui sont déployés à plus de 90 p. cent dans l’est du pays. La brigade du Nord-Kivu compte actuellement entre 5 000 et 6000 hommes, stationnés dans 34 localités. Environ 1 500 d’entre eux se trouvent à l’heure actuelle à Goma. Elle a un mandat clair, qui lui donne pour mission de protéger les civils et le personnel humanitaire sous la menace imminente de violences physiques en utilisant « tous les moyens nécessaires », y compris la force armée. Elle est notamment chargée, aux termes de la résolution 1756 du Conseil de sécurité de l’ONU, de « dissuader toute tentative de recours à la force qui menacerait le processus politique de la part de tout groupe armé, étranger ou congolais, en particulier dans l’est de la République démocratique du Congo, y compris en utilisant des tactiques d’encerclement et de recherche pour prévenir les attaques contre les civils et perturber les capacités militaires des groupes armés illégaux qui continuent à faire usage de la violence dans ces régions ».

La situation est-elle vraiment grave ? Que peut-il arriver, dans le pire des cas ?

Selon certains observateurs, la RDC risque de basculer de nouveau dans un conflit international dévastateur, tel que ceux qu’elle a connus entre 1996 et 2003.

Laurent Nkunda a juré de poursuivre son offensive jusqu’à Kinshasa, à moins que le gouvernement de la RDC n’accepte de négocier directement lui, ce que celui-ci refuse. Or, il est peu probable qu’il puisse mettre sa menace à exécution sans nouer des alliances militaires beaucoup plus larges que celles dont il bénéficie actuellement. Certains éléments semblent indiquer qu’il existe d’ores et déjà des liens entre son mouvement et divers autres groupes plus modestes, opérant dans l’Ituri et dans le Sud-Kivu. Rien ne laisse supposer, toutefois, que le Rwanda et l’Ouganda, très impliqués dans la guerre de 1996-2003, soient prêts à intervenir militairement de façon directe.

La situation est tellement tendue, cependant, que le moindre incident risque de déclencher un nouveau déferlement de violences. La proximité de la frontière rwandaise a d’ores et déjà entraîné des échanges de coups de feu de part et d’autre, pour l’instant limités. De très nombreuses informations, impossibles à confirmer, font état de la présence de soldats angolais, zimbabwéens et rwandais sur les différents fronts.

L’effondrement quasi-total de l’armée régulière a considérablement affaibli le président Joseph Kabila et son gouvernement, tant sur le plan intérieur que sur la scène internationale. Cette situation pourrait entraîner une aggravation des troubles civils ou de la contestation militaire interne, susceptible de mener à une escalade des violences politiques, sur l’ensemble du territoire de la RDC.

Un processus de paix n’avait-il pas été mis en place ? Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

Le conflit actuel n’est en réalité que le dernier épisode en date d’une crise qui a commencé dans le Nord-Kivu en août 2007, après l’échec d’une initiative visant à intégrer les forces de Laurent Nkunda dans les rangs de l’armée nationale de la RDC. La communauté internationale étant consciente du fait que la région pouvait à nouveau s’embraser, deux tentatives ont été faites, sous l’égide des États-Unis, de Union européenne, de l’Union africaine et, également, de l’ONU, pour mettre un terme aux combats,

La première, en novembre 2007, a pris la forme d’une rencontre à Nairobi entre les gouvernements du Rwanda et de la RDC. Elle a donné lieu à un « communiqué conjoint », dans lequel les deux pays s’engageaient à ne pas soutenir de groupes armés opérant en RDC, à empêcher que des armes et des combattants ne passent illégalement la frontière et à s’abstenir de toute propagande mutuellement hostile. L’une des dispositions clefs de cet accord prévoyait que le gouvernement de la RDC s’engageait à démanteler, « de toute urgence », les FDLR présentes dans l’est du pays, si besoin par la force.

Cette réunion a été suivie, en janvier 2008, d’une conférence de paix qui s’est tenue à Goma, et à laquelle ont participé le gouvernement et plusieurs groupes armés congolais, dont le CNDP. Les FDLP n’étaient en revanche pas présentes. Cette conférence a donné lieu à la signature d’« Actes d’engagement » (un pour le Nord-Kivu, un pour le Sud-Kivu), aux termes desquels toutes les parties se disaient prêtes à respecter un cessez-le-feu immédiat et les groupes armés promettaient de ne plus commettre d’atteintes au droit international humanitaire. En contrepartie, le gouvernement proposait une amnistie, portant sur tous les « actes de guerre » perpétrés par des combattants de groupes armés, à l’exception des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Cet accord de paix prévoyait que toutes les parties devaient veiller, dans les plus brefs délais, au désengagement de leurs forces respectives, puis au désarmement des combattants des groupes armés, en prévision de leur démobilisation ou de leur intégration dans les rangs de l’armée régulière. Malheureusement, les modalités de ce désarmement ont été laissées à l’appréciation d’une commission technique, qui, prise au milieu des luttes politiques, n’a jamais vraiment pu commencer à travailler. Le CNDP s’est retiré du processus de paix en avril 2008. Le plan de désengagement des différentes forces a également commencé à partir à vau-l’eau, les violations du cessez-le-feu ne tardant pas à devenir quotidiennes.

Le processus de paix a notamment achoppé sur l’absence de toute avancée dans le démantèlement des FDLR. Le gouvernement de la RDC et les Nations unies ont organisé des négociations avec les dirigeants de cette organisation à Kisangani, en mai 2008. Celles-ci se sont soldées par l’établissement d’une « feuille de route pour le désarmement » des FDLR. Les représentants des FDLR n’ont cependant pas participé avec toute l’assiduité nécessaire aux négociations et seules quelques centaines de combattants ont effectivement rendu leurs armes et demandé à être rapatriés au Rwanda. Il a semblé, à un moment, qu’une offensive des forces gouvernementales contre les FDLR était imminente, mais celle-ci n’a finalement pas eu lieu, les relations avec le CNDP s’étant entre-temps détériorées.

Cette inaction face aux FDLR a été présentée, aussi bien par le CNDP que par le Rwanda, comme la preuve que le gouvernement, comme la communauté internationale, ne faisait rien pour protéger la communauté tutsi de la RDC. Les FDLR ont de leur côté affirmé par le passé qu’elles étaient prêtes à rendre les armes et à retourner au Rwanda, à la condition qu’un dialogue politique s’ouvre avec le gouvernement rwandais, ce que Kigali refuse.

Le CNDP a également été irrité par la manière dont le gouvernement a manifestement utilisé la présence des multiples milices maï maï aux négociations de paix de Goma pour noyer l’influence du mouvement et diminuer la portée de son rôle dans le processus de paix. Le CNDP, qui se considère comme une force d’opposition politico-militaire majeure dans la province du Nord-Kivu, a progressivement adopté une nouvelle attitude, exigeant désormais des négociations directes avec Kinshasa, ce que refuse à son tour le gouvernement congolais.

Ce que cache en fait cette confusion, c’est l’incapacité des différents acteurs, au plan tant national qu’international, de traiter les causes profondes du conflit. Parmi ces causes, la question du contrôle des ressources naturelles du Nord-Kivu est centrale. La plupart des richesses minérales de la province se trouvent sur le territoire de Walikale, une zone située à l’ouest de la région et jusqu’à présent épargnée par les combats. Une partie au moins des minéraux qui y sont extraits transite par Goma, avant d’être acheminée au Rwanda. Le secteur minier du territoire de Walikale échappe de fait à l’autorité de l’État et de nombreuses mines sont contrôlées sur le terrain par des troupes de l’armée régulière plus ou moins autonomes ou par des groupes armés, et notamment par les FDLR. La plus grande opacité règne quant aux intérêts économiques qui se cachent derrière ces mines, mais on dit que des personnalités importantes, proches des milieux gouvernementaux, ainsi que des hommes d’affaires tutsis congolais en feraient partie. Ces derniers financeraient, selon certaines rumeurs, le mouvement de rébellion de Laurent Nkunda.

Le gouvernement de la RDC a signé début 2008 un contrat d’une valeur de plusieurs milliards d’euros avec un groupe de sociétés chinoises, auxquelles il concédait d’importants droits d’exploitation minière sur le territoire national, en échange d’investissements dans divers projets d’infrastructures. À peu près au même moment, le gouvernement a cherché à renforcer son contrôle sur les mines de Walikale. Ces initiatives ont vivement inquiété les milieux qui profitaient de l’économie déréglementée qui s’était construite autour des gisements de Walikale. Elles pourraient ainsi constituer l’une des raisons principales du déclenchement des hostilités. De fait, l’une des revendications de Laurent Nkunda porterait sur la renégociation des contrats avec les investisseurs chinois.

Que est le rôle exact du Rwanda dans la crise actuelle ?

Le Rwanda, qui nie toute implication dans le conflit, a pour l’instant réagi avec une certaine tiédeur aux initiatives diplomatiques internationales visant à y mettre fin. Il affirme n’avoir aucune influence sur le cours des choses ni sur le CNDP, ce dont doute très sérieusement Amnesty International. Les efforts diplomatiques ont débouché sur l’instauration d’un dialogue entre Kinshasa et Kigali.

Le 10 octobre, l’armée congolaise a présenté du matériel et des effets personnels retrouvés sur des soldats ennemis tués près de Goma et prouvant, selon elle, la présence de militaires rwandais dans le Nord-Kivu et le soutien militaire direct apporté par le Rwanda aux forces de Laurent Nkunda. Parmi les objets présentés figuraient des conteneurs d’armes portant l’emblème du Rwanda, ainsi que des documents militaires, des devises et des uniformes rwandais. Toutefois, ces éléments ne constituaient pas, en soi, la preuve irréfutable d’une présence militaire rwandaise ou d’un soutien direct du Rwanda au CNDP.

L’armée congolaise et les FDLR sont-elles militairement alliées? C’est une accusation qui est régulièrement avancée par le CNDP et le Rwanda. Il ressort des informations recueillies sur le terrain par Amnesty International que des cas de collaboration, au moins au niveau local, sont avérés, dans certains secteurs du Nord-Kivu, entre des unités des FARDC, leurs officiers et des éléments des FDLR. Cette collaboration répond avant tout à des motivations d’ordre économique (c’est le cas, par exemple, pour le trafic du chanvre, dans le territoire de Lubero). On ne dispose cependant d’aucun élément qui permettrait de conclure qu’il existe une alliance stratégique, au niveau du commandement, entre les FARDC et les FDLR. Des actions militaires auraient néanmoins été menées conjointement par les Maï Maï et les FDLR, ce qui pourrait signifier qu’elles ont été plus ou moins directement orchestrées par Kinshasa.

Quelles sont les conséquences de la crise en termes de droits humains ? Des atteintes aux droits humains, attribuées à toutes les forces combattantes en présence sont signalées aux quatre coins du Nord-Kivu. Il est notamment question de recrutement forcé d’enfants soldats, de viols, de meurtres de civils et de pillages à grande échelle (voir plus bas pour plus de précisions).

Amnesty International a ainsi reçu des informations, faisant état des violations et exactions suivantes, sachant que la liste s’allonge chaque jour. Étant donné le chaos qui règne dans la province, il est difficile de vérifier immédiatement ces informations.

– Des viols et des meurtres auraient été commis aux alentours de Ngungu, les 8 et 9 novembre, lors de combats ayant opposé le CNDP à des membres des PARECO. – Le recrutement forcé d’enfants par des groupes armés opérant dans les secteurs de Rutshuru et de Masisi se poursuivrait, parfois, manifestement, de manière systématique. — Des éléments des FARDC se seraient livrés le 10 novembre, à Kanyabayonga, à d’importants pillages et à des attaques contre des civils. – Des combattants du CNDP auraient délibérément tué des civils à Kiwanja, au nord de Rutshuru, dans la nuit du 5 au 6 novembre. Des affrontements avaient opposé le jour même le CNDP et des forces maï maï pour le contrôle de la ville (voir plus bas). Les informations faisant état de ces événements ont été en grande partie confirmées et une enquête a été ouverte par les services chargés des droits humains au sein de la MONUC. – Les FARDC se seraient livrées à des homicides et à diverses autres violations des droits humains, alors qu’elles battaient en retraite dans Goma, la nuit du 29 au 30 octobre.

Au moins 250 000 civils ont dû fuir les affrontements récents dans l’est de la RDC, portant à au moins 1 200 000 le nombre total de personnes déplacées dans le Nord-Kivu, par ce conflit et les précédents. La plupart vivent aujourd’hui dans des camps situés dans une étroite bande de territoire, autour de Goma. Elles bénéficient d’une aide qui tend à se renforcer, mais qui reste insuffisante.

Dans la plus grande partie de la province, dans les zones contrôlées par les groupes armés ou inaccessibles à l’aide humanitaire parce que peu sûres, des dizaines de milliers de personnes déplacées ne sont pas répertoriées et survivent sans bénéficier d’une assistance organisée. Dix mille personnes environ sont allées se réfugiées en Ouganda. Nombre d’entre elles vivaient déjà auparavant dans des camps pour personnes déplacées situés autour de Rutshuru et qui ont été totalement brûlés lors des combats, dans des circonstances qui restent à éclaircir.

Des crimes de guerre sont-ils commis à Kiwanja ?

Oui. Il ressort des informations dont dispose Amnesty International et des renseignements recueillis par diverses autres organisations que des crimes de guerre ont été et continuent d’être commis à Kiwanja. Selon un témoin présent sur les lieux contacté par Amnesty International le 6 novembre, des combattants du CNDP seraient passés de maison en maison, dans toute la ville, et plus particulièrement à Mabongo II, un quartier abritant de nombreux Hutus, à la recherche de personnes soupçonnées d’appartenir aux Maï Maï ou de leur être favorables.

Selon ce témoin, de nombreux hommes, âgés pour la plupart de dix-huit à trente ans, « jeunes papas et nouveaux mariés », auraient été enlevés à leur domicile et tués délibérément par le CNDP, par balle ou à l’arme blanche.

Des combattants Maï Maï auraient également tué six personnes et perpétré diverses autres exactions sur des civils, à Kiwanja et aux environs, lors des premiers combats. Soixante-douze corps ont été enterrés dans cette ville et le bilan devrait vraisemblablement s’alourdir. Certaines des victimes ont certes été tuées lors d’échanges de coups de feu, pendant les combats, mais beaucoup d’entre elles ont été assassinées.

Les casques bleus de la MONUC présents à Kiwanja se sont bien efforcés de protéger les milliers de civils qui étaient venus se réfugier sur leur base, mais ils ne seraient pas intervenus pour faire cesser les meurtres perpétrés par le CNDP, alors que les opérations de fouille systématique des domiciles auraient duré plusieurs heures, jusqu’à ce qu’un colonel de ce groupe armé y mette fin, le 6 novembre au matin.

Comment les forces de l’ONU (la MONUC) se comportent-elles ? La MONUC tente de contenir la crise dans le Nord-Kivu, tout en essayant de maîtriser des situations qui se dégradent dans le Haut-Uélé et dans l’Ituri, deux districts de la Province-Orientale. Elle doit faire face à une pression énorme.

La crédibilité de la MONUC au sein de la population en général est particulièrement faible à l’heure actuelle. La chute de Rutshuru, que la MONUC s’était engagée à défendre, puis les tueries de Kiwanja, que les soldats de l’ONU n’ont pas cherché à empêcher, n’ont fait qu’entamer encore davantage sa réputation. Des manifestations hostiles à la MONUC ont eu lieu. Plusieurs ont été marquées par des violences.

La situation en RDC serait néanmoins beaucoup plus dramatique encore si la MONUC n’était pas là. La force des Nations unies intervient quotidiennement pour protéger la population civile. Les progrès modestes enregistrés depuis la fin de la guerre de 1996-2003 par la RDC en matière de sécurité et de stabilité lui sont dus dans une très large mesure. Or, les combats actuels menacent de réduire à néant cette légère amélioration.

Certains font valoir que la MONUC souffre d’un mandat qui lui donne comme mission prioritaire de protéger en toute neutralité les civils, tout en soutenant les FARDC dans les opérations militaires que celles-ci mènent contre les groupes armés dans l’est du pays. Or, les FARDC, qui se rendent responsables de très nombreuses violations des droits humains, constituent de manière générale une armée très peu professionnelle, corrompue et mal commandée. Ce rôle double a permis au CNDP d’accuser la MONUC de ne pas être neutre.

La force des Nations unies est, de son propre aveu, sollicitée à la limite de ses moyens et ne dispose d’aucune réserve. Le 3 octobre dernier, le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en RDC, Alan Doss, qui dirige la MONUC, a demandé au Conseil de sécurité deux bataillons d’infanterie, deux unités de police et deux compagnies de forces spéciales supplémentaires, ainsi qu’un renforcement des moyens aériens, du génie et des capacités de renseignement à sa disposition. Ces renforts étaient présentés comme constituant le « strict minimum » indispensable. Le 20 novembre, le Conseil de sécurité a enfin décidé, aux termes de la Résolution 1843, « l’augmentation temporaire des effectifs autorisés du personnel militaire et des unités de police constituées de 2 785 et de 300 éléments respectivement ». Le déploiement de ces renforts devrait prendre des semaines, voire des mois.

L’Union européenne est actuellement pressée d’envoyer sur place une force militaire propre, qui permettait de faire la liaison, en aidant la MONUC et en lui donnant le temps de se réorganiser.

Amnesty International demande la rapide mise en œuvre de la Résolution 1843. La MONUC doit être renforcée de toute urgence, pour qu’elle puisse protéger les civils dans toute la mesure du possible et ouvrir des couloirs sécurisés, permettant à l’aide humanitaire de circuler. Ces mesures devront peut-être être suivies d’un renforcement et d’une clarification du mandat de la force de maintien de la paix, afin de lui permettre d’agir avec davantage de poids en faveur des civils et de garantir un meilleur accès à l’aide (sans toutefois la distribuer elle-même).

Quelles sont les préoccupations immédiates et les recommandations d’Amnesty International ?

La priorité pour le moment est de renforcer la protection des civils et l’assistance humanitaire dans le Nord-Kivu.

Notre objectif immédiat est donc d’obtenir de la communauté internationale, à travers le Conseil de sécurité, qu’elle apporte une réelle protection à la population, par les mesures suivantes :

– renforcement de la MONUC, par l’envoi des soldats, des spécialistes et du matériel supplémentaires dont elle a besoin, pour lui permettre de mieux protéger les civils ; – mise en place par la MONUC de couloirs humanitaires sécurisés dans tout le Nord-Kivu ; – pression internationale concertée sur les groupes armés et sur les États qui exercent sur eux une influence, notamment le Rwanda et la RDC, pour que cessent toutes les exactions perpétrées contre des civils, ainsi que sur le gouvernement congolais, pour que celui-ci mette un terme aux violations des droits humains commises par l’armée régulière.

À plus long terme, cette action urgente, destinée à protéger la population, doit ouvrir la voie à une véritable dynamique internationale, permettant de s’attaquer aux racines de la crise une bonne fois pour toutes et d’en finir enfin avec les atteintes aux droits humains chroniques dont souffre l’est de la RDC.

Que devrait faire le Conseil des droits de l’homme des Nations unies face à cette crise ? Le Conseil des droits de l’homme doit se réunir en session extraordinaire, pour examiner la situation en matière de droits humains dans l’est de la RDC. En association avec Human Rights Watch et une quarantaine d’autres ONG actives en Afrique, Amnesty International a envoyé au président du Conseil des droits de l’homme une lettre, dans laquelle nous appelions le Conseil à convoquer une session extraordinaire, afin que des mesures concrètes soient prises pour protéger les milliers de civils qui souffrent et sont en danger dans la région.

Le Conseil des droits de l’homme doit envoyer un message fort au Conseil de sécurité, lui signifiant son extrême inquiétude devant la situation dans l’est de la RDC et le priant instamment de prendre toutes les mesures supplémentaires nécessaires pour protéger les civils. Le Conseil des droits de l’homme devrait en outre charger un envoyé spécial ou un rapporteur de dresser un bilan de la situation des droits humains dans l’est de la RDC et de faire des recommandations quant aux mesures à prendre pour faire face à la situation. Cet expert indépendant ne devrait pas destiner ses rapports au seul Conseil des droits de l’homme.

Que faudrait-il faire, selon Amnesty International, pour résoudre le conflit sur le long terme ?

L’attention particulière dont fait actuellement l’objet l’est de la RDC de la part de la communauté internationale doit se traduire par des actions visant à résoudre les problèmes qui sont à l’origine de la crise et qui sont évidents depuis au moins dix ans. Aucun effort diplomatique concerté n’a été mené pour tenter de répondre aux questions qui ont alimenté les conflits, entre 1996 et 2003, ce qui fait du Nord-Kivu et, dans une moindre mesure, du Sud-Kivu et de l’Ituri, de véritables bombes à retardement.

La faute en incombe en grande partie au gouvernement de la RDC, qui n’a pas mené à bien la réforme profonde dont le secteur minier, la justice et les forces de sécurité du pays ont tant besoin. Mais les donateurs internationaux, en n’insistant pas sur la nécessité de conduire une telle réforme, portent aussi leur part de responsabilité. Les États voisins doivent également être invités à s’impliquer dans la recherche de solutions durables au problème que pose la présence de groupes armés étrangers dans l’est de la RDC.

Pour apporter une solution à long terme au conflit, la communauté internationale et le gouvernement de la RDC doivent :

– prendre des mesures concrètes pour désarmer, démobiliser et réintégrer ou rapatrier les combattants des groupes armés ; – mettre un terme à la prolifération des armes ; – empêcher plus efficacement les violences sexuelles, promouvoir la participation des femmes dans les initiatives de paix et placer la protection des femmes au cœur de la mission de maintien de la paix de l’ONU ; – s’attaquer au problème de l’impunité, en réformant la justice et en mettant en place un appareil judiciaire de transition, chargé de s’occuper des atteintes aux droits humains graves perpétrées depuis 1993 au moins ; – mettre en place un système d’exploitation des richesses naturelles de la RDC qui soit transparent et dont les acteurs soient tenus de rendre des comptes ; – veiller à une véritable réconciliation des communautés divisées, notamment en apportant une réponse aux litiges portant sur la propriété foncière et en faisant en sorte que les réfugiés tutsis congolais puissent rentrer chez eux ; – veiller à ce que soit menée une réforme réelle de l’armée et de la police nationale, notamment en excluant des forces de sécurité toute personne soupçonnée d’avoir commis des atteintes aux droits humains, pour que ces deux corps soient à même de protéger la population civile, tous groupes ethniques confondus, de manière professionnelle et dans le plein respect des droits fondamentaux de la personne.