Népal : la solidarité offre la perspective d’une paix durable

par Dikshya Thakuri (correspondant des droits humains à The Himalayan Times, un quotidien anglais au Népal)

Le peuple népalais a enfin remporté une « victoire historique » après un mouvement de masse de dix-neuf jours en faveur de la démocratie, qui a coûté la vie à de nombreuses personnes. Après avoir assisté à un conflit armé d’une décennie entre le Parti communiste népalais (PCN, maoïste) et les anciens gouvernements, la nation entière retient son souffle dans l’attente d’une résolution définitive de la crise.

La Chambre des représentants réinstallée a annoncé sa proclamation lors de la session parlementaire du 18 mai, reconnaissant par là la victoire du peuple et proclamant que cette déclaration était écrite avec le sang des martyrs qui avaient sacrifié leur vie pour ce mouvement. La proclamation a retiré son pouvoir exécutif à la monarchie, déclaré le Népal État séculier et mis sous contrôle parlementaire l’Armée royale du Népal, qui jouissait d’une liberté débridée, enhardie par son affiliation directe au tout-puissant palais royal. Cette armée s’appelle désormais Armée du Népal et le gouvernement de Sa Majesté du Népal a été remplacé par le gouvernement du Népal.

Le parlement a également annoncé qu’il y aurait une élection à l’Assemblée constituante, l’une des revendications principales du PCN (maoïste), en guerre depuis une décennie. L’élection de cette assemblée constituante devrait décider du sort de la monarchie, en fonction des souhaits de la population, qui choisira un État républicain ou une démocratie dotée d’un monarque à fonction cérémonielle. Cette mesure parlementaire est d’une grande importance, car les maoïstes ont toujours voulu se débarrasser de la monarchie et créer un État républicain, depuis leurs débuts en février 1996. Le conflit long d’une décennie, connu sous le nom de « guerre populaire », a coûté la vie à 13 000 personnes dans ce pays.

Le roi Gyanendra a dissous la chambre des représentants en mai 2002 et assumé le pouvoir exécutif depuis le 1er février 2005, mesure qui a aggravé la crise dans le pays et forcé les sept principaux partis politiques népalais, ainsi que les maoïstes, à s’opposer au roi, dont l’Histoire jugera certainement le règne répressif. L’accord en 12 points (feuille de route pour la paix et la démocratie), obtenu le 22 novembre 2005, a joué un rôle essentiel dans leur lutte contre ce que ces partis ont décrit comme une autocratie.

Dix années de guerre sont une longue période à tous points de vue, mais la volonté des maoïstes et des sept partis politiques de suivre la volonté du peuple pourrait annoncer un climat politique sain. Cependant, l’actuelle évolution politique n’a pas été obtenue en un jour, même si le mouvement populaire en faveur de la démocratie a obligé le roi Gyanendra à abandonner son pouvoir direct le 24 avril 2006.

Il y avait une force plus importante que les sept partis politiques et les maoïstes à l’œuvre, derrière le succès du mouvement pour la démocratie. La grève nationale du 6 au 9 avril 2006, menée par les partis politiques et soutenue par les maoïstes, qui est devenue un mouvement populaire de masse, s’intégrait à un ensemble plus vaste.

À cette période charnière, la solidarité entre tous les groupes de la société – civils, société civile, médias, judiciaire, partis politiques, maoïstes – ainsi que la pression de la communauté internationale, ont fait de ce mouvement un succès. Cependant, ce mouvement n’a été qu’un simple catalyseur en faveur du changement. Les campagnes de prise de conscience développées par la société civile, les organes locaux et internationaux de défense des droits humains et les médias ont contribué à apprendre au peuple ses droits.

Dans le même ordre d’idée, la communauté internationale a joué un rôle crucial en exerçant des pressions, et en critiquant les gouvernements précédents et les maoïstes pour des atteintes aux droits humains comme des homicides extrajudiciaires, le recours à la torture, aux enlèvements, aux détentions illégales et aux « disparitions ». La pression exercée par la communauté internationale sur le régime royal, au cours du mouvement, était également marquante. Par conséquent, la prise de conscience par le peuple népalais de ses droits fondamentaux et humains au cours de l’insurrection a joué un rôle essentiel dans son combat pour la justice, la paix et la liberté.

Ainsi, le rôle collectif de tous les groupes sociaux et de la communauté internationale au cours de l’insurrection et du mouvement populaire ne peut être sous-estimé. Sans leur action renforcée, la prise de conscience populaire aurait été négligeable et le mouvement populaire, à ce stade, aurait été inconcevable.

Après le mouvement et le retour de la chambre des représentants, le gouvernement a formé une commission d’enquête dirigée par l’ancien juge à la Cour suprême Krishna Jung Rayamajhi, afin d’enquêter sur les violations des droits humains, les abus de pouvoir et les détournements des fonds publics par l’ancien gouvernement en place sous le régime du roi Gyanendra. Cette commission a été formée pour enquêter sur les abus commis de février 2005 à avril 2006 et faire des recommandations au gouvernement, afin de prendre des mesures juridiques appropriées à l’encontre des responsables.

Le 12 mai 2006, le gouvernement a placé en détention cinq anciens ministres et suspendu trois chefs des forces de sécurité en raison d’allégations d’abus de pouvoir, de recours excessif à la force et de violations des droits humains destinées à réprimer le mouvement populaire. Le 4 juin, l’ancien ministre des Affaires étrangères Ramesh Nath Pandey, l’ancien ministre d’État de l’Information et des communications Shrish Shumsher Rana et l’ancien adjoint au ministre de la Santé Nikshya Shumsher Rana ont été libérés sur ordre de la Cour suprême, qui jugeait leur arrestation illégale. Les deux autres détenus – l’ancien ministre de l’Intérieur Kamal Thapa et l’ancien ministre du Développement local Tanka Dhakal – ont introduit une requête en habeas corpus devant la Cour suprême le 5 juin, pour remettre en cause la légalité de leur détention.

Le gouvernement, cependant, a subi des critiques pour la détention provisoire de ces anciens ministres. La communauté internationale, et notamment des organisations internationales de défense des droits humains, ont sévèrement critiqué le gouvernement pour avoir emboîté le pas au régime royal en utilisant la Loi relative à la sécurité publique afin de garder des opposants politiques en détention provisoire.

Parmi les chefs d’organes de sécurité suspendus figurent l’ancien inspecteur général de la police népalaise Shyam Bhakta Thapa, l’ancien inspecteur général des forces de police armées Sahabir Thapa, et l’ancien chef du Service national de renseignements Devi Ram Sharma. Étonnamment, le gouvernement n’a pris aucune mesure à l’encontre du chef de l’armée népalaise Pyar Jung Thapa, qui est encore en fonction.

En guise d’hommage, 21 personnes ayant perdu la vie lors des manifestations politiques de cette année ont été déclarées martyrs, le 4 juin 2006. Ce geste a été bien perçu au Népal.
Cependant, de nombreux défis nous attendent. Le gouvernement du Népal, le parlement, les maoïstes et la société civile doivent tous maintenir un équilibre et emmener le pays dans une nouvelle direction. Pour réussir, il faudra plus que dépouiller le roi Gyanendra de son pouvoir, donner le pouvoir au parlement, ôter aux maoïstes leur étiquette de « terroriste », annoncer l’élection tant attendue à l’Assemblée constituante et déclarer le Népal État séculier. Il faut que le nouveau gouvernement récolte les fruits d’un climat politique mûr, et qu’il profite de la fenêtre d’opportunité qui s’ouvre actuellement. Il reste encore beaucoup à faire, et le Népal a un long chemin à parcourir.

La trêve déclarée entre le gouvernement et les maoïstes, ainsi que les actuels pourparlers de paix, ont été salués par toutes les parties concernées. Les premières négociations ont débouché, ce 26 mai, sur le code de conduite en 25 points signé par le chef de l’équipe des négociateurs gouvernementaux et ministre de l’Intérieur Krishna P Sitaula, et par le coordinateur de l’équipe des négociateurs maoïstes Krishna Bahadur Mahara.

Parmi les principaux éléments de ce pacte figurent la permission accordée à des équipes nationales et internationales d’observer le cessez-le-feu ; la cessation des activités armées et des hostilités au cours de ce cessez-le-feu ; l’engagement de publier le lieu où se trouvent les personnes « disparues » et de libérer les détenus politiques.

Par ailleurs, les maoïstes demandent avec insistance la dissolution du parlement et la formation d’un gouvernement de transition, faisant valoir que la chambre de représentants n’a pas obtenu d’actuel mandat populaire, et qu’elle ne représente pas la majorité des personnes qui ont permis le succès du mouvement. Il ne faut pas prendre à la légère l’avertissement du dirigeant maoïste Prachanda, qui affirme que le conflit s’intensifiera si la Chambre n’est pas dissoute. Cependant, il déclare que son parti ne veut même pas envisager un échec du processus de paix, et se montre optimiste pour les négociations, ce qui reflète l’engagement des maoïstes en faveur de la paix.

Le Népal pourrait, de fait, montrer l’exemple à tous les pays du monde ravagés par la guerre, si les parties du conflit mettent collectivement fin à la guerre et assurent le succès de leur feuille de route pour la paix et la stabilité. Tous espèrent que ce processus de paix dont on parle tant ne s’effondrera pas comme les négociations de paix avortées de 2001 et 2003.

La paix durable au Népal, jadis un rêve lointain, ne saurait être écartée, en tenant compte des évolutions récentes. Tout le monde, y compris la communauté internationale, demande la fin d’un conflit long d’une décennie, mais personne ne s’attendait à ce que les efforts pour la paix de la population civile, des partis politiques et des maoïstes soient si rapides.

Cet article a été écrit par un contributeur extérieur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Amnesty International. L’auteur conserve son copyright, mais permet la libre republication de son texte dans les médias internationaux.