L’affaire des Ogieks : protection d’un peuple autochtone au Kenya

La forêt de Mau au Kenya est la terre ancestrale des Ogieks, un peuple autochtone. Ce dernier compte 20 000 membres, dont 15 000 environ vivent dans le complexe forestier de Mau, d’une superficie approximative de 400 000 hectares. Ce peuple, subdivisé en clans, possède sa propre langue ainsi que ses propres normes sociales et moyens de subsistance. Pratiquant la chasse et la cueillette, les Ogieks ont, pendant des siècles, dépendu de la forêt de Mau pour ces moyens de subsistance et pour leur habitat.

En octobre 2009, cependant, le Service des forêts du Kenya a ordonné l’expulsion de la communauté ogiek de la forêt de Mau dans un délai de 30 jours. Le gouvernement kenyan savait que les Ogieks occupaient des terres dans cette forêt depuis des temps immémoriaux, mais a pourtant refusé de les reconnaître en tant que peuple autochtone nécessitant d’être protégé.

Le mois suivant, le Centre pour le développement des droits des minorités (CEMIRIDE) et Minority Rights Group International (MRGI), deux ONG agissant au nom des Ogieks de la forêt de Mau, ont déposé une plainte auprès de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, qui a ensuite transféré le dossier à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples en 2012.

Après avoir été saisie, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a ordonné au gouvernement kenyan, à titre de mesure conservatoire, de réinstaurer immédiatement les restrictions qu’il avait imposées sur les transactions foncières dans le complexe forestier de Mau, afin d’empêcher que les Ogieks subissent d’autres dommages irréparables pendant que l’affaire était examinée.

Le 26 mai 2017, la Cour est parvenue à une décision dans cette affaire. Elle a jugé que le Kenya avait violé les droits de la communauté ogiek¹. Elle a déclaré que les autorités kenyanes n’auraient pas dû expulser les Ogieks de leurs terres ancestrales contre leur volonté ni les priver de la jouissance des ressources alimentaires qu’elles produisent. Ce faisant, les autorités kenyanes ont violé leur droit à la terre et leur droit à disposer de la richesse et des ressources naturelles de leurs terres.

Les juges ont également reconnu que les expulsions avaient empêché les Ogieks de poursuivre leurs pratiques religieuses, qui sont toutes liées à des lieux de culte situés dans la forêt de Mau, ce qui a eu un impact grave sur leur capacité à perpétuer leurs traditions. En outre, le Kenya n’avait pas reconnu les Ogieks en tant que peuple autochtone, alors qu’il l’avait fait pour d’autres groupes, comme les Masaïs, et leur avait refusé la protection spéciale accordée à ces autres communautés. L’État a donc fait preuve de discrimination envers les Ogieks et les a privés de leur droit d’exercer librement leur religion et leur culture.

Le 23 juin 2022, la Cour a également ordonné au Kenya de verser une indemnisation aux Ogieks pour le préjudice moral et matériel qu’ils ont subi et de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris législatives, pour délimiter et démarquer les terres ancestrales ogieks et leur accorder un titre de propriété collective pour celles-ci. En ce qui concerne les portions de ces terres pour lesquelles des concessions ou des baux ont déjà été accordés, la Cour a ordonné aux autorités kenyanes d’instaurer un dialogue entre les Ogieks et les autres parties concernées, afin de parvenir à un accord pour que ces terres soient rendues aux Ogieks, ou continuent d’être exploitées par le biais d’un contrat de location du terrain ou d’un accord de partage des redevances et des revenus avec les Ogieks. La Cour a également exigé de l’État kenyan la reconnaissance totale des Ogieks en tant que peuple autochtone du Kenya et lui a ordonné de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger leur droit d’être dûment consultés concernant tout projet de développement, de préservation ou d’investissement sur leurs terres.

Après des années de lutte avec les autorités nationales, les Ogieks ont enfin été reconnus en tant que peuple autochtone ayant des droits sur la forêt de Mau et dont les spécificités religieuses et culturelles doivent être protégées. Pour les ONG qui ont engagé l’action, ainsi que pour de nombreux observateurs et observatrices, il s’agit d’une affaire historique, qui apporte une « lueur d’espoir » pour l’avancement des droits des peuples autochtones et des autres minorités au Kenya et au-delà.


[1] Violation des articles 1, 2, 8, 14, 17, 21 et 22 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.