Le Conseil de sécurité ne doit pas lever l’embargo sur les armes au Soudan du Sud tant que certains critères en matière de droits humains ne sont pas remplis

Lever l’embargo instauré par l’ONU sur les armes à destination du Soudan du Sud pourrait avoir de lourdes conséquences pour les droits humains, a averti Amnesty International le 17 mai 2021, à l’approche du vote du Conseil de sécurité prévu le 27 mai pour décider de l’avenir de cet embargo.

Le Conseil de sécurité doit veiller à l’application de différents critères relatifs aux droits humains avant de lever cet embargo. Il s’agit notamment de mettre fin aux crimes relevant du droit international, de réformer le Service national de la sûreté (NSS) et d’établir un Tribunal hybride afin de garantir l’obligation de rendre des comptes.

« L’indépendance obtenue de haute lutte il y a 10 ans n’a hélas pas débouché sur le respect des droits humains. Les forces de sécurité de l’État répriment la liberté d’expression, notamment la liberté des médias, et ces forces de sécurité ainsi que les groupes armés continuent de bafouer le droit international humanitaire, parfois en commettant des crimes de guerre, en toute impunité, a déclaré Sarah Jackson, directrice régionale adjointe pour l’Afrique de l’Est, la Corne de l’Afrique et la région des Grands Lacs.

« Lorsque le Conseil de sécurité va se pencher sur la question de maintenir ou de lever l’embargo sur les armes à destination du Soudan su Sud, il doit au minimum exiger la fin de ces violations et la fin de l’impunité. »

Une situation sécuritaire explosive

Le vote du Conseil de sécurité se déroule alors que le gouvernement sud-soudanais n’assure pas la protection des civils, victimes d’homicides, de viols et de déplacements forcés aux mains de membres des groupes armés et des milices. D’après la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud, les auteurs sont souvent soutenus à la fois par les forces gouvernementales et par les forces de l’opposition, qui leur fournissent illégalement des armes légères et de petit calibre.

La situation en matière de sécurité au Soudan du Sud demeure explosive et la mise en œuvre de l’accord de paix est retardée. Permettre l’afflux de nouvelles armes dans ce contexte en levant l’embargo serait une décision malheureuse, d’autant que l’embargo a été violé pas plus tard que l’an dernier.

Lorsque le Conseil de sécurité va se pencher sur la question de maintenir ou de lever l’embargo sur les armes à destination du Soudan su Sud, il doit au minimum exiger la fin de ces violations et la fin de l’impunité.

Sarah Jackson, directrice régionale adjointe pour l'Afrique de l'Est, la Corne de l'Afrique et la région des Grands Lacs

Amnesty International a recensé des cas d’affrontements qui se poursuivent entre les forces gouvernementales, les anciennes troupes de l’opposition et un groupe rebelle dans la région d’Équatoria, dans le sud du pays, en 2020, se traduisant par des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et des déplacements forcés de civils, ainsi que des destructions de biens civils.

Une surveillance gouvernementale inquiétante

Une récente enquête menée par Amnesty International a révélé que le Service national de la sûreté (NSS) met en œuvre une surveillance inquiétante, sans garanties légales, en violation du droit à la vie privée. Le NSS se sert de ces renseignements pour procéder à des arrestations arbitraires et à des détentions illégales et piétiner les droits à la liberté d’opinion, d’expression et de réunion.

Il est crucial de réformer cette agence de sécurité en vue d’en finir avec ces pratiques abusives. Première étape nécessaire, il faut modifier la Loi de 2014 relative au NSS et le projet d’amendement de cette Loi de 2019, en vue de les rendre conformes à la Constitution sud-soudanaise et aux normes internationales relatives aux droits humains. La Loi confère actuellement au NSS le pouvoir d’arrêter et de détenir des personnes, ainsi que des pouvoirs très étendus, voire illimités, en matière de surveillance, en violation des garanties constitutionnelles, régionales et internationales relatives au respect du droit à la vie privée.

Si les leaders sud-soudanais sont déterminés à mettre un terme aux violations et à favoriser une sécurité durable, ils doivent mettre en place le Tribunal hybride pour le Soudan du Sud et les mécanismes de justice transitionnelle.

Sarah Jackson

Par ailleurs, le Conseil de sécurité doit faire pression sur le gouvernement du Soudan du Sud pour qu’il interdise au NSS de mener des opérations qui n’entrent pas dans le cadre de son mandat constitutionnel de collecte de renseignements, ce qu’il fait en toute impunité. Il faut amener les auteurs présumés de violations des droits humains à rendre des comptes et inclure le NSS dans un rigoureux processus de réforme du secteur de la sécurité.

« Le Service national de la sûreté (NSS) outrepasse largement son mandat lorsqu’il intimide, détient de manière arbitraire et, parfois, fait disparaître ou tue des détracteurs et des opposants au gouvernement. Le Conseil de sécurité ne doit pas alléger les sanctions tant que des réformes clés ne sont pas mises en œuvre », a déclaré Sarah Jackson.

Mettre fin à l’impunité

L’impunité au Soudan du Sud a engendré une culture au sein de laquelle les incendies de villages entiers, les viols de jeunes filles et garçons, l’utilisation de la famine comme méthode de guerre, les homicides de civils et autres crimes de guerre et crimes contre l’humanité demeurent impunis.

Afin de garantir que les auteurs de tels crimes seront déférés à la justice, le Conseil de sécurité doit inscrire la création d’un Tribunal hybride impartial, indépendant et efficace, ainsi que d’autres mécanismes de « justice transitionnelle », comme critère supplémentaire.

Plusieurs hauts responsables du gouvernement n’ont pas tenu les engagements souscrits dans le cadre de l’accord de paix revitalisé concernant la mise sur pied de mécanismes de justice transitionnelle, dont le Tribunal hybride, et l’Union africaine n’œuvre pas avec l’urgence requise. En avril 2019, le gouvernement du Soudan du Sud était disposé à verser des millions de dollars à une société de lobbying basée aux États-Unis pour « retarder et au final bloquer [la] mise sur pied du Tribunal hybride ».

« Si les leaders sud-soudanais sont déterminés à mettre un terme aux violations et à favoriser une sécurité durable, ils doivent mettre en place le Tribunal hybride pour le Soudan du Sud et les mécanismes de justice transitionnelle qu’ils ont validés dans les accords de paix de 2015 et 2018. »

Complément d’information

L’embargo de l’ONU sur les armes à destination du Soudan du Sud expire le 31 mai 2021.

Le 13 juillet 2018, le Conseil de sécurité de l’ONU a instauré un embargo sur les armes à destination du territoire du Soudan du Sud, qui contraint juridiquement tous les États membres de l’ONU à prévenir l’approvisionnement, la vente et le transfert directs ou indirects d’armes et de matériel militaire (munitions, véhicules et pièces détachées) en direction du Soudan du Sud. Cet embargo s’applique aussi à l’appui technique, à la formation et à toute autre forme d’aide, notamment financière, en rapport avec des activités militaires.

En avril 2020, à l’issue d’une enquête menée au Soudan du Sud, Amnesty International a révélé des éléments attestant de violations de l’embargo sur les armes, notamment l’importation récente d’armes légères et de munitions, le recel d’armes et le détournement de véhicules blindés à des fins militaires non approuvées.