Tunisie. Il faut abandonner les charges retenues contre un blogueur, nouvellement élu député

Les poursuites intentées devant un tribunal militaire contre Yassine Ayari, blogueur et député tunisien, pour ses posts sur Facebook sont une grave violation du droit à la liberté d’expression et du droit à un procès équitable, a déclaré Amnesty International.

Le 4 janvier, un procureur militaire a inculpé Yassine Ayari d’« atteinte au moral de l’armée » en raison d’un post publié sur Facebook le 27 février 2017, dans lequel il se moquait de la nomination d’un haut commandant militaire. La première audience du procès s’est déroulée devant un tribunal militaire, sans qu’il n’en soit informé, et a été reportée au mois de mars 2018.

Il est inacceptable que, malgré des réformes importantes à la suite de la Révolution tunisienne il y a sept ans, des citoyens soient encore inculpés de charges fallacieuses en raison d’un post publié sur Facebook et privés de leur droit à la liberté d'expression.

Heba Morayef, directrice du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.

« Il est inacceptable que, malgré des réformes importantes à la suite de la Révolution tunisienne il y a sept ans, des citoyens soient encore inculpés de charges fallacieuses en raison d’un post publié sur Facebook et privés de leur droit à la liberté d’expression, a déclaré Heba Morayef, directrice du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.

« Le fait que Yassine Ayari soit jugé devant un tribunal militaire est encore plus choquant.  Juger des civils devant un tribunal militaire est contraire au droit international relatif aux droits humains et constitue une violation du droit à un procès équitable. »

Yassine Ayari est un militant et blogueur tunisien, qui a été élu au Parlement en décembre 2017 en tant que représentant des Tunisiens résidant en Allemagne.

Dans sa publication sur Facebook, Yassine Ayari se moquait de la nomination par le président Beji Caid Sebssi d’Ismail Fatahali au poste de chef d’état-major de l’armée de terre. Il le qualifiait de « sensible » en référence à une citation dans laquelle il aurait déclaré lors d’un procès en 2014 qu’ « une publication sur Facebook lui avait sapé le moral ».

Seifeddine Makhlouf, l’un des avocats de Yassine Ayari, a déclaré à Amnesty International que les avocats de la défense n’avaient pas pu consulter tous les documents du dossier concernant cette affaire, malgré des demandes répétées. En outre, le tribunal militaire n’a pas notifié l’accusé à la bonne adresse et celui-ci n’a donc pas été informé de la tenue de l’audience.

Yassine Ayari a déclaré à Amnesty International que c’est en se rendant au tribunal militaire que ses avocats ont appris que deux autres plaintes avaient été déposées contre lui presque simultanément. Il a déclaré : « Pour l’instant, mes avocats et moi-même ne savons pas quelles sont ces accusations. Nous n’avons absolument aucune information, alors que mes avocats se sont rendus à plusieurs reprises au tribunal militaire, insistant pour avoir accès aux documents qui me concernent. »

Le fait que Yassine Ayari soit jugé devant un tribunal militaire est encore plus choquant. Juger des civils devant un tribunal militaire est contraire au droit international relatif aux droits humains et constitue une violation du droit à un procès équitable

Heba Morayef, directrice du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International

Yassine Ayari avait déjà été jugé et emprisonné en raison de précédentes critiques en ligne. En novembre 2014, un tribunal militaire l’a condamné par contumace à trois ans d’emprisonnement pour « diffamation de l’armée » parce qu’il avait critiqué sur Facebook le ministre de la Défense Ghazi Jerbi et d’autres nominations au sein du commandement militaire. En janvier 2015, un tribunal militaire a réduit la sentence à un an d’emprisonnement. Il a été remis en liberté après six mois de détention.

Les poursuites intentées pour « diffamation de l’armée » ou de toute autre institution de l’État sont incompatibles avec les obligations internationales de la Tunisie en matière de droits humains et bafouent le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

« Si, comme elles l’affirment, les autorités tunisiennes sont déterminées à respecter et protéger les droits fondamentaux, les législateurs doivent abroger immédiatement les lois qui accordent aux fonctionnaires une protection spéciale contre la critique et érigent en infraction la diffamation des institutions de l’État. La diffamation, de personnalités publiques ou de particuliers, doit être traitée uniquement au civil. »

Le droit international relatif aux droits humains établit sans équivoque que les civils ne doivent pas être jugés par des tribunaux militaires. Bien que le Code de justice militaire tunisien ait été réformé en juillet 2011, il ne limite toujours pas la compétence des tribunaux militaires aux infractions de nature purement militaires commises par des membres de l’armée.

« Les autorités tunisiennes doivent abandonner les charges retenues contre Yassine Ayari, a déclaré Heba Morayef. Le Parlement tunisien doit accorder la priorité à l’abrogation des lois qui restreignent de manière injustifiée la liberté d’expression et harmoniser le cadre juridique tunisien avec les normes et règles internationales, en limitant explicitement la compétence des tribunaux militaires aux infractions à la discipline militaire commises par des membres de l’armée. »

Depuis 2011, au moins 10 civils ont été jugés par des tribunaux militaires dans des affaires liées à la libre expression des opinions, généralement pour avoir critiqué l’armée ou des représentants de l’État. En septembre 2016, un procureur militaire a inculpé Jamel Arfaoui, journaliste indépendant, d’avoir sapé la réputation de l’armée dans un article publié sur un site d’information. En novembre 2014, Sahbi Jouini, dirigeant d’un syndicat de police, a été déclaré coupable par contumace et condamné à deux ans d’emprisonnement pour avoir diffamé l’armée : il l’accusait de manquement dans l’utilisation des renseignements pour lutter contre le terrorisme. En mai 2013, le blogueur Hakim Ghanmi a comparu devant un tribunal militaire pour « atteinte à la réputation de l’armée », parce qu’il avait critiqué le directeur d’un hôpital militaire.