Turquie. Recours scandaleux à une force excessive par la police à Istanbul

Les autorités turques doivent prendre de toute urgence des mesures pour éviter que de nouvelles personnes ne soient blessées et pour faire respecter les droits fondamentaux des manifestants, ainsi que pour assurer la sécurité de la population dans son ensemble, a déclaré Amnesty International.

La section tunisienne d’Amnesty International a laissé ses bureaux, situés près de la place Taksim, ouverts toute la nuit afin que les manifestants qui fuyaient les violences policières puissent s’y réfugier. Actuellement, 20 médecins y soignent les manifestants blessés. D’autres organisations de la société civile ont pris des mesures similaires.

« Il est assez courant que des policiers utilisent une violence excessive en Turquie, mais la répression extrêmement brutale des manifestations totalement pacifiques de la place Taksim est proprement scandaleuse. Elle a largement envenimé la situation dans les rues d’Istanbul, où des dizaines de personnes ont été blessées », a déclaré John Dalhusien, directeur d’Amnesty International pour l’Europe.

Les observateurs d’Amnesty International ont constaté que les canons à eau avaient été utilisés aussi bien contre des manifestants pacifiques que contre ceux qui jetaient des pierres aux policiers.

Les témoignages des manifestants, des avocats et des professionnels de la santé présents sur place, ainsi que les images vidéos, confirment que la police a eu largement recours à cette méthode lors des manifestations qui se poursuivaient dans le centre d’Istanbul.

Selon les témoignages, plus d’un millier de manifestants ont été blessés.

L’usage inapproprié des gaz lacrymogènes a eu des effets particulièrement dévastateurs sur la sécurité des manifestants, provoquant d’innombrables blessures ; des manifestants ont notamment été grièvement blessés à la tête après avoir reçu des bombes lacrymogènes lancées par la police. Sur les lieux des manifestations, le sol est encore jonché de centaines de bombes lacrymogènes vides.

On a vu à plusieurs reprises des policiers viser délibérément des manifestants avec des bombes lacrymogènes, parfois à bout portant.

Des gaz lacrymogènes ont aussi été utilisés dans des lieux confinés, ce qui est particulièrement dangereux pour la santé. Dans certains cas, ils ont été tirés directement dans des habitations et des commerces qui avaient ouvert leurs portes aux manifestants qui fuyaient. Des témoignages indiquent également que des gaz lacrymogènes ont été tirés près de l’entrée des urgences de l’hôpital Taksim, situé à proximité du lieu de nombreuses manifestations.

Amnesty International a reçu des informations indiquant que certains des manifestants arrêtés dans la nuit du 31 mai au 1er juin seraient restés enfermés parfois jusqu’à 12 heures d’affilée dans des véhicules de police surchauffés et surpeuplés, sans nourriture, sans eau et sans toilettes. L’organisation a reçu 49 plaintes de personnes affirmant avoir été maltraitées par la police en garde à vue.

On lui a également rapporté que des manifestants blessés qui se trouvaient en détention ou dans la rue avaient été privés des soins médicaux nécessaires.

Des avocats ont indiqué à Amnesty International que des manifestants blessés avaient été arrêtés par la police et emmenés au poste alors que leur état nécessitait une hospitalisation. Une fois en garde à vue, ils n’ont pas pu bénéficier des soins nécessaires.

« Il est évident que le recours à la force par la police est motivé non pas par la nécessité de réagir à des violences – qui ont été très peu nombreuses de la part des manifestants – mais par une volonté d’empêcher et de décourager les manifestations de toute sorte », a dénoncé John Dalhusien.

La Chambre médicale d’Istanbul a tenté d’installer des dispensaires de campagne pour soigner les manifestants blessés dans la rue, mais elle en a été empêchée par l’utilisation constante de gaz lacrymogènes par la police dans les zones où se tenaient les manifestations. Amnesty International a aussi appris que les mesures de sécurité mises en place par la police avaient empêché de nombreux blessés d’accéder aux urgences de l’hôpital Taksim.

Face aux besoins de soins, des cliniques privées situées dans les environs ont ouvert leurs portes aux manifestants blessés, et des médecins ont été appelés en renfort.

Malgré la crise grandissante, les autorités turques ne semblent pas témoigner d’une intention de changer de mode d’action ni de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des manifestants et de la population en général.

Amnesty International a lancé un appel urgent à ses militants partout dans le monde pour qu’ils agissent à propos de la Turquie. Elle appelle le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, à intervenir immédiatement pour mettre un terme aux violences policières. Les mauvais traitements lors des arrestations et en garde à vue doivent cesser, et tous ceux qui en ont besoin doivent pouvoir bénéficier de soins médicaux. Une enquête indépendante et efficace doit être menée sur ces violences, et le gouvernement doit de toute urgence cesser de jeter de l’huile sur le feu.

« Les autorités turques doivent autoriser les manifestations pacifiques, revoir de toute urgence les méthodes de la police et enquêter sur les violences commises afin que les responsables aient à rendre des comptes », a conclu John Dalhusien.