Syrie. Des soignants torturés et tués en détention sur fond de répression à Alep

La découverte des corps calcinés et mutilés de trois jeunes travailleurs médicaux, une semaine après leur arrestation à Alep, est une nouvelle preuve du mépris flagrant des forces gouvernementales syriennes pour le caractère sacré du travail de secouriste, a déclaré Amnesty International ce mardi 26 juin. Ces trois hommes étaient tous étudiants à l’université d’Alep, Basel Aslan et Musab Barad en quatrième année de médecine et Hazem Batikh, secouriste, en deuxième année de littérature anglaise. Ils faisaient partie d’une équipe de médecins, d’infirmiers et de secouristes ayant apporté les premiers secours dans des centres de soins de fortune. Ceux-ci étaient mis en place pour tenter de sauver la vie de manifestants qui avaient été blessés par balles par les forces de sécurité et qui ne pouvaient donc pas se rendre dans des hôpitaux publics de crainte d’être arrêtés et torturés, voire tués. Depuis leur arrestation à Alep, le 17 juin, les trois étudiants étaient détenus par les services du renseignement de l’armée de l’air. « Le meurtre odieux de ces jeunes soignants, qui prenaient des risques conséquents pour sauver et soigner des manifestants blessés, est une nouvelle preuve que les forces gouvernementales syriennes sont prêts à commettre des crimes indicibles pour faire taire l’opposition, a déclaré Donatella Rovera, la principale conseillère d’Amnesty International en matière de réactions aux crises, récemment de retour après un séjour de plusieurs semaines en Syrie. « À mesure qu’augmente le nombre de victimes des troubles actuels, le gouvernement du président Bachar el Assad intensifie sa chasse aux blessés et à ceux qui leurs apportent des soins d’urgence. « Ces actes s’inscrivent dans une politique de plus en plus enracinée de crimes contre l’humanité menée en toute impunité par les forces gouvernementales syriennes. » Les corps calcinés des trois étudiants ont été retrouvés au petit matin du 24 juin à l’intérieur d’une voiture carbonisée dans le secteur de Neirab, à la périphérie nord-est d’Alep. Les membres du personnel médical qui ont vu les corps à la morgue ont dit à Amnesty International que Basel Aslan avait une blessure par balle à la tête et les mains attachées dans le dos. Il avait des fractures à une jambe et à un bras, il lui manquait plusieurs dents et, sur les deux jambes, l’os était à nu. Des ongles avaient aussi été arrachés. Les deux autres corps avaient des brûlures plus profondes, ainsi que d’autres blessures. Des représentants d’Amnesty International ont vu des photos des corps qui confirment ces descriptions. Les cartes d’identité et d’étudiant des trois hommes ont été retrouvées intactes à côté d’eux, ce qui laisse entendre qu’elles y ont été déposées après qu’on ait mis le feu aux corps. Un quatrième cadavre calciné retrouvé au même endroit n’a pas encore été identifié. Peu après l’arrestation des trois étudiants, l’un des parents a appelé sur le portable de son fils. Un homme qui n’a pas été identifié aurait répondu en disant : « Vous ne savez pas éduquer votre fils. On va lui montrer les bonnes manières. » Alors qu’ils étaient détenus par les services secrets de l’armée de l’air, leurs amis ont tenté en vain de les faire libérer. Des responsables de ces services qui, d’après certaines informations, auraient par le passé relâché des détenus en échange de pots-de-vin, ont dit aux amis de les « oublier ». Opérations de répression à Alep Les forces de sécurité ont systématiquement réprimé les manifestations de protestation, même pacifiques, à Alep, en tirant à balles réelles sur la foule et en arrêtant et torturant des personnes connues pour être des protestataires, ou supposées tels, ainsi que leurs sympathisants. À mesure que les manifestations se multipliaient et s’amplifiaient à Alep, ces dernières semaines, la répression des forces de sécurité est devenue de plus en plus implacable et étendue. Vers la fin mai, pendant plusieurs jours consécutifs à Alep, une personne représentant Amnesty International a vu des membres des forces de sécurité tirer aveuglément à balles réelles sur des manifestants pacifiques, blessant et tuant des manifestants et de simples spectateurs, dont plusieurs enfants. Le personnel médical particulièrement visé Dès le début des manifestations, c’est-à-dire dès février 2011, les forces gouvernementales syriennes s’en sont prises aux médecins et autres soignants, qu’elles soupçonnaient de fournir des soins d’urgence aux manifestants et passants qui avaient été blessés lors d’attaques délibérées ou aveugles. Amnesty International a rassemblé des informations sur ces attaques dans un rapport publié en octobre dernier. Les forces gouvernementales et des milices ont aussi systématiquement détruit et incendié des centres de soins improvisés et des dispensaires dans les villes et villages qu’elles attaquaient. « Le personnel médical et les secouristes qui travaillent au milieu de l’agitation et des conflits prennent des risques énormes pour apporter les premiers secours aux blessés et pour les évacuer vers des lieux sûrs. En Syrie, ces risques sont amplifiés par une politique gouvernementale qui consiste à viser les soignants et à leur infliger des actes de représailles, a ajouté Donatella Rovera. « Les responsables de ces violations flagrantes des droits humains, haut placés dans le gouvernement, doivent être prévenus qu’ils ne pourront pas rester éternellement impunis pour leurs crimes. » Dès avril 2011, Amnesty International avait déclaré que des crimes contre l’humanité étaient commis dans le cadre de la répression gouvernementale contre les manifestants, qui avait commencé en mars 2011. L’organisation a demandé à de nombreuses reprises au Conseil de sécurité des Nations unies de porter devant la Cour pénale internationale (CPI) la dégradation de la sécurité en Syrie, et elle a clairement indiqué que les crimes perpétrés relevaient de la compétence universelle. « La Russie doit cesser de bloquer toute action décisive du Conseil de sécurité visant à faire cesser les souffrances en Syrie, a déclaré Donatella Rovera. « Mais surtout, il faut qu’elle soutienne la saisine de la CPI concernant la situation en Syrie. »