France. La proposition de loi sur la négation du génocide menace la liberté d’expression

Adoptée par le Sénat français le 23 janvier 2012, une proposition de loi visant à pénaliser la contestation publique d’événements désignés dans la législation française comme actes de « génocide » porterait atteinte à la liberté d’expression, a déclaré Amnesty International ce mardi 24 janvier. La France a déclaré officiellement par une loi de 2001 que les massacres et les déplacements forcés de grande ampleur perpétrés contre les Arméniens dans l’Empire ottoman en 1915 constituaient un génocide. La proposition de loi récemment votée prévoit des sanctions allant jusqu’à un an d’emprisonnement et/ou une amende de 45 000 euros pour les personnes reconnues coupables d’avoir « contesté ou minimisé de façon outrancière » des événements définis dans le Code pénal français comme des actes de génocide et reconnus comme tels par la loi française. « Si elles entrent en application, ces dispositions, contraires aux obligations internationales de la France en matière de respect de la liberté d’expression, pèseront sur le débat public de façon très négative, a déclaré Nicola Duckworth, directrice du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International. « Les citoyens doivent être libres d’exprimer leurs opinions sur cette question, en France, en Turquie et ailleurs. » Les autorités turques ont toujours nié que les événements de 1915 constituaient un acte de génocide. En Turquie, des personnes contestant la version officielle des événements ont été poursuivies au pénal, en violation de leur droit à la liberté d’expression. La Cour européenne des droits de l’homme a estimé dans plusieurs décisions que la liberté d’expression valait non seulement pour les idées inoffensives, mais aussi « pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population ». Le droit international relatif aux droits humains prévoit que la liberté d’expression peut faire l’objet de restrictions lorsque nécessaire, de manière proportionnée et pour certains buts spécifiques, notamment le respect des droits ou de la réputation d’autrui et la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public. Aucun de ces éléments n’est ici en jeu, estime Amnesty International. La loi érigerait en infraction pénale la libre expression qui serait considérée comme contestant ou minimisant « de façon outrancière » des événements historiques ou la description de ceux-ci. Le droit international relatif aux droits humains fait aussi obligation aux États d’interdire « tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence ». Les autorités françaises font valoir que la loi est une transposition d’une décision-cadre de l’Union européenne sur la lutte contre les discours racistes ou xénophobes risquant « d’inciter à la violence ou à la haine ». Toutefois, le texte ne comporte aucune référence à l’expression de propos incitant à la haine ou à la violence. En outre, la législation française comporte déjà par ailleurs des dispositions interdisant l’incitation à la haine ou à la violence dans un but raciste ou xénophobe. « La véritable question ici n’est pas de savoir si les massacres et les déplacements forcés de grande ampleur perpétrés contre les Arméniens en 1915 constituent un génocide. Le problème en jeu est celui du choix des autorités françaises de répondre à ce débat en tentant de restreindre la liberté d’expression, a poursuivi Nicola Duckworth. « Les autorités françaises ne respectent pas leurs obligations internationales en matière de droits humains », a-t-elle conclu.