Amnesty International exhorte le Kirghizistan à veiller à ce que les victimes de la violence obtiennent vérité et justice

Les autorités kirghizes manquent à leur obligation consistant à rendre justice aux milliers de victimes de violations des droits humains commises au cours des violents affrontements ethniques qui ont déchiré le sud du Kirghizistan pendant quatre jours en juin 2010, déclare Amnesty International dans un rapport publié jeudi 16 décembre. Ce document, intitulé Partial Truth and Selective Justice, passe en revue les initiatives visant à faire la lumière sur ce qui s’est passé ces quatre jours ; le sud du Kirghizistan a ainsi été le théâtre d’incendies criminels de grande ampleur, d’actes de pillage et d’agressions violentes, dont des homicides et des violences sexuelles, touchant de manière disproportionnée des zones où habitent surtout des personnes issues de la minorité ouzbèke. Des centaines de personnes ont perdu la vie et des centaines de milliers ont dû fuir leur domicile. Le rapport se penche également sur les efforts déployés afin d’établir les responsabilités des différentes parties dans les atteintes aux droits humains perpétrées. « Les préjugés ethniques manifestes des enquêteurs et l’incapacité du système de justice pénale à mener l’enquête sur ces violations et à engager des poursuites de manière impartiale et équitable ne font que renforcer le sentiment d’impunité chez les auteurs et l’injustice pour les victimes », a déclaré Nicola Duckworth, directrice du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International. « Si les autorités ne redressent pas la barre rapidement, elles vont laisser passer leur chance de faire triompher la justice. » Les tentatives visant à rétablir l’ordre dans les régions touchées par la violence, et à enquêter sur les infractions commises à ce moment-là, ont été mises à mal par des préjugés ethniques manifestes et des violations persistantes des droits humains. Les informations faisant état de détentions arbitraires, d’actes de torture et de mauvais traitements, ainsi que de procès iniques sont légion. Les perquisitions effectuées par les forces de sécurité à la suite de ces violences, ayant ostensiblement pour but de confisquer des armes et d’arrêter des suspects, ont donné lieu à un recours excessif à la force. Des centaines d’hommes, des Ouzbeks pour la plupart, ont fait l’objet d’arrestations arbitraires et auraient été frappés lors de descentes de police, puis en détention. Au 10 novembre 2010, les chiffres officiels indiquaient que 271 personnes avaient été arrêtées en relation avec les violences de juin. L’écrasante majorité des personnes qui comparaissent pour leur implication présumée dans les événements de juin sont également issues de la minorité ouzbèke. Un grand nombre de ces procès sont entachés de graves irrégularités ; des avocats sont harcelés hors des tribunaux, et certains juges refusent d’appeler à la barre des témoins de la défense ou de reconnaître que certains « aveux » ont pu être obtenus sous la torture. Des militants et des avocats spécialisés dans la défense des droits humains sont régulièrement attaqués par des groupes d’hommes et de femmes kirghizes, menacés de violences et agressés verbalement pour avoir défendu les droits de détenus et de victimes ouzbeks, ainsi que de leur famille. Faute d’enquêtes indépendantes et impartiales sur ces violences, des versions contradictoires des événements ont émergé. « Un compte-rendu objectif sur ce qui s’est passé est requis de toute urgence afin de corriger les déformations et de dissiper les mythes nés autour des violences de juin », a ajouté Nicola Duckworth. « À ce jour, cependant, des récits contradictoires, porteurs de préjugés ethniques sur les origines, les auteurs et les victimes de la violence, se répandent de manière quasi incontrôlée. Certaines questions pressantes restent en suspens : il faut ainsi déterminer si les forces de sécurité ont pris part aux violences et si les attaques ayant visé des civils constituent un crime contre l’humanité. » Une commission d’enquête nationale a été mise sur pied en juillet 2010, mais n’a pas encore publié de rapport sur ces violences. Cette commission a été systématiquement fragilisée par l’absence d’un mandat clair, la démission de plusieurs membres indépendants de premier plan et son apparente incapacité à mener des enquêtes rigoureuses. Il a souvent été répété à Amnesty International que le fait de n’avoir pas mené d’enquête indépendante, rigoureuse et impartiale sur les atteintes aux droits humains commises dans le cadre de violences ethniques dans le sud en 1990, et donc de n’avoir pas obligé les auteurs présumés à rendre des comptes, a créé un terrain favorable à de nouvelles explosions de violence. « Vingt ans plus tard, les autorités kirghizes risquent de répéter et d’aggraver ces erreurs. Selon les premières indications, il est à craindre que les enquêtes et informations judiciaires nationales ne débouchent, au mieux, que sur quelques demi-vérités et une justice sélective », a déploré Nicola Duckworth. « Compte tenu du climat actuel, fait de peur, de défiance, de rumeurs, de polarisation ethnique et d’instabilité politique persistante, l’enquête internationale est désormais notre meilleur espoir de voir s’ouvrir des investigations exhaustives, impartiales et crédibles. Il est crucial qu’elle favorise cela. »