Cambodge. Après la condamnation d’un Khmer rouge, les poursuites doivent continuer

Après la condamnation historique de ce lundi 26 juillet 2010, prononcée contre un tristement célèbre directeur de camp de prisonniers pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, Amnesty International prie le tribunal créé spécialement à cette fin de redoubler d’efforts pour poursuivre les criminels de l’époque des Khmers rouges. « Le fait que l’on soit parvenu à une condamnation dans l’affaire 001, la première à être entendue par les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, est à inscrire dans les annales de l’histoire, et pourtant ce n’est qu’un premier pas vers la justice pour les près de deux millions de personnes qui sont mortes, victimes des crimes de masse commis sous le régime des Khmers rouges », a déclaré Donna Guest, directrice adjointe du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International. Ce 26 juillet 2010, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, une instance spéciale établie conjointement par le gouvernement cambodgien et la communauté internationale, a reconnu Kaing Guek Eav, alias Douch, coupable de crimes contre l’humanité et d’infractions graves aux Conventions de Genève pour le rôle qu’il a joué dans des exécutions en masse, pour torture et pour d’autres crimes. Condamné à 35 années d’emprisonnement, il devra en purger 19. Sur les 14 000 personnes qui, selon les informations disponibles, ont été incarcérées dans la prison de sécurité S-21 à Phnom Penh (également appelée Tuol Sleng) dirigée par Douch de 1975 à 1979, seules une douzaine ont survécu. Les autres ont été torturées à mort ou exécutées. Amnesty International est préoccupée par le fait que, en dehors de cette affaire, seuls quelques suspects identifiés comme tels devront éventuellement comparaître devant les Chambres extraordinaires. « Le mandat des Chambres extraordinaires, à savoir poursuivre les personnes ayant la responsabilité la plus lourde dans les crimes graves commis sous le régime des Khmers rouges, est loin d’être rempli, a ajouté Donna Guest. Le fait que cinq à dix personnes seulement aient été identifiées comme ayant pu avoir des responsabilités dans les atrocités massives perpétrées ne suffit pas pour rendre la justice que les Cambodgiens méritent, et à laquelle ils ont droit en vertu du droit international. » Plus tard cette année il sera décidé s’il y a lieu ou non de prononcer une mise en accusation contre cinq personnes en cause dans la deuxième affaire, l’affaire 002, dans laquelle apparaît également le nom de Douch. Les quatre autres sont d’anciens hommes politiques khmers rouges : le chef de l’État Khieu Samphan, le ministre des Affaires étrangères Ieng Sary, le ministre des Affaires sociales Ieng Thirith et le responsable du Parti communiste du Kampuchea, Nuon Chea, également connu sous le nom « Frère n° 2 ». Les dossiers 003 et 004 ont été enregistrés par le parquet en septembre 2009 malgré une forte opposition du co-procureur cambodgien. Cinq suspects y sont nommés dans 40 affaires de meurtre, torture, détention illégale, travail forcé et persécution. Lors de leur enregistrement, le procureur international par intérim avait déclaré que le parquet ne traiterait aucun autre dossier. « La progression dans les dossiers 003 et 004 pourrait être freinée par une interférence politique de responsables cambodgiens ouvertement opposés à toute nouvelle poursuite en justice, et par des différends entre le juge d’instruction cambodgien et son homologue international », a souligné Donna Guest. Amnesty International demande aux co-juges d’instruction d’achever leurs travaux dans les affaires ouvertes et aux co-procureurs de revoir leur stratégie dans son ensemble en vue de remplir intégralement leur mandat. Amnesty International prie également le gouvernement cambodgien et les Nations unies de faire en sorte que tous les efforts déjà consacrés aux Chambres extraordinaires aboutissent à un résultat durable et viennent renforcer le système judiciaire national et l’état de droit. Contexte Le mandat des Chambres extraordinaires, tel qu’établi dans l’accord conclu entre les Nations unies et le gouvernement du Cambodge et dans la loi relative à leur création, est de « juger les hauts dirigeants du Kampuchéa démocratique et ceux qui sont les plus hautement responsables des crimes accomplis [durant l’époque des Khmers rouges] en violation grave des lois pénales du Cambodge, des lois internationales humanitaires et des coutumes internationales, ainsi que des conventions internationales que le Cambodge reconnaît ».Vingt-deux parties civiles, dont d’anciens détenus et des proches de personnes qui ont été victimes des atrocités commises dans la tristement célèbre prison de sécurité S-21, ont témoigné au procès de Douch. D’après les rapports des Chambres extraordinaires, plus de 31 000 personnes se sont rendues sur place pour assister aux audiences. Douch a été condamné à une peine de 35 ans d’emprisonnement, réduite de cinq ans parce que le tribunal a estimé qu’il avait été illégalement détenu par le tribunal militaire du Cambodge, et de 11 ans supplémentaires en raison du temps déjà passé en prison. Le système judiciaire cambodgien souffre toujours de nombreuses lacunes et n’est pas en mesure de rendre la justice pour une grande partie de la population. La non-primauté du droit perpétue les atteintes graves aux droits humains, parmi lesquelles figurent les violences (notamment sexuelles) contre les femmes et les expulsions forcées – dont sont victimes des milliers de personnes qui vivent dans la pauvreté à travers le pays.