Rwanda. La dirigeante d’un parti d’opposition doit bénéficier d’un procès équitable

Amnesty International demande au gouvernement rwandais de veiller à ce que Victoire Ingabire, dirigeante d’un parti d’opposition notamment accusée d’idéologie du génocide et de collaboration avec un groupe « terroriste », soit jugée dans le cadre d’un procès équitable dans les meilleurs délais et ne soit pas punie pour avoir fait l’exercice légitime de sa liberté d’expression. Victoire Ingabire, présidente des Forces démocratiques unifiées (FDU-Inkingi), qui prévoit de se présenter à l’élection présidentielle d’août 2010, a été arrêtée le 21 avril 2010 après avoir été convoquée la veille par la direction de la police criminelle à Kigali, la capitale du Rwanda. Il s’agissait de sa sixième convocation par la police cette année.« Nous avons recensé ces derniers mois plusieurs cas dans lesquels des groupes d’opposition ont été victimes d’intimidation et de harcèlement au Rwanda », a déclaré Erwin van der Borght, directeur du programme Afrique d’Amnesty International.« Cette fois-ci, une possible candidate à la présidentielle ayant été arrêtée à quelques mois de l’élection, nous engageons le gouvernement à démontrer qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle affaire de ce type. »Victoire Ingabire a été inculpée d’« idéologie du génocide », de « minimisation du génocide », de « divisionnisme » et de « collaboration avec une organisation terroriste », les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Elle a comparu devant le tribunal de grande instance de Gasabo le 21 avril et a plaidé non coupable pour l’ensemble de ces chefs d’accusation. Le 22 avril, le tribunal a décidé que Victoire Ingabire pouvait être remise en liberté à condition qu’elle ne quitte pas la capitale, Kigali, tant que la procédure contre elle se poursuit.Les autorités rwandaises l’ont déjà empêchée de se rendre en Europe en mars 2010 en raison d’enquêtes de police alors en cours.Les accusations d’« idéologie du génocide » et de « divisionnisme » sont en relation avec des discours que Victoire Ingabire a prononcés à son retour au Rwanda en janvier 2010 et en Europe, où elle a passé 16 ans en exil aux Pays-Bas et fondé les FDU-Inkingi. Ce parti n’est toujours pas parvenu à se faire enregistrer au Rwanda. Des représentants du gouvernement ont affirmé ces derniers mois que certains propos tenus par Victoire Ingabire devant le Mémorial du génocide de Gisozi le 16 janvier 2010 s’apparentaient à une « négation du génocide » et relevaient du « divisionnisme » – ou promotion de la division ethnique. Lors de son discours, elle avait demandé que les crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés contre des Hutus par le Front patriotique rwandais (FPR) donnent lieu à l’ouverture de poursuites, et que les victimes hutues tuées pendant la guerre soient mentionnées lors des commémorations.« Il incombe au ministère public d’établir s’il existe des éléments crédibles et solides justifiant les accusations lancées contre Victoire Ingabire, a ajouté Erwin van der Borght. Le parquet devra ainsi faire la preuve que ce qu’elle a dit constitue réellement un appel à la haine et qu’elle n’est pas sanctionnée pour avoir exprimé une position en désaccord avec celle du gouvernement. »Une loi rwandaise promulguée en octobre 2008 érige en infraction « l’idéologie du génocide » dans des termes vagues et ambigus restreignant indûment la liberté d’expression. Le gouvernement rwandais reconnaît semble-t-il que certains aspects de la loi sur l’idéologie du génocide peuvent poser problème et, d’après l’Agence rwandaise d’information, le cabinet se livre actuellement à une révision de ce texte.Victoire Ingabire est également accusée de collaboration avec un groupe « terroriste », les FDLR. Les FDLR, un groupe armé en activité dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), sont composées en grande partie de Hutus rwandais. Ce groupe compte dans ses rangs d’anciens éléments de l’Interahamwe et d’anciens soldats rwandais ayant pris part au génocide rwandais de 1994, ainsi que des combattants non impliqués dans le génocide, dont beaucoup sont trop jeunes pour avoir joué un rôle dans celui-ci.Victoire Ingabire a assisté à des réunions de « dialogue inter-rwandais » au côté de participants soutenant les FDLR alors qu’elle était en exil aux Pays-Bas, mais affirme que ces discussions rassemblaient des personnes issues d’ethnies et d’horizons politiques différents, dont des représentants du FPR, le parti au pouvoir au Rwanda.Lors d’interrogatoires de police menés ces dernières semaines, elle aurait été accusée d’avoir rencontré des responsables des FDLR en RDC et d’avoir l’intention de former sa propre milice. Elle a systématiquement nié ces allégations.« Le gouvernement doit démontrer que Victoire Ingabire elle-même a commis des infractions dûment reconnues par la loi et que nous n’avons pas affaire ici à un cas de culpabilité par association », a conclu Erwin van der Borght. Amnesty International exhorte le gouvernement rwandais à faire le nécessaire pour que Victoire Ingabire soit jugée dans les meilleurs délais, conformément aux normes internationales en matière d’équité des procès.Complément d’information Amnesty International condamne fermement les manœuvres de harcèlement et d’intimidation ayant visé des groupes d’opposition tels que le Parti démocrate vert et le Parti social idéal en février 2010.Joseph Ntawangundi, un membre des FDU, a été sauvagement battu dans un bâtiment gouvernemental le 3 février 2010, alors que Victoire Ingabire et lui-même étaient venus sur place retirer les documents requis pour l’enregistrement de leur formation politique.Joseph Ntawangundi a été arrêté en février 2010 à la suite de révélations selon lesquelles il avait été reconnu coupable de génocide par contumace par un tribunal traditionnel établi pour juger des affaires relevant du génocide de 1994. S’il a dans un premier temps soutenu qu’il se trouvait hors du Rwanda à l’époque du génocide et qu’il travaillait alors pour un syndicat international, l’organisation en question a certifié que c’était inexact. Il a ensuite reconnu son implication dans le génocide, avant d’être condamné en mars 2010 à 17 années de prison. Un rapport remis en novembre 2009 par un groupe d’experts des Nations unies sur la RDC a indiqué que des membres de la diaspora rwandaise appartenant aux FDU-Inkingi avaient eu des contacts téléphoniques avec des dirigeants militaires des FDLR, mais n’ont pas précisé la teneur de ceux-ci ni laissé entendre que Victoire Ingabire elle-même avait maintenu de tels contacts. Ces derniers mois, le gouvernement a pris un certain nombre de mesures contre les critiques et les opposants, notamment sous la forme de restrictions à la liberté d’expression et d’association. Les services rwandais de l’immigration ont rejeté le 23 avril une demande de renouvellement de visa de travail déposée par la chercheuse officiant au Rwanda pour le compte de l’organisation internationale de défense des droits humains Human Rights Watch. Le 13 avril, le Haut conseil des médias (HCM) a suspendu Umuseso et Umuvigizi, deux journaux en langue kinyarwanda connus pour leurs positions critiques à l’égard du gouvernement. Leurs activités ne pourront reprendre qu’après les élections. Le HCM a affirmé qu’Umuseso avait insulté le président, et semé le trouble au sein de l’armée avec des propos susceptibles d’inciter à l’insubordination.L’élection présidentielle de 2003 et les élections législatives de 2008 organisées au Rwanda ont été entachées de menaces ; les activités de l’opposition s’en sont trouvées fortement restreintes.