Rétrospective 2018. Les droits humains au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

Résumé régional

La mort de manifestants palestiniens tués par les forces israéliennes à Gaza et l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans un consulat d’Arabie saoudite ont illustré de façon criante l’absence d’obligation de rendre des comptes des États du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord qui ont eu recours à la violence létale et à d’autres formes de violence pour réprimer la dissidence.

La répression à l’encontre des acteurs de la société civile et des opposants politiques s’est fortement accrue en Arabie saoudite, en Égypte et en Iran. Au total, des dizaines de femmes défenseures des droits humains ont été prises pour cible pour avoir défendu les droits des femmes ou protesté contre les violences faites aux femmes ou le harcèlement sexuel. Dans toute la région, les autorités ont eu recours à la détention arbitraire, à une force excessive contre les manifestants et à des mesures administratives pour limiter les activités de la société civile. Malgré la répression, l’année 2018, comme 2017, a connu quelques évolutions positives sur les plans législatif et institutionnel en matière de droits des femmes et de lutte contre la violence à leur égard. Au Liban et en Tunisie, des avancées ont fait naître l’espoir ténu d’une amorce de changement en ce qui concerne la criminalisation des relations sexuelles entre personnes de même sexe, qui reste généralisée dans la région. Toutefois, dans ces pays et ailleurs, des personnes ont été arrêtées et poursuivies en raison de leur orientation sexuelle, réelle ou présumée. Les hostilités armées ont baissé d’intensité en Irak et en Syrie, ce qui a entraîné une réduction du nombre de morts parmi les civils. Toutefois, beaucoup d’entre eux continuaient de souffrir des conséquences des graves atteintes aux droits humains, dont des crimes de guerre, perpétrées par toutes les parties aux conflits en Libye, en Syrie et au Yémen en particulier, ainsi que de la situation humanitaire catastrophique créée ou exacerbée par ces conflits. D’importants pas en avant ont été réalisés au Liban et en Tunisie pour remédier aux violations commises par le passé. Des minorités ethniques et religieuses ont été persécutées par les autorités gouvernementales et par des groupes armés dans des pays comme l’Algérie, l’Arabie saoudite, l’Égypte, l’Irak et l’Iran.

Quelques progrès ont été accomplis sur le plan législatif aux Émirats arabes unis, au Maroc et au Qatar en ce qui concerne les travailleuses et travailleurs migrants et/ou domestiques. Toutefois, dans ces pays comme dans d’autres, ces personnes étaient toujours victimes d’exploitation et d’atteintes aux droits humains. Par ailleurs, les personnes migrantes, réfugiées ou demandeuses d’asile originaires d’Afrique subsaharienne ont fait l’objet d’une campagne de répression généralisée dans les pays du Maghreb. Des populations marginalisées d’Irak, d’Iran et de Tunisie ont subi des restrictions de leur accès à l’eau pour les usages alimentaires et domestiques, ce qui a suscité des accusations de discrimination et déclenché des manifestations. Dans toute la région, des mesures gouvernementales prises au nom de la sécurité ont donné lieu à des détentions arbitraires, des procès inéquitables, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, des déchéances de nationalité et des mesures de contrôle aux frontières, ainsi qu’au recours, en Égypte, à des armes prohibées et à des exécutions extrajudiciaires. De légers progrès ont été constatés en ce qui concerne la peine de mort, mais de nombreuses exécutions ont eu lieu cette année encore en Arabie saoudite, en Égypte, en Irak et en Iran, souvent après des condamnations prononcées à l’issue de procès iniques. La crise politique qui a éclaté dans les pays du Golfe en 2017 a continué d’avoir des répercussions sur les droits fondamentaux de milliers de personnes de la région, séparant des familles et empêchant des enfants et des jeunes de poursuivre leurs études.

Le rapport complet en PDF

TÉLÉCHARGEZ LE RAPPORT COMPLET (EN ANGLAIS OU EN ARABE) OU LE RÉSUMÉ RÉGIONAL (EN FRANÇAIS) EN PDF

RÉPRESSION DE LA DISSIDENCE

VIOLENCE LÉTALE ET AUTRES FORMES DE VIOLENCE

Deux affaires très médiatisées – la mort de dizaines de manifestants palestiniens tués par les forces israéliennes à Gaza et l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, en Turquie, le 2 octobre – ont illustré de façon criante l’absence d’obligation de rendre des comptes des États du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord qui ont eu recours à la violence létale et à d’autres formes de violence pour réprimer la dissidence. À Gaza, selon une organisation locale de défense des droits humains, au moins 180 personnes, dont 35 enfants, ont été tuées dans les manifestations qui ont débuté en mars pour revendiquer le droit des réfugiés au retour sur les terres dont ils avaient été expulsés il y a 70 ans et réclamer la fin du blocus de la bande de Gaza. Les deux affaires ont suscité une grande attention de la part de la communauté internationale et donné lieu à des pressions sur les États concernés pour qu’ils rendent compte de leurs actes, mais aucune mesure concrète n’a été prise en ce sens. Concernant Gaza, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a mis en place une commission d’enquête sur les homicides, dont beaucoup étaient illégaux, et sur les autres atteintes aux droits humains, mais les autorités israéliennes ont, comme à leur habitude, refusé de coopérer. Quant à une éventuelle enquête interne, les exemples du passé montrent qu’elle serait entachée d’irrégularités et ne permettrait pas de rendre justice. Dans le cas de Jamal Khashoggi, des haut responsables des gouvernements occidentaux alliés de l’Arabie saoudite ont émis des doutes sur la version officielle des faits, qui n’a cessé d’évoluer, et ont souligné dans des déclarations l’importance de l’obligation de rendre des comptes. Toutefois, ils n’ont pas donné suite aux appels de la société civile demandant l’ouverture d’une enquête des Nations unies. Or, compte tenu des allégations faisant état de l’implication du prince héritier du royaume dans cet assassinat et du fait que l’appareil judiciaire saoudien est inféodé au pouvoir, une telle enquête aurait été le seul moyen de révéler la vérité sur cette affaire et d’en désigner les responsables.

En Syrie, le gouvernement a mis à jour les registres d’état civil, révélant la mort de certaines personnes qui avaient été soumises à une disparition forcée dans les années précédentes, mais il n’a pas rendu les dépouilles aux familles. On restait sans nouvelles de plusieurs dizaines de milliers d’hommes et de femmes, dont des militants non violents, des opposants pacifiques au gouvernement, des travailleurs humanitaires, des avocats et des journalistes.

Dans d’autres pays de la région, les autorités ont eu recours à une force excessive pour réprimer des manifestations. En Iran, où des dizaines de milliers d’hommes et de femmes sont descendus dans la rue durant l’année pour protester contre la pauvreté, la corruption, la répression et l’autoritarisme, les forces de sécurité ont frappé des manifestants non armés, tiré à balles réelles et utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau, faisant des morts et des blessés. En Irak, les forces de l’ordre ont tué plus d’une dizaine de manifestants et en ont blessé des centaines d’autres à Bassora lorsqu’elles ont tiré à balles réelles et utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser plusieurs manifestations en faveur de l’emploi et de meilleurs services publics. En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, les forces de sécurité palestiniennes ont frappé des manifestants qui protestaient pacifiquement contre la politique des autorités respectives de ces territoires.

DÉTENTION ARBITRAIRE

La répression à l’encontre des acteurs de la société civile et des opposants politiques s’est fortement accrue dans trois des pays les plus puissants de la région : l’Arabie saoudite, l’Égypte et l’Iran. La détention arbitraire de militants et de détracteurs du gouvernement a eu un effet paralysant sur la liberté d’expression dans toute la région. Les autorités se sont souvent appuyées sur des lois relatives à la lutte contre le terrorisme et à la sécurité, dont des lois sur la cybercriminalité, pour justifier des arrestations et engager des poursuites judiciaires.

En Iran, les autorités ont arrêté arbitrairement des milliers de personnes. Plusieurs centaines d’entre elles ont été jugées dans le cadre de procès inéquitables, condamnées à de longues peines d’emprisonnement et soumises à la torture ou à d’autres mauvais traitements. Au moins 112 femmes défenseures des droits humains ont été arrêtées, poursuivies ou maintenues en détention, certaines en représailles de leur travail, d’autres pour avoir retiré leur foulard en public afin de protester contre le port obligatoire du voile (hijab), une pratique abusive, discriminatoire et dégradante.

Découvrez la situation des droits humains pays par pays

(Les entrées Algérie, Maroc et Sahara occidental et Tunisie ont été traduites en français. Les autres entrées pays sont en anglais et en arabe uniquement.)

En Égypte, les autorités ont arrêté de façon arbitraire au moins 113 personnes pour le seul fait qu’elles avaient exprimé pacifiquement des opinions dissidentes ; parmi elles se trouvaient de nombreuses personnalités politiques qui avaient critiqué publiquement le président ou tenté de se présenter contre lui à l’élection présidentielle. Plus de 30 hommes et femmes défenseurs des droits humains ont été arrêtés et, pour certains d’entre eux, soumis à une disparition forcée qui a parfois duré jusqu’à 30 jours. Deux femmes ont été arrêtées et condamnées par des tribunaux après avoir dénoncé le harcèlement sexuel en Égypte sur leur compte Facebook.

Les autorités saoudiennes ont harcelé, arrêté et poursuivi des détracteurs du gouvernement, des universitaires, des religieux et des défenseurs des droits humains. En mai, elles ont lancé une vague d’arrestations. Parmi les personnes arrêtées figuraient au moins huit femmes défenseures des droits humains qui avaient fait campagne contre l’interdiction de conduire imposée aux femmes et contre le système de tutelle masculine. À la fin de l’année, pratiquement tous les défenseurs des droits humains d’Arabie saoudite étaient en détention, purgeaient une peine de prison ou avaient été contraints de fuir le pays. Au Maghreb, les autorités algériennes, marocaines et tunisiennes ont toutes utilisé des dispositions de leurs codes pénaux respectifs pour arrêter, poursuivre et, dans certains cas, emprisonner des journalistes.

Dans le Golfe, les autorités de Bahreïn et des Émirats arabes unis ont maintenu en détention des défenseurs des droits humains de premier plan pour le seul exercice de leur liberté d’expression, tandis qu’au Koweït et à Oman des détracteurs du gouvernement et des manifestants ont été arrêtés arbitrairement et, parfois, poursuivis en justice. Les autorités irakiennes, jordaniennes, libanaises et palestiniennes ont elles aussi arrêté arbitrairement des militants et d’autres personnes qui les avaient critiquées ou avaient manifesté pacifiquement. En Israël, des mesures similaires ont été prises contre des militants, dont des défenseurs des droits humains, qui dénonçaient la poursuite de l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.

MUSELLEMENT DES MÉDIAS ET DES ASSOCIATIONS

De nouvelles lois menaçant les droits à la liberté d’expression, d’association ou de réunion pacifique sont entrées en vigueur dans plusieurs pays. Le président égyptien a ratifié deux lois qui musèlent les médias indépendants en conférant à l’État un contrôle quasi total sur les organes de la presse écrite, en ligne et audiovisuelle. Le président palestinien a publié plusieurs décrets limitant la liberté d’expression et de réunion pacifique, ainsi que la liberté d’action des organisations de la société civile. Le nouveau Code pénal d’Oman érige en infraction les formes d’association « visant à combattre les principes de l’État sur les plans politique, économique ou social ou en matière de sécurité ».

Les autorités ont interdit des manifestations et/ou bloqué les activités d’associations de la société civile ou d’organisations politiques en Afrique du Nord, notamment en Algérie, en Égypte et au Maroc, ainsi que dans le Golfe, en particulier en Arabie saoudite et à Bahreïn. Dans d’autres pays, comme l’Irak, l’Iran et la Jordanie, elles ont bloqué des réseaux sociaux ou interrompu l’accès à Internet.

DROITS DES FEMMES

Plusieurs dizaines de femmes défenseures des droits humains ont été prises pour cible pour avoir défendu les droits des femmes ou protesté contre les violences faites aux femmes ou le harcèlement sexuel, en particulier en Arabie saoudite, en Égypte et en Iran. Cependant, l’année 2018, comme 2017, a connu quelques avancées positives sur les plans législatif et institutionnel en ce qui concerne les droits des femmes et la lutte contre la violence à leur égard. Ces progrès restent modestes, mais ils n’en sont pas moins la récompense de nombreuses années de combat pour les droits des femmes.

ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES

Des lois comprenant des dispositions pour lutter contre les violences faites aux femmes sont entrées en vigueur au Maghreb. Les autorités palestiniennes ont abrogé une disposition qui permettait aux personnes soupçonnées de viol d’échapper aux poursuites et à l’emprisonnement si elles épousaient leur victime. Des mesures similaires avaient été prises en 2017 en Jordanie, au Liban et en Tunisie. En Jordanie, à la suite d’une longue campagne menée par des organisations jordaniennes de défense des droits des femmes, le gouvernement a ouvert un foyer d’accueil pour les femmes menacées de violences familiales au nom de l’« honneur ».

L’Arabie saoudite a levé l’interdiction de conduire imposée aux femmes. Cette mesure a mis en relief le courage des militantes des droits des femmes qui, pendant des dizaines d’années, ont appelé l’attention des médias internationaux sur cette interdiction, au prix de persécutions subies de la part des autorités avant mais aussi – ironie du sort – après la levée de cette interdiction en 2018. Le gouvernement a également annoncé que les femmes n’avaient plus besoin de l’autorisation d’un tuteur de sexe masculin pour créer leur entreprise, mais il est difficile de savoir si cette réforme a réellement été appliquée. De manière générale, les femmes devaient toujours obtenir l’autorisation d’un tuteur pour s’inscrire dans un établissement d’enseignement supérieur, chercher un emploi, voyager ou se marier.

La Jordanie et le Qatar ont adopté des mesures permettant aux enfants de leurs ressortissantes mariées à un étranger d’obtenir un permis de résidence permanente, sans pour autant leur donner la possibilité d’acquérir la nationalité de leur mère.

DISCRIMINATION GÉNÉRALISÉE

La discrimination à l’égard des femmes, solidement ancrée en droit et en pratique, notamment en matière de mariage, de divorce, d’héritage et de garde des enfants, restait un problème majeur dans la région. En outre, les femmes et les filles n’étaient toujours pas suffisamment protégées contre les violences liées au genre – sexuelles et autres. Leur situation dans les zones de conflit était particulièrement préoccupante. En Libye, les autorités ne protégeaient pas suffisamment les femmes des violences liées au genre commises par des milices et des groupes armés. Associées aux campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux, ces violences ont contraint de nombreuses femmes à cesser totalement de s’exprimer dans l’espace public. Au Yémen, le long conflit a exacerbé la discrimination à l’égard des femmes et des filles, qui se sont trouvées moins protégées des violences sexuelles et des autres formes de violence, notamment du mariage forcé.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES

AVANCÉES AU LIBAN ET EN TUNISIE

Dans deux pays, des avancées ont fait naître l’espoir ténu d’une amorce de changement en ce qui concerne la criminalisation des relations sexuelles entre personnes de même sexe, qui reste généralisée dans la région. Au Liban, une cour d’appel de district a jugé que les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe ne constituaient pas une infraction pénale. En Tunisie, une proposition de loi prévoyant, entre autres, la dépénalisation des relations sexuelles entre personnes de même sexe a été présentée au Parlement.

PERSÉCUTIONS DE LA PART DES AUTORITÉS

Quoi qu’il en soit, les gouvernements de ces pays et d’autres pays de la région ont, cette année encore, restreint fortement les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI), tant dans la législation que dans la pratique. Au Liban, des témoignages ont fait état d’actes de harcèlement et de violences commis par la police contre des personnes LGBTI, en particulier parmi la population réfugiée et migrante. Les policiers ont parfois utilisé une disposition du Code pénal qui érige en infraction les « rapports sexuels contre nature ». En Tunisie, selon une organisation non gouvernementale (ONG) locale, la police a arrêté durant l’année au moins 115 personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre réelles ou présumées. Trente-huit d’entre elles ont ensuite été reconnues coupables d’avoir eu des relations sexuelles avec une personne de même sexe. Par ailleurs, des hommes accusés de telles relations ont été soumis à un examen anal forcé, en violation de l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements.

En Égypte, 13 hommes au moins ont été arrêtés pour « outrage aux bonnes mœurs » ou « pratique de la débauche » en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre présumées ou avérées. En Cisjordanie, les forces de sécurité palestiniennes ont arrêté arbitrairement et maltraité cinq militants LGBTI, d’après une ONG locale.

À Oman, le nouveau Code pénal entré en vigueur en 2018 érige toujours en infraction les relations sexuelles entre personnes de même sexe.

Des hommes attendent au bord de la route dans l’espoir de décrocher un emploi temporaire, à Raqqa, en Syrie (5 février 2018). De nombreux ouvriers se retrouvent à devoir déblayer des bâtiments endommagés ou partiellement détruits, une entreprise très risquée : des civils sont fréquemment blessés ou tués dans l’explosion de mines placées dans nombre de ces bâtiments par le groupe armé État islamique. © Amnesty International
Des hommes attendent au bord de la route dans l’espoir de décrocher un emploi temporaire, à Raqqa, en Syrie (5 février 2018). De nombreux ouvriers se retrouvent à devoir déblayer des bâtiments endommagés ou partiellement détruits, une entreprise très risquée : des civils sont fréquemment blessés ou tués dans l’explosion de mines placées dans nombre de ces bâtiments par le groupe armé État islamique. © Amnesty International

CONFLITS ARMÉS

Les hostilités armées ont baissé d’intensité en Irak et en Syrie, ce qui a entraîné une réduction du nombre de morts parmi les civils. Toutefois, beaucoup d’entre eux continuaient de souffrir des conséquences des graves atteintes aux droits humains, dont des crimes de guerre, commises par toutes les parties aux conflits en Libye, en Syrie et au Yémen en particulier, ainsi que de la situation humanitaire catastrophique créée ou exacerbée par ces conflits. En Libye, la prise du pouvoir par des milices a rendu le système judiciaire inopérant. À Gaza, une brève flambée de violence entre Israël et des groupes palestiniens a été contenue.

HOSTILITÉS ARMÉES

En Libye, en Syrie et au Yémen, les nombreux acteurs des conflits ont cette année encore commis des crimes de guerre et d’autres violations graves du droit international humanitaire. Les forces militaires disposant d’avions de combat ont mené des frappes aériennes et des attaques directes contre des habitations civiles, des hôpitaux et des centres médicaux, parfois au moyen de bombes à sous-munitions interdites par le droit international. Parmi ces forces, on peut citer : en Libye, l’autoproclamée Armée nationale libyenne ; en Syrie, les forces gouvernementales soutenues d’un côté par la Russie et de l’autre par la coalition menée par les États-Unis ; et, au Yémen, les forces de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite. Des groupes armés ont procédé à des attaques aveugles et arbitraires, comme le pilonnage de zones d’habitation, qui ont fait des victimes parmi la population civile. Ils ont aussi enlevé et gardé prisonniers des dizaines de civils, dont certains ont été soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements. C’est le cas par exemple des nombreuses milices rivales en Libye, dont les affrontements ont tué des centaines de civils ; des groupes d’opposition armés en Syrie, recevant pour certains un soutien militaire de la Turquie ; des Houthis et de leurs alliés au Yémen ; et des forces yéménites soutenues par les Émirat arabes unis.

En Syrie, les forces gouvernementales ont continué d’assiéger certaines zones, privant des centaines de milliers de personnes de soins médicaux, d’autres biens et services de première nécessité et d’aide humanitaire. Au Yémen, la coalition menée par l’Arabie saoudite a cette année encore imposé des restrictions excessives à l’entrée d’aide et de denrées essentielles, tandis que les autorités houthies entravaient la circulation de l’aide humanitaire dans le pays, aggravant la crise humanitaire. Les Nations unies ont indiqué en juin qu’environ la moitié de la population, soit 14 millions de personnes, était menacée d’une famine imminente ; l’ensemble du pays était par ailleurs touché par une épidémie de choléra.

PERSONNES DÉPLACÉES

Près de deux millions de personnes étaient toujours déplacées à l’intérieur de l’Irak. Régulièrement, des familles soupçonnées d’avoir des liens avec le groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique (EI) ont été la cible de menaces de la part de leurs voisins, des autorités tribales ou locales et des forces irakiennes, ce qui les empêchait de rentrer chez elles ou de se réinstaller dans leur localité d’origine. Celles qui sont parvenues à le faire ont déclaré avoir été soumises à des déplacements forcés et à d’autres violences. Certaines familles, en particulier celles placées sous la responsabilité d’une femme, ont été ostracisées et sanctionnées collectivement pour leurs liens présumés avec l’EI, en raison de facteurs que pourtant elles ne maîtrisaient pas. Dans les camps de personnes déplacées, de nombreuses personnes étaient privées de nourriture, d’eau et de soins médicaux. Des femmes soupçonnées de liens avec l’EI ont été soumises à des violences sexuelles, commises principalement par des hommes armés liés aux forces militaires et de sécurité présentes dans les camps.

Des milliers de familles libyennes étaient toujours déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Des Tawarghas déplacés en 2011 ont essayé de retourner dans la ville de Tawargha après la publication d’un décret officiel le leur permettant, mais ils ont été bloqués par des groupes armés. Un camp abritant plus de 500 familles tawarghas a été attaqué par une milice, ce qui a entraîné l’expulsion forcée d’environ 1 900 personnes déplacées.

En Syrie, à la fin de l’année, 6,6 millions de personnes avaient été déplacées depuis le début de la crise en 2011. Des milliers d’entre elles vivaient dans des camps de fortune n’offrant pas un niveau de vie suffisant. Il était très difficile pour les femmes dont les époux ou les pères avaient été tués ou avaient disparu pendant le conflit de faire valoir leurs droits sur leurs biens, notamment immobiliers, car les titres de propriété étaient souvent au nom des hommes de la famille. Par ailleurs, une nouvelle loi menaçait les droits des personnes vivant dans certains campements informels.

PERSONNES RÉFUGIÉES

Quelques légers progrès ont été constatés en ce qui concerne les réfugiés syriens au Liban, pour qui une mesure gouvernementale a facilité l’enregistrement des naissances, ainsi qu’en Jordanie, où a été lancée une campagne officielle de régularisation de la situation des personnes vivant de façon informelle en zone urbaine. Toutefois, ces avancées étaient largement occultées par la situation précaire dans laquelle se trouvaient les plus de cinq millions d’hommes, de femmes et d’enfants réfugiés et demandeurs d’asile syriens. Le Liban, la Jordanie et la Turquie, pays qui accueillaient le plus grand nombre de ces réfugiés, ont continué de bloquer l’entrée de nouveaux arrivants. Les autorités libanaises et turques ont affirmé que plus de 300 000 réfugiés étaient repartis en Syrie, poussés au retour par la situation humanitaire catastrophique dans les pays voisins – une situation exacerbée par le manque d’aide humanitaire, l’impossibilité pour les personnes réfugiées de trouver du travail et les obstacles administratifs et financiers auxquels elles se heurtent pour obtenir ou renouveler leurs permis de résidence. Le nombre de places de réinstallation et d’autres voies d’admission sûres et légales des réfugiés proposées par les autres pays, notamment occidentaux, demeurait largement inférieur aux besoins identifiés par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES ET JUSTICE TRANSITIONNELLE

AVANCÉES AU LIBAN ET EN TUNISIE

D’importants pas en avant ont été réalisés au Liban et en Tunisie pour remédier aux violations commises par le passé. Le Parlement libanais a voté une loi créant une commission nationale chargée d’enquêter sur le sort des milliers de personnes portées disparues ou victimes de disparitions forcées durant le conflit armé qui a déchiré le Liban de 1975 à 1990. Cela faisait plus de 30 ans que des associations de familles de victimes faisaient campagne, aux côtés d’organisations partenaires, en faveur d’une telle mesure. En Tunisie, le processus de justice transitionnelle a connu un tournant important. L’Instance vérité et dignité a terminé son travail d’enquête sur les violations des droits humains commises par le passé, bien que le Parlement ait tenté de l’interrompre prématurément. Son rapport final identifie les responsables de graves violations des droits humains et les motifs qui sont derrière ces violations, et formule des recommandations visant à éviter que de tels actes ne se reproduisent. L’instance a transmis 72 dossiers à 13 chambres criminelles spécialisées en vue d’un procès. Ces dossiers concernaient notamment des affaires de disparitions forcées, de décès des suites de torture et d’homicides de manifestants pacifiques.

Une femme attend la première séance d’un procès devant la chambre criminelle spécialisée de Gafsa, en Tunisie (26 septembre 2018). Ce procès faisait suite aux investigations menées par l’Instance vérité et dignité tunisienne. © Amnesty International / Callum Francis Redfern
Une femme attend la première séance d’un procès devant la chambre criminelle spécialisée de Gafsa, en Tunisie (26 septembre 2018). Ce procès faisait suite aux investigations menées par l’Instance vérité et dignité tunisienne. © Amnesty International / Callum Francis Redfern

IMPUNITÉ GÉNÉRALISÉE

Malgré ces avancées, l’impunité restait la norme dans la région pour les violations passées et actuelles. Ainsi, pour prendre un exemple flagrant mis en avant par Amnesty International dans son travail, l’année 2018 a marqué le 30e anniversaire de la disparition forcée et de l’exécution secrète de milliers de dissidents politiques emprisonnés en Iran. Bien que ces actes soient toujours constitutifs de crimes contre l’humanité, les responsables ont échappé à la justice et certains ont occupé – et occupent encore aujourd’hui – des postes de pouvoir au sein du gouvernement et de l’appareil judiciaire iraniens.

MINORITÉS

PERSÉCUTIONS DE LA PART DES AUTORITÉS

Cette année encore, des États de la région ont persécuté des minorités ethniques et religieuses. En Iran, des centaines d’Azéris et d’Arabes ahwazis, dont des hommes et des femmes militant pour les droits des minorités, ont été arrêtés et emprisonnés dans le contexte de rassemblements culturels et de manifestations pacifiques. En Arabie saoudite, le ministère public a réclamé à maintes reprises l’exécution de plusieurs militants et militantes chiites inculpés pour le seul fait d’avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Les autorités algériennes ont harcelé des membres de la minorité religieuse ahmadie, dont plusieurs dizaines ont été jugés ou soumis à une enquête. Elles ont également ordonné la fermeture d’au moins huit églises ou autres lieux de culte chrétiens. En Égypte, le gouvernement a cette année encore limité, en droit et en pratique, le droit des chrétiens de pratiquer leur culte. Il n’a reconnu pleinement que 588 des quelque 3 730 lieux de culte et bâtiments connexes qui avaient demandé à être enregistrés en vertu d’une nouvelle loi exigeant l’approbation de plusieurs organes gouvernementaux, dont les services de sécurité.

ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES

Israël a adopté une nouvelle loi selon laquelle l’État d’Israël n’est destiné qu’au peuple juif, confirmant le statut de citoyens de seconde zone des Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne, qui constituent presque un cinquième de la population du pays.

ATTAQUES PERPÉTRÉES PAR DES GROUPES ARMÉS

L’EI a revendiqué, entre autres exactions, des attentats suicides et d’autres attaques meurtrières menées en Irak contre des musulmans chiites (minoritaires dans la région mais majoritaires dans ce pays), ainsi que contre des chrétiens coptes en Égypte. Ces attaques ont fait des dizaines de morts et de blessés parmi la population civile.

TRAVAIL ET MIGRATION

TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS MIGRANTS OU DOMESTIQUES

Quelques progrès ont été accomplis sur le plan législatif aux Émirats arabes unis, au Maroc et au Qatar en ce qui concerne les travailleuses et travailleurs migrants et/ou domestiques. Toutefois, dans ces pays comme dans d’autres, notamment en Arabie saoudite, à Bahreïn, en Jordanie, au Koweït, au Liban et à Oman, ces personnes étaient toujours victimes d’exploitation et d’atteintes aux droits humains, en grande partie à cause du système de parrainage (kafala), qui restreignait leur capacité à échapper à de mauvaises conditions de travail.

Au Maroc, une nouvelle loi sur les travailleuses et travailleurs domestiques est entrée en vigueur. Ce texte leur donnait droit à des contrats écrits, un nombre maximum d’heures travaillées, des jours de repos, des congés rémunérés et un salaire minimum. Malgré ces avancées, ces personnes bénéficiaient d’une protection plus faible que celle du Code du travail marocain, qui ne mentionne pas les employés de maison.

Au Qatar, une nouvelle loi a supprimé partiellement l’obligation d’obtenir une autorisation pour sortir du territoire, permettant à la grande majorité des travailleurs migrants – ceux couverts par le droit du travail – de quitter le pays sans avoir à demander l’accord de leur employeur. Néanmoins, ce texte a maintenu quelques exceptions, notamment la possibilité pour les employeurs d’obliger jusqu’à 5 % de leurs effectifs à obtenir une autorisation de sortie. Une telle autorisation restait également nécessaire pour les employés non couverts par le droit du travail, dont les 174 000 travailleuses et travailleurs domestiques du Qatar et les migrants employés dans le secteur public.

Aux Émirats arabes unis, les autorités ont adopté plusieurs réformes qui devraient bénéficier particulièrement aux travailleuses et travailleurs migrants. Ces réformes prévoyaient notamment la possibilité pour certains de travailler pour plusieurs employeurs, une réglementation plus stricte des procédures de recrutement des employés de maison et une nouvelle politique d’assurance à bas prix protégeant les avantages sociaux des employés du secteur privé en cas de perte d’emploi, de compression de personnel ou de faillite de l’employeur.

Des ouvrières philippinnes ont les yeux scannés dans un centre de traitement des visas à Al Awir, à une trentaine de kilomètres à l’est de Doubaï, aux Émirats arabes unis (1er août 2018). © Kamran Jebreili /AP / REX / Shutterstock
Des ouvrières philippinnes ont les yeux scannés dans un centre de traitement des visas à Al Awir, à une trentaine de kilomètres à l’est de Doubaï, aux Émirats arabes unis (1er août 2018). © Kamran Jebreili /AP / REX / Shutterstock

PERSONNES MIGRANTES EN TRANSIT

Au Maghreb, les migrants originaires d’Afrique subsaharienne, ainsi que les personnes réfugiées et demandeuses d’asile, ont été la cible d’une vague de répression. Les autorités algériennes ont soumis des milliers d’entre eux à des détentions arbitraires, des transferts forcés à l’extrême sud du pays et des expulsions dans les pays voisins. Plus de 12 000 Nigériens et plus de 600 personnes venues d’autres pays d’Afrique subsaharienne, parmi lesquels des hommes et des femmes réfugiés, demandeurs d’asile ou migrants en situation régulière, ont été sommairement expulsés vers le Niger voisin, selon des organisations internationales qui surveillent la situation. Au Maroc, des milliers de migrants subsahariens, parmi lesquels des femmes enceintes et des enfants, ont été arrêtés illégalement et conduits dans des zones isolées du sud du pays, ou à proximité de la frontière avec l’Algérie.

La situation des personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes en Libye restait très difficile. Un certain nombre d’entre elles, principalement celles qui avaient été interceptées en mer, étaient toujours maintenues en détention dans des centres qui, bien qu’officiels, étaient en grande partie sous le contrôle de milices. Elles y étaient détenues dans des conditions effroyables, soumises au travail forcé, à la torture et à d’autres mauvais traitements et à des insultes de la part des gardiens, souvent dans le but d’extorquer de l’argent à leurs familles en échange de leur libération. Les femmes en particulier étaient victimes de viols.

DROITS DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS

Un certain nombre de pays ne respectaient pas les droits des travailleurs, notamment le droit de s’organiser en syndicats. En Iran, des milliers de travailleurs ont manifesté pacifiquement et se sont mis en grève pour protester contre le non-versement des salaires et les mauvaises conditions de travail, entre autres récriminations. Des centaines de manifestants et de grévistes non violents ont été arrêtés, et beaucoup condamnés à des peines de prison et de flagellation. Les syndicats indépendants n’étaient toujours pas autorisés. En Égypte, les autorités ont dispersé par la force des grévistes et maintenu des syndicalistes en détention provisoire pendant de longues périodes. Elles ont aussi supprimé des bulletins de vote les noms de centaines de candidats indépendants connus pour leur franc-parler, lors des élections visant à désigner les dirigeants des syndicats indépendants et d’État.

DROITS À LA SANTÉ, À L’EAU, À L’ASSAINISSEMENT ET AU LOGEMENT

DROIT À L’EAU

Des populations marginalisées d’Irak, d’Iran et de Tunisie ont subi des restrictions de leur accès à l’eau pour les usages alimentaires et domestiques, ce qui a suscité des accusations de discrimination et déclenché des manifestations. En Iran, des milliers d’habitants de la province du Khuzestan, peuplée majoritairement d’Arabes ahwazis (une minorité religieuse), ont manifesté contre les pénuries d’eau et sa mauvaise qualité – de l’eau non traitée avait notamment provoqué des infections intestinales chez environ 350 personnes. En Irak, plusieurs dizaines de milliers d’habitants de la province de Bassora, dans le sud du pays, ont semble-t-il dû être hospitalisés après avoir été empoisonnés par de l’eau polluée. Cet épisode est venu alimenter le mouvement de contestation contre la corruption des autorités et leur mauvaise gestion du sud du pays, négligé par l’État. En Tunisie, la pénurie et les problèmes de distribution d’eau ont entraîné des coupures d’eau à répétition dans plusieurs régions, ce qui a provoqué des manifestations.

OCCUPATION ET BLOCUS

Le blocus aérien, terrestre et maritime imposé illégalement par Israël sur la bande de Gaza est entré dans sa 11e année. Il restreignait la liberté de circulation des personnes et des biens entrant dans le territoire et en sortant, ce qui constituait une sanction collective à l’encontre des deux millions d’habitants de Gaza. Pendant la majeure partie de l’année, la bande de Gaza a subi des pénuries de carburant, qui ont limité la distribution d’électricité à quatre heures maximum par jour. Israël a réduit à un niveau historiquement bas le nombre d’autorisations médicales accordées à des habitants de Gaza pour leur permettre d’aller se faire soigner en Israël ou en Cisjordanie. Selon une ONG locale, ce refus de délivrer des autorisations médicales a conduit au décès d’au moins huit Palestiniens. La situation a été aggravée par les mesures punitives imposées par les autorités palestiniennes de Cisjordanie, qui ont réduit l’alimentation de Gaza en électricité et en eau et ont limité les livraisons de médicaments.

Parallèlement, d’après une ONG locale, Israël a démoli 148 biens immobiliers palestiniens en Cisjordanie, dont certains à Jérusalem-Est (139 pour défaut de permis et neuf à titre de sanction), jetant à la rue 425 personnes, dont 191 enfants. La Cour suprême israélienne a approuvé la démolition du village de Khan al Ahmar et le transfert forcé de ses habitants pour laisser place à des colonies juives illégales. Ce village était habité par 180 Bédouins et comptait une école où étaient scolarisés 170 enfants de la région.

Le Palestinien Jihad Shawamrah se tient sur les ruines de sa maison, dans le quartier de Beït Hanoun, à Jérusalem-Est (19 juillet 2018). Il a démoli sa maison afin de ne pas voir s’y installer des colons israéliens, après avoir perdu une affaire de propriété foncière devant les tribunaux israéliens. © Reuters/Ammar Awad
Le Palestinien Jihad Shawamrah se tient sur les ruines de sa maison, dans le quartier de Beït Hanoun, à Jérusalem-Est (19 juillet 2018). Il a démoli sa maison afin de ne pas voir s’y installer des colons israéliens, après avoir perdu une affaire de propriété foncière devant les tribunaux israéliens. © Reuters/Ammar Awad

LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SÉCURITÉ

Partout dans la région, les gouvernements ont pris, au nom de la sécurité, des mesures qui ont entraîné de graves violations des droits humains.

OPÉRATIONS ANTITERRORISTES EN ÉGYPTE

Le ministère de l’Intérieur égyptien a affirmé que plus de 164 personnes avaient perdu la vie au cours de l’année lors d’échanges de coups de feu avec les forces de sécurité. Aucune enquête n’a été ouverte par le parquet ni par d’autres autorités à propos de ces homicides ou au sujet des allégations selon lesquelles nombre des victimes n’étaient pas armées et se trouvaient déjà aux mains de la police lorsqu’elles ont été tuées. Des vidéos ont révélé que les forces aériennes égyptiennes avaient utilisé des bombes à sous-munitions, interdites par le droit international, durant leur campagne militaire dans le Sinaï.

DÉTENTION ARBITRAIRE, TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS ET PROCÈS INÉQUITABLES

De nombreuses arrestations arbitraires et condamnations à l’issue de procès inéquitables ont été signalées dans des affaires liées à la sécurité. À Bahreïn s’est tenu le premier procès militaire de civils dans le cadre du nouveau système de justice militaire pour les affaires relatives à la sécurité nationale. En Égypte, des tribunaux ont prononcé des condamnations à mort et de lourdes peines d’emprisonnement à l’issue de procès collectifs et de procès militaires iniques. En Irak, on restait sans nouvelles des milliers d’hommes et de garçons arrêtés arbitrairement et soumis à des disparitions forcées par les forces irakiennes et kurdes alors qu’ils fuyaient des zones tenues par l’EI entre 2014 et 2018. Des milliers de Palestiniens des territoires occupés ont été placés ou maintenus en détention dans des prisons situées en territoire israélien, en violation du droit international humanitaire. Selon une ONG locale, quelque 480 Palestiniens se trouvaient en détention administrative en Israël à la fin de l’année. Des cas de torture et d’autres mauvais traitements infligés à des personnes détenues pour des raisons de sécurité ont été régulièrement signalés dans ces pays et d’autres.

DÉCHÉANCE DE NATIONALITÉ ET MESURES DE CONTRÔLE AUX FRONTIÈRES

Bahreïn a imposé la déchéance de nationalité comme sanction pénale contre des personnes reconnues coupables d’atteintes à la sécurité nationale, privant de leur nationalité quelque 300 individus durant l’année. En Tunisie, les autorités ont utilisé des mesures de contrôle aux frontières pour restreindre le droit de circuler de milliers de personnes. Ces mesures ont souvent été imposées de manière discriminatoire en raison de l’apparence, des pratiques religieuses ou de condamnations pénales antérieures des personnes, sans aucune justification ni décision judiciaire.

PEINE DE MORT

De légers progrès ont été constatés en ce qui concerne la peine de mort, tant en droit qu’en pratique. Toutefois, de nombreuses exécutions ont eu lieu cette année encore en Arabie saoudite, en Égypte, en Irak et en Iran, souvent après des condamnations prononcées à l’issue de procès iniques.

L’État de Palestine a été le premier pays de la région à adhérer au Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Cependant, aucune mesure n’a été prise pour traduire cet engagement dans la pratique.

En Arabie saoudite, une nouvelle loi a imposé une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement pour les mineurs délinquants dans les affaires où, en tant qu’adultes, ils auraient encouru la peine capitale. Cette loi ne s’appliquait toutefois pas aux crimes passibles de la peine de mort en vertu de la charia (loi islamique). Au moins quatre mineurs délinquants restaient sous la menace d’une exécution à la fin de l’année.

En Iran, le nombre d’exécutions dans des affaires liées aux stupéfiants a chuté à la suite de modifications apportées à la législation dans ce domaine. Cependant, les tribunaux ont continué de prononcer des condamnations à mort, ainsi que d’autres peines cruelles telles que la flagellation, l’aveuglement et l’amputation, et de nombreuses exécutions ont eu lieu à l’issue de procès inéquitables, parfois en public. Plusieurs mineurs délinquants ont été exécutés.

Aucune exécution n’a eu lieu pendant l’année à Bahreïn et au Koweït, deux pays qui avaient repris les exécutions en 2017 après une interruption de plusieurs années. Néanmoins, comme tous les autres États de la région hormis Israël, ces deux pays ont continué de prononcer des condamnations à mort.