Les droits humains aujourd’hui en Asie du Sud – 2018

Les défenseurs des droits humains bravent la répression en Asie du Sud et l’espoir reste permis

L’année s’est ouverte avec la mort de l’une des défenseures des exclus les plus connues de la région, l’avocate et militante des droits humains Asma Jahangir. Cette Pakistanaise incarnait depuis des décennies les luttes de millions de personnes en Asie du Sud. Dans la rue, elle avait bravé la répression politique, réclamé la fin des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires, et elle avait été frappée et arrêtée parce qu’elle manifestait pour les droits des femmes. Dans les prétoires, elle avait tenu tête à ceux qui la menaçaient en raison de son travail de défense de diverses personnes – femmes cherchant à échapper à leur mari violent, travailleurs forcés tentant de se libérer du joug d’un « propriétaire » oppresseur, membres de minorités religieuses en quête d’un lieu sûr après avoir été attaqués par des foules radicalisées, etc.

Shahidul Alam, photojournaliste bangladais

Les membres d’Amnesty International ont joué un rôle crucial en facilitant cela et en exerçant la pression qui a mené à ma libération.

Défenseurs des droits humains

Les militants et militantes des droits humains au Pakistan ont été très affectés par la disparition d’Asma Jahangir. Des dizaines d’entre eux ont été soumis à l’arbitraire (qu’il s’agisse d’arrestation, de surveillance ou de disparition forcée), ont fait l’objet de manœuvres d’intimidation et ont été poursuivis aux termes de nouvelles lois draconiennes faisant de la liberté d’expression, en ligne et hors ligne, une infraction pénale. Des militants ont subi des cyberattaques par le biais de logiciels malveillants, qui se sont propagés via de faux profils en ligne et sont venus infecter subrepticement les appareils des victimes. Des membres du Mouvement pour la protection des Pachtounes (PTM, organisation non violente), mobilisés pour obtenir la fin des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires, ont été inculpés de sédition et arrêtés en raison de commentaire mis en ligne.

Mais il y a eu aussi de bonnes nouvelles. Les militants Raza Khan et Sagheer Baloch ont été libérés après neuf mois de disparition forcée. Hayat Khan Preghal, membre du PTM, a été remis en liberté sous caution en septembre après avoir été détenu parce qu’il avait fait circuler des commentaires critiques sur les réseaux sociaux.

De l’autre côté de la frontière, en Inde, les défenseurs des droits humains étaient eux aussi diabolisés et soumis à des enquêtes pénales. Dix militants et militantes de premier plan, parmi lesquels Sudha Bharadwaj, Shoma Senet et Arun Ferreira, ont été arrêtés à Bhima Koregaon, dans l’État du Maharashtra, aux termes de dispositions draconiennes d’une loi de lutte contre le terrorisme. Un défenseur des dalits (opprimés), Chandrashekar Azad « Ravan », a été maintenu en détention administrative sans inculpation ni procès pendant 10 mois.

En butte à des discriminations sexistes et des représailles du fait de leur travail de défense des droits humains, les femmes militantes ont été confrontées cette année en Inde à un torrent de violences et de harcèlement en ligne. Pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression, la journaliste Rana Ayyub et la militante Gurmehar Kaur ont été menacées de violences sexuelles. Sur le terrain, l’espace de liberté de la société civile a continué de se réduire, sous l’effet du recours à la Loi relative aux contributions étrangères (réglementation), un texte controversé utilisé à des fins politiques par le gouvernement pour harceler les organisations qui critiquent ses positions et ses actes.

Au Bangladesh, alors même que le gouvernement avait promis de se défaire de la Loi sur les technologies de l’information et de la communication – un texte de triste réputation aux termes duquel des centaines de personnes ont été inculpées et poursuivies pour ce qu’elles avaient dit ou écrit, y compris de façon pacifique –, les dispositions de cette loi étaient toujours utilisées pour réduire au silence les personnes émettant des critiques contre le pouvoir. Shahidul Alam, photographe bien connu, a été inculpé en vertu de son article 57 pour des commentaires mis en ligne sur Facebook et des propos tenus lors d’une interview. Une chape de peur s’est abattue sur le pays à la suite de son arrestation, dans un climat marqué par le placement sous surveillance des activités en ligne de certains étudiants et militants. La Loi sur la sécurité numérique a été adoptée en septembre. Ce texte étend la Loi sur les technologies de l’information et de la communication et en conserve les dispositions les plus draconiennes.

Réfugiés : une crise persistante

Le Bangladesh continue d’accueillir, dans des installations surpeuplées, près d’un million de réfugiés rohingyas. Alors que la perspective d’un retour au Myanmar dans des conditions de sécurité et de dignité semble lointaine, l’aide internationale se tarit et le gouvernement bangladais a annoncé que quelque 100 000 hommes, femmes et enfants rohingyas seraient transférés sur une île isolée au large de ses côtes. Les experts considèrent que cette île formée d’alluvions est vulnérable aux cyclones et aux inondations. Malgré ces problèmes, l’attitude du Bangladesh envers les réfugiés se démarque franchement de l’indifférence cynique dont fait preuve l’Europe. En 2018, les pays européens ont continué de renvoyer de force des milliers d’Afghans en quête d’asile vers leur pays d’origine, alors que le nombre de morts parmi la population civile y restait à un niveau record.

Attentats en Afghanistan

En Afghanistan, les attaques meurtrières des groupes armés, qui ont coûté la vie à des enfants, des travailleurs humanitaires, des membres de minorités religieuses, des journalistes et de nombreuses autres personnes, ont montré à quel point la situation était dangereuse dans le pays. Un attentat perpétré dans un quartier chiite de Kaboul, la capitale, a fait au moins 34 morts, parmi lesquels de nombreux enfants. En avril, 10 journalistes ont perdu la vie lors de l’explosion d’un deuxième engin sur le lieu d’un attentat à la bombe intervenu peu auparavant. Deux autres ont été tués en septembre dans des circonstances similaires. Cette année a été la plus meurtrière depuis le début du conflit, en 2001, pour les journalistes qui travaillent en Afghanistan. Amnesty International a inauguré en septembre une fresque dédiée à leur mémoire dans le centre de Kaboul.

Évolutions législatives

Le parlement pakistanais a adopté en mai l’une des lois les plus progressistes du monde en matière de droits des personnes transgenres, devenant le premier pays asiatique à reconnaître l’identité de genre ressentie par ces personnes. Dans une série d’arrêts historiques, la Cour suprême indienne a déclaré inconstitutionnels l’article 377 du Code pénal, qui érigeait en infraction les relations sexuelles librement consenties entre personnes de même sexe, l’article 497, qui réprimait pénalement l’« adultère », et une disposition réglementaire interdisant aux femmes pubères de pénétrer dans le sanctuaire de Sabarimala, au Kerala.

Au Sri Lanka, Sandhya Eknaligoda, une militante bien connue du combat pour que justice soit rendue aux familles de personnes disparues, a remporté une importante victoire devant les tribunaux. Cette femme, qui fait face depuis des années à une campagne d’hostilité et de dénigrement, a obtenu la condamnation à six mois d’emprisonnement d’un moine bouddhiste radical qui l’avait menacée. Le président Maithripala Sirisena a par ailleurs ordonné en septembre l’arrestation d’un militaire dans le cadre de l’enquête sur la disparition, en 2010, du mari de Sandhya, Prageeth Eknaligoda. D’autres faits positifs sont à signaler dans le pays, notamment la mise en place, attendue de longue date, du Bureau des personnes disparues, l’adoption d’une loi en vue de la création d’un Bureau des réparations, et la restitution à leurs propriétaires légitimes d’une partie des terres confisquées par l’armée dans le nord du pays.

Au Sri Lanka et au Népal, les efforts en vue de garantir justice, vérité et réparation aux victimes de violations commises par le passé et à leurs proches n’ont pas beaucoup progressé. Ces deux États ont par ailleurs tenté d’imposer de nouvelles restrictions aux ONG, mais ont dû faire machine arrière face à l’opposition exprimée par des organisations de la société civile. Le Parlement népalais a adopté à la hâte une série de lois relatives aux droits humains, à propos desquelles les organisations de victimes ont regretté de ne pas avoir été consultées. La nomination inattendue de Mahinda Rajapaksa au poste de Premier ministre au Sri Lanka en octobre et la crise constitutionnelle ainsi déclenchée font planer une menace sur l’avenir des droits humains et des garanties en matière de justice transitionnelle.

Un nouveau gouvernement a été installé au Pakistan, où un ancien joueur vedette de cricket reconverti dans la politique, Imran Khan, est arrivé au pouvoir en juillet. Ce nouveau gouvernement a fait part de bonnes intentions sur la question des droits humains, mais n’a pas tardé à revenir sur sa promesse d’accorder la nationalité aux réfugiés afghans et bengalis. Face à la résistance des extrémistes religieux, le gouvernement a aussi capitulé et renoncé à la nomination à un poste de conseiller d’Atif Mian, un économiste de renom appartenant à la communauté ahmadiyya, persécutée de longue date.

Le sectarisme religieux a également montré son visage hideux au Sri Lanka, où des violences, attisées par des moines bouddhistes radicaux, ont été commises contre des musulmans en mars dans la ville de Kandy (dans le massif montagneux du centre du pays) et à Ampara (dans l’est). Des habitations et des commerces appartenant à des musulmans ont été incendiés. Le gouvernement a décrété l’état d’urgence et fermé les réseaux sociaux utilisés pour envenimer les émeutes. Plus de 40 ans après la dernière exécution dans le pays, le président Maithripala Sirisena a déclaré en juillet qu’il allait rétablir l’usage de la peine de mort pour punir les trafiquants de drogue. Au Bangladesh, le gouvernement a de son côté lancé une « guerre contre la drogue », qui a donné lieu à une vague de possibles exécutions extrajudiciaires – plus de 200 trafiquants de drogue présumés ont ainsi été abattus par des paramilitaires.

De nouveaux espoirs aux Maldives

Le ciel a semblé s’éclaircir aux Maldives à la fin de l’année, où la nette défaite d’Abdulla Yameen à l’élection présidentielle de septembre a sonné le glas d’un régime répressif en place depuis de longues années. L’ex président maldivien avait tenté auparavant de consolider son emprise sur le pouvoir en imposant l’état d’urgence et en faisant arrêter le président et un juge de la Cour suprême, un ancien chef de l’État et plus de 200 manifestants et manifestantes. Quelques jours après le scrutin, Ahmed Mahlouf, un prisonnier d’opinion qui risquait jusqu’à 20 ans d’emprisonnement pour des accusations forgées de toutes pièces, a été remis en liberté. D’autres libérations devraient intervenir, le nouveau président, Ibrahim Solih, s’étant engagé à prendre une voie radicalement différente de celle de son prédécesseur en matière de droits humains.