Les droits des réfugiés aujourd’hui – 2018

Pour les réfugiés, il faut des changements significatifs

Le Pacte mondial sur les réfugiés lancé par l’Assemblée générale des Nations unies n’est pas porteur de changements significatifs pour les 25 millions d’hommes, de femmes et d’enfants réfugiés à travers le monde. L’objectif du Pacte était d’améliorer la réponse de la communauté internationale aux déplacements forcés de masse. Le texte final convenu à l’issue de 18 mois de consultations s’est révélé singulièrement dénué d’ambitions et n’est rien d’autre qu’un plan honteux permettant à la communauté internationale de se dérober à ses responsabilités.

Ce Pacte ne changera rien à la situation des réfugiés rohingyas qui viennent d’arriver au Bangladesh, ni à celle de tous les jeunes Somaliens nés dans des camps au Kenya, ni à celle des réfugiés bloqués sur l’île de Nauru et laissés dans une effroyable incertitude quant à leur sort, en toute illégalité. Il ne soulagera en rien l’Afrique subsaharienne, qui accueille aujourd’hui 31 % de la population mondiale de réfugiés.

Des voix ignorées

Rares sont les personnes réfugiées dans le monde qui ont entendu parler du Pacte mondial. Elles n’ont pas été consultées non plus sur le processus ou le contenu du texte, et n’ont pas participé aux négociations. Le Pacte se voulait un recueil complet et exhaustif des meilleures pratiques, mais la moindre dynamique susceptible d’aboutir à la prise d’engagements concrets, à la fixation d’obligations ou au lancement d’une action ambitieuse a été réduite à néant lors des premiers cycles de discussion. Les obligations du droit international relatif aux droits humains et du droit international relatif aux réfugiés étaient pratiquement absentes de l’avant-projet de texte. Aucune référence n’y était faite y compris aux éléments les plus fondamentaux que sont le principe de « non-refoulement » et le droit de chercher asile. Le changement climatique n’était pas mentionné comme cause de déplacement forcé, et rien n’était vraiment fait pour que la voix des réfugiés soit entendue de manière officielle au sein des différents mécanismes. Ce qui prédominait au bout du compte, c’était un fort parti pris en faveur des intérêts des États plutôt que des droits des réfugiés.

Le HCR a signalé une baisse de 54 % du nombre de réinstallations de réfugiés

Importante réduction des quotas de réinstallation

Bien plus scandaleuses encore, cependant, ont été certaines initiatives prises par les États en dehors des négociations du Pacte mondial. Les mesures adoptées cette année montrent d’ores et déjà que les ambitions très modestes qui figurent dans le Pacte ne seront probablement pas atteintes. Avant que le texte final ne soit mis au point, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) avait fait état d’une baisse de 54 % du nombre de réinstallations, passées de 163 206 en 2016 à 75 188 en 2017 du fait de la diminution du nombre de places offertes par les pays. Nous sommes très loin des 1,2 million d’agréments nécessaires selon le HCR.

Le gouvernement des États-Unis a fixé à 45 000 son quota d’admission de réfugiés, soit le niveau le plus bas depuis l’adoption de la Loi sur les réfugiés de 1980, et prévoit semble-t-il d’abaisser ce chiffre à 30 000 en 2019. Dans le même temps, Amnesty International a mis en évidence les dommages catastrophiques et irréparables que causent à des milliers d’hommes et de femmes en quête d’asile les politiques en matière d’immigration et de contrôle des frontières mises en place par le gouvernement de Donald Trump – des politiques qui prévoient notamment la séparation des familles et le placement en détention y compris d’enfants, en violation du droit international et de la législation des États-Unis.

Renvois forcés

En Europe, plusieurs États ont renvoyé de force un nombre croissant d’Afghans qui n’avaient pas obtenu le statut de réfugié ou une autre forme de protection internationale, malgré la détérioration de la sécurité en Afghanistan et tandis que les Nations unies faisaient état d’un nombre record de morts parmi la population civile. Amnesty International a expliqué les risques que courent les réfugiés renvoyés en Afghanistan, où la situation est marquée par de graves violations des droits humains et une violence généralisée. En 2018, pourtant, l’Allemagne a renvoyé de force dans ce pays 366 personnes, la Finlande 75, les Pays-Bas une trentaine et la Norvège 15 qui sont venues s’ajouter aux presque 10 000 Afghans et Afghanes renvoyés de force depuis l’Europe entre 2015 et 2016.

Des responsabilités esquivées

Les gouvernements européens n’ont pas non plus réussi à réformer les règles en matière d’asile, ni à se mettre d’accord sur un système commun de partage des responsabilités et de coopération pour protéger les personnes réfugiées en Europe et leur venir en aide. En conséquence, les États situés « en première ligne » ont continué d’assumer une part disproportionnée de la responsabilité du traitement des demandes d’asile. Malgré la baisse considérable du nombre des arrivées en Europe, l’UE et certains États membres ont poursuivi le développement des pratiques d’externalisation visant à maintenir les personnes en mouvement loin des frontières européennes, transférant ainsi la responsabilité sur d’autres pays en Afrique et ailleurs.

Les réfugiés et les migrants pris au piège en Libye ont particulièrement fait les frais de ces politiques européennes, qui soutiennent les autorités libyennes dans leurs activités de blocage des départs et d’interception des personnes qui risquent leur vie pour trouver la sécurité et une vie meilleure en Europe. Plus de 1 200 personnes sont mortes ou ont été portées disparues durant l’été en Méditerranée centrale. Des milliers d’autres ont été interceptées et renvoyées en Libye, où elles sont en butte aux risques d’arrestation arbitraire, de violences, d’atteintes aux droits humains et d’exploitation.

À la suite de l’accord UE-Turquie, emblématique du point de vue de l’esquive des responsabilités, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont été enfermés dans des camps sordides et surpeuplés installés dans les îles grecques avec les financements de l’UE. Exposées au harcèlement et aux violences sexuelles, entre autres, les femmes et les filles y sont particulièrement en danger.

En Israël, le gouvernement a commencé l’année en publiant une « Procédure pour l’expulsion vers des pays tiers », aux termes de laquelle les hommes célibataires de nationalité soudanaise ou érythréenne déboutés de leur demande d’asile ou qui n’avaient pas déposé de demande à la fin de l’année 2017 se verraient notifier un avis d’expulsion vers leur pays d’origine ou vers un « pays tiers ». Les deux pays tiers où le renvoi était possible n’étaient pas spécifiés, mais il s’agissait selon tous les observateurs de l’Ouganda et du Rwanda. Les personnes refusant de partir seraient placées en détention jusqu’à ce qu’elles acceptent leur départ, ou bien seraient éloignées de force. Un recours judiciaire a suspendu la mise en œuvre de cette procédure, mais cela n’a pas empêché Israël de transférer à l’Ouganda, premier pays d’accueil en Afrique (et l’un des cinq premiers au niveau mondial) avec 1,3 million de réfugiés présents sur son territoire, les responsabilités qui lui incombent vis-à-vis de ces réfugiés et demandeurs d’asile. Cette procédure est contraire au principe de « non-refoulement » qui s’impose à Israël.

Une mobilisation citoyenne pour de nouvelles solutions

Tandis que les États se dérobent à leurs responsabilités, la mobilisation citoyenne ne cesse de grandir. Cependant, partout dans le monde, les gouvernements ont recours à des méthodes toujours plus diversifiées pour contrecarrer le travail des personnes et des organisations qui viennent en aide aux migrants, aux demandeurs d’asile et aux réfugiés. Mesures administratives, législation pénale et autres lois sont déployées pour dissuader, contraindre, poursuivre et punir les hommes et les femmes qui apportent leur aide. De la saisie de navires affrétés par des ONG pour des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée à l’arrestation d’une journaliste qui enquêtait sur les violations des droits des réfugiés commises par le gouvernement australien à Nauru, la mobilisation citoyenne en faveur des droits des personnes réfugiées ou migrantes est devenue un combat difficile et susceptible de faire l’objet de poursuites pénales.

Cependant, le projet final de Pacte mondial évoque des voies complémentaires d’admission permettant aux réfugiés de gagner un pays tiers sûr, et recommande que les États mettent en place « des programmes de parrainage privé ou communautaire venant s’ajouter aux programmes ordinaires de réinstallation », ce que préconise Amnesty International depuis fort longtemps.

Certains pays ont commencé à prendre des initiatives en ce sens cette année. En juillet, le Canada, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Argentine, l’Irlande et la Nouvelle-Zélande ont annoncé qu’ils soutenaient le concept de parrainage par des citoyens, qui place les personnes et les collectivités locales au centre de l’organisation de l’arrivée, de l’accueil et de l’intégration des familles de réfugiés dans des pays tiers. La Nouvelle-Zélande a annoncé parallèlement qu’elle allait porter ses quotas d’admission de réfugiés de 1 000 à 1 500.

Dans un monde chaque jour plus hostile, la solidarité et l’intervention directe des particuliers et des collectivités est peut-être la bonne façon de renforcer le droit de toute personne de chercher asile et de vivre dignement. Les gouvernements devraient s’en réjouir et emboîter le pas aux citoyens, plutôt que les menacer et s’en prendre à eux. Les négociations pour le Pacte mondial sont maintenant terminées. Il reste à espérer que davantage de gouvernements verront dans ce texte le point de départ d’un processus de changement positif, et non son aboutissement.