Les Émirats arabes unis doivent mettre un terme à la détention arbitraire de 60 personnes – dont des militants, des avocats, des étudiants et des enseignants – reconnues coupables d’accusations forgées de toutes pièces à l’issue d’un procès collectif inique dans le cadre de l’affaire dite des « UAE-94 », a déclaré Amnesty International le 2 juillet 2021, à l’occasion du huitième anniversaire du verdict rendu en juillet 2013 et de la neuvième année passée derrière les barreaux pour les prisonniers, arrêtés en 2012.
Amnesty International s’est entretenue avec les familles de six détenus faisant partie de ce groupe de prisonniers. Elles ont décrit la souffrance endurée depuis neuf ans, certains prisonniers étant détenus au secret depuis des années et certains membres de leur famille étant soumis à des actes de représailles.
Le récent décès d’Alaa al Siddiq, morte dans un accident de la route le 19 juin 2021 au Royaume-Uni, a braqué les projecteurs sur le calvaire des familles injustement séparées de leurs êtres chers depuis près de 10 ans. Alaa al Siddiq, directrice exécutive d’ALQST, une ONG de premier plan qui dénonce les violations des droits humains en Arabie saoudite, était aussi la fille de Mohamed al Siddiq, qui compte parmi ce groupe de prisonniers incarcérés à l’issue d’un procès collectif.
« Les prisonniers de ce groupe croupissent derrière les barreaux depuis plus de neuf ans maintenant, certains n’étant même pas autorisés à voir ni à parler à leur famille pendant des années de suite, a déclaré Lynn Maalouf, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International.
« Les effets dévastateurs de cette politique cruelle ont sauté aux yeux à la mort d’Alaa al Siddiq, fille de Mohamed al Siddiq, prisonnier qui fait partie de ce groupe. Elle est morte alors qu’elle n’avait pas parlé à son père depuis trois ans puisque les autorités avaient coupé toute communication. »
Les prisonniers de ce groupe croupissent derrière les barreaux depuis plus de neuf ans maintenant, certains n’étant même pas autorisés à voir ni à parler à leur famille pendant des années de suite.
Lynn Maalouf, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International
Les incarcérations découlant de ce procès collectif sont arbitraires, car le fait de juger autant d’accusés en même temps ne permet guère de respecter pleinement les normes internationales d’équité des procès, car les charges étaient fondées sur des termes juridiques généraux et vagues qui ne définissent pas de manière satisfaisante une infraction reconnue par le droit international, et car la procédure a été entachée à chaque étape d’une violation des principes juridiques de base, tels que la présentation de mandats, la comparution rapide des détenus devant un tribunal et l’examen équitable des éléments présentés par les accusés. Nombre d’entre eux ont été incarcérés uniquement pour avoir exprimé pacifiquement des opinions politiques. Amnesty International a publié un rapport exhaustif faisant le point sur les violations du droit à un procès équitable en 2014 et le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a conclu que la détention de toutes les personnes concernées dans cette affaire était arbitraire.
Le gouvernement des Émirats arabes unis a retiré à Alaa al Siddiq et à ses neuf frères et sœurs leur nationalité en mars 2016, expliquant à l’ONU qu’il les avait « déchus » de leur nationalité car celle de leur père avait été « révoquée ». Alaa al Siddiq s’est enfuie au Qatar en 2012, puis est partie au Royaume-Uni en 2019.
Mohamed al Siddiq a été condamné à une peine de 10 ans d’emprisonnement à l’issue du procès collectif des « UAE-94 ». Auparavant, il avait été déchu de sa nationalité en décembre 2011, après qu’il eut signé une pétition réclamant des réformes démocratiques. Les autorités ont déclaré qu’elles révoquaient sa nationalité car il était lié à des « organisations et personnalités suspectes au niveau régional et international ».
Avant sa mort, Alaa al Siddiq avait déclaré à Amnesty International que personne dans sa famille proche n’avait pu parler à son père, Mohamed al Siddiq, depuis 2018, moment où le gouvernement avait coupé toutes les communications avec lui.
Le gendre de Mohamed al Siddiq, Omran al Rudwan, a également été déclaré coupable lors de ce procès. Alors qu’il a fini de purger sa peine de sept ans de prison en 2019, il est maintenu en détention à la prison d’Al Razeen, au titre de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, qui autorise l’État à maintenir en détention sans limitation de durée les personnes « adoptant un mode de pensée extrémiste ou terroriste ». Le gouvernement a libéré d’autres prisonniers émiriens classés dans cette catégorie après qu’ils sont apparus dans des vidéos et ont présenté des « aveux » ; ces déclarations ont été mises en ligne sur des pages progouvernementales des réseaux sociaux.
La famille d’Hasan al Jaberi, lui aussi membre de ce groupe de prisonniers, a déclaré qu’en décembre 2019, les autorités émiriennes ont mis un terme à toutes ses visites familiales et l’ont empêché d’appeler ses proches pendant plus de six mois. Il a pu appeler sa famille plusieurs fois en juillet et en août 2020, mais est détenu au secret depuis lors. Hasan al Jaberi et son frère Husain, tous deux anciens employés du gouvernement, ont été condamnés à une peine de 10 ans d’emprisonnement lors du procès collectif et le gouvernement les a déchus de leur nationalité en décembre 2011.
En janvier 2017, l’Autorité fédérale pour l’identité et la citoyenneté a appelé la famille d’AbdulSalam al Marzooqi, prisonnier dans le cadre de l’affaire des « UAE-94 » qui purge une peine de 10 ans de prison, afin de l’informer qu’elle avait déchu tous ses enfants de leur nationalité, ce qui les rend de fait apatrides.
« Les 60 hommes encore détenus dans le cadre de cette affaire ont passé près de 10 ans en détention prolongée et inique. Ils sont détenus au secret et privés de leurs droits, a déclaré Lynn Maalouf.
« Au lieu de continuer de sanctionner ces prisonniers et leurs familles, les Émirats arabes unis doivent annuler les condamnations, libérer les victimes de ce procès collectif des plus iniques et restituer aux prisonniers et à leurs familles leur nationalité arbitrairement révoquée. »
Complément d’information
En juillet 2013, 69 hommes ont été déclarés coupables à l’issue d’un procès collectif manifestement inique de complot en vue de renverser le gouvernement des Émirats arabes unis. Ils ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement, allant jusqu’à 15 ans. Ce procès a été entaché de graves irrégularités, certains accusés étant détenus au secret pendant des périodes allant jusqu’à un an et plusieurs d’entre eux affirmant avoir été torturés dans le but de les forcer à faire des « aveux ».