(New York, le 3 juin 2021) — La récente série d’attaques et la pression croissante contre les journalistes qui critiquent le gouvernement pakistanais sont très inquiétantes, ont déclaré Human Rights Watch, Amnesty International et la Commission internationale de juristes jeudi 3 juin. Les personnes soupçonnées de responsabilité pénale doivent faire sans attendre l’objet de poursuites dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales d’équité des procès.
Le gouvernement du Pakistan doit mener dans les meilleurs délais des enquêtes impartiales et efficaces sur les multiples attaques qui ont récemment visé des journalistes. Il doit aussi supprimer les mesures officielles qui protègent les autorités des critiques et promouvoir l’espace laissé au débat public et à la libre expression, face aux menaces de groupes extrémistes et de responsables gouvernementaux.
« La fréquence et l’audace des attaques contre des journalistes au Pakistan sont effarantes, a déclaré Brad Adams, directeur pour l’Asie à Human Rights Watch. Les autorités pakistanaises doivent amener les responsables présumés de ces attaques à rendre des comptes devant la justice, et veiller à ce que tous les journalistes puissent faire leur travail sans crainte de subir des manœuvres d’intimidation ou des représailles. »
Le 25 mai 2021, le journaliste Asad Ali Toor a été agressé par trois hommes non identifiés qui sont entrés de force dans son appartement à Islamabad. Ils l’ont attaché, bâillonné et roué de coups. Selon lui, ils se sont présentés comme des agents d’un organe de sécurité, l’ont interrogé sur ses « sources de financement » et ont pris son téléphone portable et d’autres appareils électroniques. Le gouvernement a ordonné peu après l’ouverture d’une enquête sur ces faits. En septembre 2020, les autorités ont inculpé Asad Ali Toor de sédition en raison de commentaires sur les réseaux sociaux « dénigrant les institutions de l’État ». Un tribunal a par la suite prononcé un non-lieu.
Le 20 avril 2021, un homme armé non identifié a pris pour cible et blessé par balle Absar Alam, journaliste pour la télévision, devant son domicile à Islamabad. Absar Alam est un détracteur bien connu du gouvernement. En septembre 2020, les autorités l’ont inculpé de sédition et de « haute trahison » pour avoir employé un « langage désobligeant » à l’égard du gouvernement sur les réseaux sociaux.
Le 21 juillet 2020, un autre journaliste, Matiullah Jan, a été enlevé à Islamabad par des assaillants non identifiés la veille du jour où il devait comparaître devant la Cour suprême pour avoir « employé un langage désobligeant ou méprisant et calomnié l’institution judiciaire ». Il a été relâché au bout de quelques heures. Il a affirmé que son enlèvement était une tentative d’intimidation. Une enquête judiciaire a été ouverte sur son enlèvement, mais aucun suspect n’a encore été arrêté.
« Il est préoccupant de voir se réduire rapidement l’espace laissé aux critiques et aux informations d’intérêt public au Pakistan, où les journalistes et les défenseur·e·s des droits humains sont particulièrement exposés à la censure, à la violence physique et aux détentions arbitraires », a déclaré Sam Zarifi, secrétaire général de la Commission internationale de juristes.
Les journalistes pakistanais sont confrontés depuis longtemps à de sérieux obstacles dans l’exercice de leur profession, notamment des manœuvres de harcèlement et d’intimidation, des agressions, des arrestations et détentions arbitraires, des enlèvements et même des assassinats. Toutes ces menaces se sont intensifiées et les autorités pakistanaises font également de plus en plus souvent pression sur les rédactions et les propriétaires de médias afin de faire taire les voix critiques. Le 29 mai, la chaîne d’information Geo a « suspendu » Hamid Mir, l’un des plus célèbres présentateurs de débats télévisés au Pakistan, après qu’il a parlé d’une manifestation organisée pour soutenir Asad Toor.
D’autres médias ont subi des pressions des autorités les sommant de ne pas critiquer les institutions gouvernementales ou le pouvoir judiciaire. Dans plusieurs cas ces dernières années, les autorités réglementaires de l’État ont bloqué des câblo-opérateurs et des chaînes de télévision qui avaient diffusé des programmes critiques. En 2020, le Pakistan a été classé au neuvième rang de l’Indice mondial de l’impunité du CPJ, avec au moins 15 homicides de journalistes non élucidés depuis 2010.
En juillet 2020, l’Autorité pakistanaise de régulation des médias électroniques (PEMRA) a ordonné à 24NewsHD, une chaîne télévisée d’information, de cesser d’émettre jusqu’à nouvel ordre pour « transmission illégale de nouvelles et de contenus d’actualité ». Des journalistes et des militant·e·s de l’opposition affirment que cette chaîne a été sanctionnée pour avoir diffusé des propos critiques à l’égard du gouvernement.
En août 2020, un groupe de femmes journalistes de premier plan a publié une déclaration condamnant une « campagne bien définie et coordonnée » d’attaques sur les réseaux sociaux, notamment sous la forme de menaces de mort et de viol à l’encontre de journalistes et de commentatrices dont la couverture de l’information était critique à l’égard du gouvernement.
« Si les autorités souhaitent respecter leurs obligations en matière de droits humains, il faut qu’elles prennent des mesures décisives contre la censure, le harcèlement et la violence subis par les journalistes, a déclaré Dinushika Dissanayake, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Asie du Sud. Pour cela, l’impunité persistante doit être éradiquée. »